En 1963, Jack (Jake Gyllenhaal) et Ennis (Heath Ledger) se rencontrent et sont engagés pour garder un troupeau dans les montagnes du Wyoming. Isolés durant plusieurs mois, les deux jeunes hommes deviennent amants, puis se séparent une fois la saison terminée. Les années passent. Chacun fonde sa propre famille. Jack et Ennis décident pourtant de se retrouver et de se voir en secret dans les montagnes, afin d’échapper à l’opprobre social.
Brokeback Mountain diffère des précédentes réalisations de Ang Lee. Le réalisateur quitte l’univers fantastique du « super » héros (Tigre et dragon, Hulk) pour déconstruire cette fois la figure d’un autre type de personnage héroïque : le cow-boy. Autre surprise, on retrouve Rodrigo Pietro, le directeur de la photographie des deux derniers films de Inàrritu, qui offre cette fois un travail sobre et vernissé, complètement différent de celui de 21 grammes par exemple. L’alternance classique, durant les premières séquences, de plans de grands ensembles et d’une échelle de plans plus réduite, accompagné par un thème bucolique joué à la guitare, annonce d’emblée un lyrisme fortement appuyé. Le scénario, il faut le dire, évoquait déjà l’homosexualité sur le ton du mélo. Ces choix narratifs et esthétiques semblent donc assez étranges par rapport à un sujet qui demandait un tout autre traitement.
On trouve cependant de nombreux éléments pertinents dans Brokeback Mountain. Le film revisite la figure du cow-boy (il s’inscrit ainsi dans la ligne des nombreuses œuvres qui, depuis les années 1960, révisent le genre très codifié du western) en le présentant comme un individu violent et alcoolique, dénué de dimension mythique.
La réactivation de l’allégorie de la nature vierge, récurant dans le western, est quant à elle soudainement rompue par une séquence de sodomie assez réaliste (la censure a dû frémir en voyant Ennis humidifier l’anus de Jack avant de le pénétrer). Le réalisateur oppose la montagne, espace de liberté sexuelle, et la ville, lieu de confinement et de castration. Pourtant, lors du premier week-end adultérin durant lequel se retrouvent les protagonistes, des nuages sombres emplissent le ciel. Lee signale ainsi l’échec auquel est voué leur relation amoureuse. L’immensité de la nature ne peut triompher des puissants codes sociaux qui les emprisonnent.
Le film montre un autre visage de la société américaine de l’époque. Il remet en cause le concept de révolution sexuelle, qui ne touche pas toutes les couches sociales et tous les territoires des Etats-Unis. La société décrite dans Brokeback Mountain ne connaît aucune évolution entre le début des années 1960 et le milieu des années 1980. Le réalisateur dresse le portrait d’un monde figé dans ses préjugés et ses normes. Il insiste d’ailleurs sur la description du quotidien des deux personnages plutôt que sur leurs brefs moments de rencontre. Comme s’il s’agissait d’exclure cette relation jugée honteuse à la périphérie de la narration.
Malheureusement, le film ne parvient à tenir toutes ses promesses. Le récit est sans surprise et les situations des plus prévisibles (surtout les scènes de dispute, assez lamentables). Ang Lee abandonne rapidement l’Eros gay pour se consacrer à une romance stupidement aseptisée. Brokeback Mountain démontre ainsi sans grande originalité que des hommes virils peuvent éprouver entre eux un amour sincère. Il fallait l’évoquer, mais à travers un autre système de représentations, certainement moins convenu. Une histoire homosexuelle devrait pouvoir être filmée par-delà les cadres narratifs hétérosexuels, usés depuis bien longtemps…