Le Rideau de sucre

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Grandir sur l’île de Cuba n’a rien d’ordinaire. D’autant moins dans les années 70, âge d’or du régime communiste cubain, régime qui s’essoufflera en 1991 lors de la chute de l’Union Soviétique, principal soutien économique de l’île. Camila Guzman Urzua, « pionnière » parmi des milliers d’autres, dresse trente ans plus tard l’autobiographie filmée de […]

Grandir sur l’île de Cuba n’a rien d’ordinaire. D’autant moins dans les années 70, âge d’or du régime communiste cubain, régime qui s’essoufflera en 1991 lors de la chute de l’Union Soviétique, principal soutien économique de l’île. Camila Guzman Urzua, « pionnière » parmi des milliers d’autres, dresse trente ans plus tard l’autobiographie filmée de toute une génération. Entre confidences intimes et récits historiques, c’est avec une émotion particulière que la vie de ce pays si singulier est dévoilée.

« El telon de azucar », littéralement : « Le rideau de sucre ». Voilà un titre subtilement trouvé pour évoquer clairement les années « guerre froide » durant lesquelles Cuba (grand producteur de canne à sucre) est devenu un pays communiste avec l’appui de l’Union Soviétique. Or l’intitulé semble aussi indiquer que le documentaire ouvre « le rideau », fait enfin la lumière sur un régime dont l’image internationale se situe quelque part entre la frayeur de l’autoritarisme castriste et l’attirance pour son île paradisiaque. Camila Guzman Urzua change le ton général en choisissant de revenir sur l’enfance sucrée qu’elle a connue.

Car ils sont unanimes. Tous les témoignages récoltés auprès de ses amis et anciens camarades de classe de l’époque le soulignent avec nostalgie : Cuba était un véritable petit « paradis » pour les enfants. Pas d’insécurité, pléthore d’activités scolaires et extrascolaires, des goûters abondants et surtout la sensation de devenir les « pionniers » d’un monde nouveau. Certes, l’idéologie communiste était partout, dans les moindres recoins de la ville et à travers toutes les institutions telles que l’école, mais tout résonnait autour de la solidarité. Et le paradoxe de cette génération est bien là. Comment faire pour vivre aujourd’hui lorsque le monde et les idéaux avec lesquels on a grandi (et auxquels on croyait dur comme fer) s’envolent subitement arrivé à l’âge adulte ?

Comme sortis brutalement d’un rêve doux et moelleux, ces jeunes cubains restent pour la plupart en proie aux fantômes des « seventies ». Certains ont fui, d’autres se sont accrochés. Les plans que dépose la réalisatrice sur sa pellicule-mémorial offrent des lieux vides, délabrés, témoins de plus de la crise qui s’est abattue sur le pays. Les confidences se succèdent. Camila Guzman Urzua fait exclusivement appel à ses souvenirs et à ceux de ses proches dans la construction de son film. On ferme les yeux pour revivre une situation, on rouvre une boîte à photos et on revient dans son école comme si quelque chose d’indélébile s’y était produit. Les récurrentes interventions de la mer dans le récit viennent créer une île de répit dans la réflexion et de nouvelles retombées nostalgiques dans l’esprit de chacun.

La grande Histoire est bien sûr une invitée de marque dans le travail de la cinéaste. Les images d’archives viennent appuyer le récit des interviewés dans la construction de cette réalité passée. La crise des « balseros » de 1984, qui fut marquée par la fuite de nombreux cubains vers les Etats-Unis, ou encore la « période spéciale » de 1991 durant laquelle le régime s’est épuisé, sont particulièrement développées dans le film. Mais c’est évidemment l’interrogation du présent qui prime ici. Tous ont les yeux tournés vers le devenir de leur état. Ayant presque hâte de s’écrier : Cuba est mort, vive Cuba ! Et pourtant…

Le coffret précieux réalisé par Camila Guzman Urzua s’avère essentiel dans l’appréhension du pays encore mal connu qu’est Cuba. A l’image du groupe de rock La Havana abierta présenté dans le film, « El telon de azucar » reste encore l’une des rares œuvres à s’intéresser à cet aspect de l’histoire cubaine. La crise des années 70 aura au moins provoqué l’éclosion d’artistes à la sensibilité créatrice, presque seuls capables d’éveiller les consciences et de sortir tout un peuple de l’ombre.

Titre original : El Telón de azucar

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Durée : 80 mn


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