Le Quatuor

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Yaron Zilberman filme les joies et les peines d’un quatuor célèbre : touchant et mélomane.

On le sait, la musique est à la mode. Après la série des opéras filmés des années 1980-1990 (La Flûte enchantée par Bergman en 1975, Don Giovanni par Losey en 1979, Carmen par Rosi en 1984), voici venu le temps des cinémas qui ouvrent leurs portes aux retransmissions des plus grandes scènes mondiales. Mais il existe aussi toute une série de documentaires sur la mise en scène d’opéra (le dernier en date étant le très beau Traviata et nous de Philippe Béziat, l’année dernière), les répétitions de concert (Trip to Asia de Thomas Grube, par exemple, en 2008), et les films de fiction sympathiques (tel que Le Concert de Radu Mihaileanu en 2009). Belle collection en effet. S’y rajoute, dans un autre registre, les films sur les personnes âgées qui font de la musique (Quartet de Dustin Hoffman en 2012 ou encore Song for Marion de Paul Andrew Williams cette année). Le Quatuor trouvera-t-il sa place dans cette avalanche ? On l’espère car c’est plutôt une réussite, même si le mélange musique et vie personnelle n’est pas toujours du meilleur effet, voire crédible. Alors commence ici l’exploit : parler d’un film sans le pitcher comme savent si bien le faire nos petits camarades de la télé ! Le film de Yaron Zilberman est déjà une belle étude sur le langage musical puisque le réalisateur est un grand mélomane qui s’appuie sur la connaissance de trois quatuors à cordes existant : le quatuor Guarneri, le quatuor Italian String Quartet et le quatuor Emerson de New York. De plus, dans son film, il choisit de leur faire interpréter de façon non pas répétitive, mais convulsive, la masterpiece de Beethoven, Le quatuor en ut dièse mineur op. 131, que le maître avait demandé qu’il soit joué "attacca", c’est-à-dire sans interruption entre les sept mouvements qui le constituent. Autant dire un exploit ! À cet égard, le film montre bien le trac et la tension qui existent au sein d’un quatuor, même largement constitué, au moment de l’interprétation en public. La moindre fausse note peut être fatale. Tout le monde admire les divas, les musiciens tout particulièrement parce qu’ils jouissent d’un prestige, d’une maestria et parce qu’ils sont toujours en tournée dans le monde entier. Personne ne semble mesurer la solitude et la dose de sacrifices qu’il faut entreprendre pour entrer dans cet art et dans cette compétition finalement impitoyable, au détriment de leur vie personnelle ou familiale.

 

 

Avec quatre acteurs chevronnés, non musiciens mais qui se sont mis à apprendre à jouer de leur instrument, c’est toute cette vie suspendue aux archets que le cinéaste fait revivre, avec dispute, trahison, amourettes et grands amours. Bref le sacrifice de l’art. Vous n’auriez jamais imaginé Philip Seymour Hoffman dans le rôle de Robert Gelbart (violon) partagé entre sa femme, sa fille et sa carrière, donc légèrement perdu. Ni même Christopher Walken quittant la posture du malfrat pour celle du violoncelliste, dans le rôle de Peter Mitchell, vieillissant et malade. Catherine Keener est tout à fait parfaite dans le rôle de Juliette Gelbart, alto et épouse du violoncelliste. Et enfin, Marc Ivanir interprétant le rôle de Daniel Lerner au violon, épine dorsale du groupe et finalement presque responsable de sa dislocation.

Le film montre à la perfection la vie d’un groupe, ce qui le fait vivre et ce qui le détruit. Les interactions humaines, ses lâchetés et ses petites trahisons, comme les désirs de vivre et d’aimer. On pourrait y voir, harmonisé par la sublime musique de Beethoven et la rigueur démente de la pratique d’un art aussi difficile, la mise en musique de Pour un oui, pour un non (1982) de Nathalie Sarraute. Beau film en effet qui saura ravir les mélomanes tout autant que les amateurs de comédies psychologiques, d’autant que le film commence et se clôt sur un concert du Quatuor. Quatre êtres réunis par un travail acharné comme les quatre points cardinaux d’un monde en rupture.

Titre original : A Late Quartet

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Durée : 115 mn


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