Le livre noir de la censure – Emmanuel Pierrat (s/d)

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Ce livre n´a de noir que le titre, car c’est bel et bien d´or censorial dont il s´agit.

On savait la censure multiséculaire, polymorphe, ubiquitaire et implacable. Présentement, il ne faut certes pas croire qu’elle n’existe pas, ou qu’elle sommeille légèrement et soit éventuellement prête à se réveiller. Elle est toujours là, tapie dans l’ombre, omniprésente et active à tout moment, bien vivante et réelle, mais insidieuse et plus puissante que jamais, car née d’une double action : d’abord, de groupes privés érigés face à l’inertie dénoncée des pouvoirs publics et des institutions ; ensuite, de l’État voulant reprendre les rênes.

L’originalité et la force de l’ouvrage dirigé de main de « maître » par Emmanuel Pierrat (avocat) est : 1) d’embrasser tous les domaines contemporains de la censure : presse, cinéma, théâtre, publicité, gastronomie, internet, arts plastiques, musique, livres, jeux vidéos, télévision, affiches, caricatures, photographies, DVD, médicaments, alcool, tabac, OGM, nucléaire… 2) Chaque thème est confié à un spécialiste, le plus souvent un praticien confirmé du droit, d’où l’efficacité des propos allégués : Les formes de la censure (E. Pierrat, avocat), L’autocensure (Magaly Lhotel, avocate), Les nouvelles technologies (Florent Latrive, journaliste), La loi du marché (Sophie Viaris de Lesegno, avocate), Les mœurs (Aurélie Chavagnon, avocate), La jeunesse (Geoffroy de Lagasnerie, enseignant), La religion (Caroline Fourest et Fiammetta Venner, journalistes), Les minorités (Béatrice Chapaux, magistrate), Le pouvoir (Guillaume Sauvage, avocat), La santé (Flore Masure, avocate). Pour le cinéma, de nombreux domaines s’interpénètrent : mœurs, jeunesse, minorités, religion, d’où de multiples lectures toujours possibles et complémentaires.
Aurélie Chevagnon (Les mœurs) souligne l’hypocrisie de l’État qui, par le biais de l’ixification, légitime pécuniairement les films pornographiques en prélevant au passage de gros revenus fiscaux sur les films visés. En 1977, L’essayeuse, film classé X et donc officiellement autorisé par la Commission nationale de Contrôle des films, se voit pourtant condamné à la destruction – rappelant les autodafés nazis – pour outrages aux bonnes moeurs par le juge, suite à la plainte d’associations privées, symbolisant bien l’incohérence du droit du cinéma. Geoffroy de Lagasnerie (La jeunesse) s’intéresse à l’Affaire Baise-moi. Le film, interdit aux moins de 16 ans par la Commission nationale de Classification des films, est attaqué par l’Association Promouvoir, jugeant l’interdiction "mineure" et estant en Conseil d’État pour une interdiction aux mineurs de 18 ans. Celui-ci, le 30 juin 2000, désavoue le visa ministériel et considère que le film est pornographique et doit donc, de droit, être classé X et interdit aux moins de 18 ans. Cette décision provoque – à tort : l’ixification ne faisant nul doute – une vague de protestations de professionnels et de la presse journalistique qui, le 12 juillet 2001, débouche sur le décret rétablissant l’interdiction aux mineurs de 18 ans sans, toutefois, la classification X.

La différence est de taille : elle évite non seulement une surtaxe, mais surtout l’obligation de salles spécialisées réservées au X, rares et peu fréquentées. Caroline Fourest et Fiammetta Venner (La religion) dévoilent les intégrismes religieux, catholique (Je vous salue Marie, La dernière tentation du Christ, Ave Maria) et musulman (Théo Van Gogh assassiné pour Soumission). Béatrice Chapaux (Les minorités) montre l’absurdité de la censure qui frappe (au sens propre et figuré, lorsqu’on connaît ses biographie et filmographie) René Vautier : Afrique 50, son film colonial interdit dès sa sortie et qui lui valut aussi 13 inculpations et 2 condamnations à de peines de prison, est autorisé en 1997, et le cinéaste se voit offrir par le Ministère de l’Intérieur une copie neuve de son film, désormais déclaré utile – 46 ans après – pour le prestige de la France. Pour conclure, cet ouvrage dresse un constat alarmant de notre société, où rien ne paraît plus libre et où tout est grandement policé. L’ouvrage, écrit essentiellement par des juristes, est un réquisitoire passionnant et violent contre la censure. C’est une excellente introduction à la censure, cinématographique et autres… Un livre donc indispensable. A acheter et à lire sans modération.

Emmanuel Pierrat (s/d)
Seuil, 2008, 348 p. , 21,5 €




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