Depuis plus de trente ans maintenant, le jeu vidéo rêve de cinéma. Entre d’un côté les adaptations officielles de films à succès comme Aladdin, Indiana Jones et autre Rambo, et une volonté de réalisme et d’immersion de l’autre, l’industrie vidéo-ludique a appris à se servir de la technologie et de toutes les possibilités offertes par l’interactivité propre au médium. A tel point qu’aujourd’hui, le cinéma se met à rêver de jeux vidéos, surtout depuis que le revenu global de ce dernier a dépassé celui de l’industrie du film. Le jeu vidéo devient autonome, crée ses propres univers et développe des procédés de mises en scène qui font rêver des Robert Zemeckis ou des Steven Spielberg grâce à un tout virtuel qui s’affranchit des contraintes de tournage. Si les adaptations cinématographiques, souvent de mauvaise qualité, existent encore dans le jeu vidéo, elles relèvent désormais principalement du pur merchandising. Parallèlement les grandes licences vidéoludiques deviennent des longs métrages, dont le statut et la pertinence se révèlent de plus en plus problématiques, voire embarrassantes.
Super Mario Bros
Aussi étrange que cela puisse paraître, l’industrie du cinéma a commencé par adapter des jeux reposant avant tout sur leur gameplay et leur univers visuel, mettant de côté toute ambition narrative. Ainsi, au début des années 90, alors que le personnage de Mario jouit d’une popularité telle qu’il concurrence sérieusement Mickey, Hollywood décide de s’emparer du plombier japonais pour en faire une adaptation live, Super Mario Bros. Idée saugrenue tant l’univers enfantin et minimaliste de Mario semble totalement opposé à un casting fait de chair et d’os. Le film en est d’ailleurs la preuve définitive, d’autant que personne ne semble savoir comment s’approprier l’univers de Super Mario, à tel point que deux réalisateurs sont sur l’affaire, les délicieusement inconnus Annabel Jankel et Rocky Morton, épaulés officieusement par Dean Semler et même Roland Joffé qui se retrouve étrangement producteur de la chose. Un casting prestigieux en roue libre (Bob Hoskins en Mario et Denis Hooper en King Koopa qui cabotine à s’en décrocher la mâchoire), un univers quasi-cyberpunk et ubuesque qui jure magistralement avec celui du personnage créé par Miyamoto, tout dans Super Mario Bros respire le renoncement ! Mais un renoncement dans la bonne humeur puisque le film fait ce qu’il peut avec une idée débile imposant un lourd cahier des charges à caser discrètement ici où là, histoire que le spectateur reconnaisse les clins d’œil fait au jeu.
Ce premier coup d’épée dans l’eau précède une crise d’amnésie durable où les producteurs font et refont les mêmes erreurs malgré un parterre de fans déconfits. Ainsi, une vague d’adaptation de jeux de combat déferle sur les écrans parmi laquelle on ne retiendra pas Double Dragon ni Street Fighter mais plutôt Mortal Kombat de Paul W.S Anderson qui voit le jour en 1995. Si le genre du jeu de combat semble résolument inadaptable au cinéma à cause encore une fois de sa narration anémique, Mortal Kombat propose un film réjouissant en reprenant le principe du jeu, à savoir un tournoi millénaire régissant l’équilibre entre le bien et le mal. Bien sûr, cet univers graphique propre au jeu devient complètement Z à l’écran mais Anderson a le mérite de ne pas trahir le matériau initial et de proposer à Christophe Lambert le rôle hilarant et masochiste de Rayden, point de non retour pour l’acteur qui ne pourra désormais plus tourner avec ses vrais cheveux. L’adaptation du jeu de combat reste, malgré ses limites plus qu’évidentes, une des adaptations de jeux les plus fréquentes au cinéma, ce qui contribuera dans les années 90 à véhiculer une image extrêmement immature et violente de l’univers videoludique.
Resident Evil
En 1996, une création des studios Capcom vient dynamiter le petit monde des jeux videos : Resident Evil. En reprenant le concept du très français Alone in The Dark, l’un des tous premiers jeux en 3D, Resident Evil place le joueur dans une mise en scène purement cinématographique en reproduisant les cadrages propres au film d’horreur à travers des champs contre-champs, des plongés, des plans larges… le tout soutenu par une musique et un scénario directement inspirés par le grand écran. Pour la première fois, le joueur ressent d’une manière incroyablement immersive des sensations d’angoisse nouvelles et devient actif au sein d’une mise en scène scriptée. Le succès du jeu et de ses suites sera phénoménal, motivant bien sûr une adaptation de la licence au cinéma qui échoue une nouvelle fois entre les mains de Paul Anderson.
Ce dernier se révèle malheureusement incapable de restituer l’ambiance de solitude et de menace qui imprégnait lejeu, préférant bricoler un scénario en puisant dans les intrigues de la série sans jamais prendre en compte les caractéristiques liées à chaque support respectif. Anderson crée une honnête série B avec un matériau de base pourtant bien plus excitant dans son rapport au cinéma qu’un Mortal Kombat. Bien sûr, Milla Jovovitch en yamakasi invicible n’aide pas dans l’identification au personnage d’Alice, c’est pourtant la seule chose que reprendront les deux terrifiantes suites, ignobles métrages d’action qui achèveront de faire passer la licence pour un parangon de mauvais goût et de références mal digérées. Alice court sur les murs et devient experte en arts martiaux, alors que Resident Evil version jeu est a contrario réputé pour la rigidité de ses protagonistes, bien incapables de tirer en se déplaçant. Au même moment, Shinji Mikami, le créateur du jeu vidéo reprend les rennes de la série pour créer un quatrième opus sur console d’une intelligence rare et d’une cinéphilie aigüe en apportant une vraie réflexion sur le genre du survival horror qu’il a initié. L’écart entre le génie de Mikami et le divertissement bancal offert par la licence cinématographique apparaît ahurissant et montre l’incapacité des producteurs à prendre le support vidéoludique au sérieux.
Cependant, une génération de réalisateurs influencés par l’approche cinématographique du jeu vidéo commence à explorer un certain nombre de pistes, jusqu’ici ignorées par les adaptations officielles. Jaume Balaguero et Paco Plaza réalisent avec Rec un film de zombie bien plus convaicante que la trilogie (bientôt quadrilogie) Resident Evil. Brassant de multiples influences, Rec, filmé comme une suite de longs plans séquences avec une caméra épaule proche de la vue subjective, construit sa narration autour d’un lieu unique (un petit immeuble) dans lequel les personnages évoluent d’étage en étage, jusqu’au boss de fin localisé dans le grenier. Impossible de ne pas penser au jeu horrifique de Capcom où le joueur fait avancer l’histoire en ouvrant de nouvelles portes et en résolvant des énigmes. C’est aussi dans une moindre mesure, la construction narrative et spatiale de La Horde de Yannick Dahan et Benjamin Rocher.
Balaguero avoue lui-même être un grand admirateur de Silent Hill, une des créations vidéoludiques les plus influentes jamais créées, et a montré avec The Darkness ou encore Fragile une déférence toute particulière à l’univers mythologique du jeu. Tournant majeur du jeu vidéo, Silent Hill permet au joueur de contrôler un personnage inapte au combat plongé dans un univers abject et cauchemardesque, une sorte d’Alice au pays des Merveilles dégénéré et profondément triste. Balaguero a particulièrement bien intégré ce mélange de mélancolie et d’horreur qui est d’ailleurs une composante majeur de l’actuel cinéma fantastique espagnol. Que ce soit The Darkness où il réutilise à merveille le concept d’une dimension ténébreuse alternative où Fragile qui reprend l’imagerie dérangeante du jeu, Balaguero est l’un des rares réalisateurs à puiser ses influences dans le monde vidéoludique sans les hierchachiser.
Évidemment l’adaptation de Silent Hill par Christophe Gans a attisé tous les fantasmes dès son annonce tant la démarche du réalisateur paraissait enfin sincère, appuyée par le compositeur et producteur du jeu Akira Yamaoka. Si en effet, le métrage s’avère d’une incroyable fidélité formelle, reproduisant dans les moindres détails la ville de Silent Hill, la narration et la mise en scène restent un demi-échec. Incapable de faire peur alors que les deux premiers épisodes du jeu étaient insoutenables, le film de Gans prend des risques là où il aurait fallu ne rien toucher et inversement. Reste pourtant la meilleure adaptation officielle à ce jour, mais qui pêche par cartésianisme en réduisant considérablement le champ des interprétations proposées par le jeu pour enlever une part de mystère pourtant indispensable à la réussite du projet.
Enfin, impossible d’ignorer l’omniprésence du réalisateur allemand Uwe Boll, capitalisant à lui seul une demi douzaine d’adaptations de jeux vidéos d’une qualité aberrante malgré sa récente revalorisation après avoir été l’ennemi public numéro un chez les joueurs cinéphiles. Sorti uniquement en dvd chez nous, comme la quasi intégralité des films de Boll, House of the Dead est l’adaptation d’un jeu d’arcade où le joueur dégomme joyeusement des hordes de zombies à l’aide d’un flingue en plastique. Rien dans ce jeu ne semblait justifier une adaptation, et le film est un terrible navet qui ne parvient à créer une connexion entre les deux supports qu’en insérant directement des séquences du jeu, dont les graphismes ont évidemment mal vieilli. Le tout est soutenu par un humour bien gras, des filles en petites culottes et une esthétique hideuse qui seront désormais la marque de fabrique du réalisateur allemand.
Si House of the Dead n’avait aucun potentiel cinématographique (ce qui ne lui empêchera pas d’avoir une suite), l’obtention des droits d’Alone in The Dark par Uwe Boll est autrement plus inquiétante. L’ancêtre de Resident Evil aux influences lovecraftiennes devient, sous l’égide de Boll, une compilation mercantile et caricaturale des blockbusters de l’époque, Matrix en tête, à tel point qu’on peut légitimement se demander pourquoi Boll tient à racheter toutes les licences vidéoludiques alors qu’il ne reprend aucun élément des jeux en question. Peu importe, Alone in The Dark reste une épreuve même pour un spectateur non joueur, qui pourra peut-être dénicher un semblant d’histoire entre deux bullet time ratées. Ni joueur ni cinéphile, Uwe Boll entreprend d’adapter des licences beaucoup moins prestigieuses comme Bloodrayne (1 et 2) ou Dungeon Siege (sorti sous le nom de King Rising), fresque historique interminable et coûteuse avec Jason Statham. Après un opportunisme primaire très démonstratif, Uwe Boll change quelque peu son image en adaptant le polémique Postal comme une vaste blague potache dans lequel Boll explique lui-même que ses films sont financés par l’argent nazi. Toujours pas de réflexion sur le procédé d’adaptation cependant.
C’est là le principal écueil qui conduit tout droit la majorité de ces productions à l’échec artistique. Celles-ci ne semblent occupées qu’a reproduire en live les personnages phares du jeu vidéo (Lara Croft, Mario, Max Payne, Hitman, Chun-li …) pour les réintroduire ensuite dans un scénario et un univers créés à la va-vite, l’important étant que le titre du film soit le même que celui du jeu video et qu’une star accepte de se mouiller pour porter le métrage sur ses épaules (The Rock, Angelina Jolie, Milla Jovovitch, Christian Slater, Van Damme…). Pourtant il est évident que le succès de ces jeux n’incombe pas uniquement à leur aspect visuel, mais aussi à leur scénario (parfois), à leur musique et leur mise en scène. La plupart des jeux sont aujourd’hui principalement en plan séquence (en vue subjective ou à la troisième personne) et proposent une expérience de jeu dans la durée à l’instar de la littérature, ce qui exige une restructuration narrative rigoureuse.
Le terme même de « jeu vidéo » est maintenant beaucoup trop vaste et si on peut questionner l’intérêt d’adapter un jeu de combat comme Tekken (qui sortira prochainement) on peut aussi s’interroger sur la pertinence d’adapter une œuvre aussi cinématographique que Heavy Rain par exemple. Il apparaît donc nécessaire de repenser totalement les mécaniques d’adaptation comme ce fut le cas pour la littérature, notamment au niveau de la mise en scène, d’autant que des chefs-d’œuvre sont en cours d’adaptation comme Bioshock ou Shadow of the Colossus, qui bénéficient d’univers formidables, complètement aptes à se développer sur grand écran, pour peu que la nature même des œuvres initiales ne soient pas ignorées afin de traduire l’immersion et l’atmosphère par des procédés purement cinématographiques.