Le Grand Retournement

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Gérard Mordillat signe avec « Le Grand Retournement » un film engagé, ironique et original sur la crise financière. Intéressant.

Depuis la crise des subprimes en 2008 qui a ébranlé le monde, les banquiers ont mauvaise presse. Même si l’erreur serait de mettre dans le même sac le simple employé de banque avec la haute finance mondialisée, il faut bien dire que c’est l’image de marque de toute une profession qui est altérée dans l’opinion et pour longtemps. Et l’on comprend bien cette réprobation générale lorsque l’on s’est intéressé un peu aux causes de la crise et aussi à la manière dont la déferlante a été endiguée. On sait que la Maison blanche était infestée (sous l’ère Bush Jr. comme elle l’est toujours d’ailleurs sous le démocrate Obama), de banquiers ultra-libéraux qui fabriquaient, aidés par une législation à leur main, des produits financiers destinés à des gens, pour la plupart, non solvables. Ces produits, ce sont les fameuses subprimes. Résultat des courses, quand tout ce château de cartes s’écroula : des millions de chômeurs, de sans-abris et les responsables de la déroute, impunis. Comme est dit dans Inside Job, le remarquable documentaire de 2010 de Charles H. Ferguson sur le sujet, on peut se demander pourquoi aucun des responsables avérés de ce désastre n’est allé en prison ?
Gérard Mordillat, homme aux multiples casquettes (journaliste, cinéaste, romancier) a décidé de s’attaquer au thème de cette crise en adaptant la pièce de théâtre D’un retournement l’autre, comédie sérieuse de Frédéric Lordon. Ingénieur de formation, économiste et engagé à gauche (disons à la gauche de la gauche comme Mordillat d’ailleurs), Lordon avait pour cette pièce mitonné un texte sur un sujet sérieux et technique, tout en alexandrins… Mordillat, dès qu’il lut le texte, apella Lordon pour lui réserver les droits afin de réaliser un film. Le réalisateur s’est donc emparé de ce manuscrit qui même s’il est un texte de combat (sic) n’en est pas moins tout à fait crédible et ne vulgarise pas une matière (la finance) de manière caricaturale. C’est là l’exploit de ce film : nous nous habituons très vite à un mode de langage (le vers de douze pieds donc), nous rions (parfois) et tout cela avec un sujet aride. Mais Le Grand Retournement déconcerte tout de même. Nanti d’acteurs somme toute excellents et spécialistes de l’alexandrin dont Jacques Weber dans le rôle d’un banquier, le film est austère. D’une austérité ennuyante. Nous ne voyons pas vraiment ce qui le différencie d’une pièce de théâtre. Nos personnages s’envoient leurs tirades – parfois amusantes et instructives comme nous l’avons dit – mais comme dans une répétition, une générale finalement, sans mise en scène intéressante. Pour autant que s’en défende Gérard Mordillat, c’est à un exercice de style auquel ce dernier s’est adonné. Exercice insolite mais bizarre tant l’on ressent un décalage, la non-synchronisation entre la versification (originale et réussie), le décor (une usine désaffectée qui veut symboliser la ruine) et le sujet du film lui-même. En bref, nous constatons que l’alexandrin, style par excellence de la tragédie classique, fusionne mal avec l’explication d’une autre tragédie : la crise financière et la fin d’un système.

 

 
Sur le fond, le film traite de la collusion qui eut lieu entre les Etats et les banques lorsque ces dernières eurent besoin d’être renflouées. La thèse que soutiennent avec force les auteurs est que cette entente fut bien réelle et que les banquiers, rapaces jamais rassasiés, se seraient tournés vers les pouvoirs publics, normalement honnis par ces hommes d’affaires ultra-libéraux, pour se refaire une cerise… Et partant, c’est le peuple qui pâtirait. Une autre politique est possible, c’est bien ce que profère Gérard Modillat. Le Grand Retournement, c’est sa grande force, décrit un processus qui a existé, le scandale d’une poignée de banquiers qui se joue du destin collectif, seul comptant pour eux leurs profits exorbitants. Mais l’on aurait aimé que le cinéaste ouvre des portes, que s’expriment des thèses plus sociales-démocrates pour accompagner sa lecture très radicale d’un imbroglio économique dont les ressorts et donc les solutions sont d’une très grande complexité. Nous aurions aimé avoir un début de réponse à la question suivante : et si les Etats n’avaient pas aidé les institutions financières à se relever, quelles étaient les solutions viables pour que tout ne s’écroule pas ?

Titre original : Le Grand Retournement

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Durée : 97 mn


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