Le Disciple

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« Le Disciple » est une injection puissante d´émotions qui se joue sur la frontière entre le choc et le rire, entre l´obscurité et la lumière.

Kirill Serebrennikov est un réalisateur connu du spectateur européen. En débutant en tant que metteur en scène de théâtre dans la ville de Rostov-sur-le-Don, à la fin des années 90, il s’installe à la capitale, travaille au Théâtre d’art de Moscou (surnommé MKhAT) et réalise son premier long métrage Nus en 1998. En 2004, il réalise un film coproduit avec l’Autriche d’après la nouvelle d’Anton Tchekov Chambre N6, et l’intitule Raguine, qui recevera le Prix du Meilleur film au prestigieux Festival de Karlovy Vary. En 2012, L’Adultère est dans la sélection officielle à la Mostra de Venise. Cette année, le festival de Cannes a sélectionné Le Disciple en compétition à « Un Certain regard » et a obtenu Le Prix François Chalais, récompensant le film à même de traduire au mieux la réalité de notre monde.
En effet, l’oeuvre est un miroir métaphorique de la Russie, avec une possibilité de l’extrapoler sur le vaste monde. Kyrill Serebrennikov fait son scénario à partir d’une pièce du dramaturge allemand Marius von Mayenburg, Martyr (2012). Le Disciple met en scène la confrontation entre un élève d’un lycée moscovite, Benjamin (Veniamin), et « tout le monde » : ses camarades de classe, ses professeurs, sa mère. En se servant de la Bible, il prêche la morale d’une manière agressive et perturbe son environnement.

 


Déroute individuelle comme miroir d’une société qui dysfonctionne

Serebrennikov appuie sur les endroits les plus douloureux et évoque des problèmes à la fois très personnels et socio-politiques. D’un côté, Le Disciple relève l’absurdité du pouvoir contemporain, où la laïcité s’allie de nouveau avec l’église orthodoxe, où tout le monde passe pour un lâche et se tait au lieu de contredire les blasphèmes d’un fanatique religieux. D’un autre côté, et plus indirectement, le long métrage s’attaque aux familles monoparentales causant une solitude qui peut se terminer par de la provocation. Dans le film, c’est le manque d’attention et d’amour, l’ignorance et le refus de la part de ses parents qui se trouvent à l’origine de cette tragédie concrète de Benjamin ; faisant allusion à la tragédie du peuple entier agonisant entre les changements de régimes politiques et de croyances. Déçu ou ayant manqué des valeurs humaines dites « de base », cet adolescent se met ardemment à rechercher Le Père, et n’hésite pas à cracher dans le visage de l’Élglise même, se jetant droit dans les bras de nombreux péchés : la haine, l’orgueil, la meurtre.

Il existe une grande différence entre Le Disciple et, par exemple, Léviathan d’Andreï Zviaguintsev (2014), qui a également causé diverses polémiques au sujet de l’orthodoxie contemporaine sponsorisée et mise en avant par l’état russe aujourd’hui. Serebrennikov ne rejette pas la cause sur un mauvais gouvernement abstrait mais il nous oblige à la rechercher dans le plus personnel, au coeur du nid familial qui est une véritable source de la situation tragique qui se joue au lycée. Dans ce chaos, où la direction de l’école n’essaye que de faire taire cet adolescent et d’entretenir l’image d’un établissement convenable en ignorant la situation jusqu’au bout, seul le personnage de la professeure de biologie et psychologue tente de résister et de comprendre Benjamin, mais on lui empêche d’exercer son métier.

 


Une mise en scène trop théâtrale ?

On peut reprocher à Serebrennikov ses dialogues parfois excessivement théâtraux, prouvant que le détachement de la mise en scène du théâtre cette fois-ci lui a joué un mauvais tour. En effet, dans son film Jouer la victime (2006), fait d’après la pièce éponyme des frères Presnyakov, il y a également beaucoup de théâtralité, mais elle est atteinte d’une manière plus riche et authentique. Par exemple, dans les deux films les personnages se servent des outils de filmage pour attester de l’époque et pour témoigner de la réalité. Mais si dans l’oeuvre de 2006 autour d’un caméscope se jouait la mise en scène toute entière, dans Le Disciple l’utilisation des téléphones portables apparaît assez banale et plutôt divertissante. La réalisation de Serebrennikov se fait remarquer au Festival de Locarno en 2008 où il a reçu plusieurs prix pour un drame racontant le chemin de purgation spirituelle d’une chanteuse d’opéra dans Un Jour sans fin à Youriev (Youryev Den’). Dans ce long métrage, contrairement à Le Disciple, la purgation passait plus par le geste, par le mouvement de la caméra, que par des citations écrites et prononcées. Car même faisant allusion à la première ligne des Evangiles selon Saint Jean, que « au commencement était le Verbe », ce moyen artistique reste plus du côté théâtral et littéraire que cinématographique.

Le Disciple est une injection puissante d’émotions qui se joue beaucoup sur la frontière entre le choc et le rire, entre l’obscurité et la lumière : Benjamin s’habille en noir – comme à la fois un moine et un diable, Grigori – en blanc, la mère de Benjamin, convertie, se met en bleu et bordeaux – le couleurs iconographiques des la Vierge Marie. On peut se faire plaisir à rechercher de nombreuses références comme celui de La Lamentation sur le Christ mort d’Andréa Mantegna dans les prises avec le seul ami de Benjamin, Grigori, qui s’avère être un ange handicapé ou un apôtre devenu victime des convictions de son idole ; on y trouve les références à Elephant de Gus van Sant en parlant de la lumière écrasante des baies vitrées opposées au dos sombre du personnage habillé en capuche noir. Le Disciple reste une véritable claque à la société russe et mondiale, un grotesque cynique revendiquant les sujets tabous.

Titre original : Le Disciple

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Durée : 118 mn


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