Le Cinéma de Claude Sautet

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Le cinéma de Claude Sautet constitue bien un cinéma marginal. Il n’intègre aucune tendance, et possède une touche très personnelle. C’est pour cela que Claude Sautet occupe une place particulière dans le cinéma français.

Claude Sautet est un réalisateur dont l’œuvre est souvent mal interprétée. Son cinéma est en réalité plus profond qu’il n’y parait.Le présent mémoire n’est pas une analyse de la société française à travers les œuvres de Claude Sautet. Il existe quelques travaux traitant cette question de manière approfondie, notamment l’ouvrage le Cinéma de Claude Sautet de Joseph Korkmaz (1985) et un mémoire de maîtrise réalisé par Gilles Fouquet intitulé la Société française et le cinéma de Claude Sautet (1992-1993). Il ne s’agit pas non plus d’une étude du cinéma de Claude Sautet d’un point de vue technique.

Ce mémoire, qui est loin d’être exhaustif, est une étude très générale s’intéressant tant au personnage de Claude Sautet et à son parcours qu’au contenu de ses œuvres et aux personnes qui ont joué un rôle important dans sa carrière ; Claude Sautet a en effet eu la chance d’avoir parmi ses nombreux collaborateurs des personnalités qui lui ont été fidèles. On abordera également certains aspects plus méconnus de sa carrière, notamment son travail en tant que scénariste.

La période la plus riche de la carrière de Sautet est sans doute la décennie 70. Sautet ne fait pas partie d’une tendance, d’un mouvement, ou d’une école. Il est en marge par rapport aux réalisateurs de son temps. Si l’œuvre de Sautet est unique en son genre, c’est sans doute en partie parce que lui-même est un auteur à facettes, difficile à situer. Plusieurs questions se posent. Premièrement, en quoi Claude Sautet représente-t-il un cinéaste atypique ? Dans quelles mesures, ensuite, le cinéma de Sautet est-il particulier dans le paysage cinématographique français ? En quoi, enfin, son œuvre est-elle appréciée, ou bien au contraire sévèrement critiquée ?

Ce mémoire est construit à partir de relativement peu de sources concernant Claude Sautet et son œuvre. L’unique ouvrage qui a servi de base à cette étude est le livre de Michel Boujut, Conversations avec Claude Sautet (Institut Lumière/ Edition Actes Sud). Il m’a semblé préférable en effet de forger ma propre réflexion à partir des propos mêmes de Claude Sautet plutôt que de me laisser influencer par les analyses que d’autres auteurs ont pu faire de son œuvre.

L’étude se décompose en trois parties. La première partie est chronologique et s’intéresse à ses réalisations : elle n’apportera pas grand-chose à celui qui a déjà une certaine connaissance des œuvres de Sautet. Cependant, elle permet de mieux appréhender les deux parties suivantes. Elle présente de manière anecdotique le début de la carrière de Sautet, moins connu, et propose en même temps une brève analyse de ses premières réalisations. Il est ainsi possible dans la deuxième partie de porter notre étude exclusivement sur les œuvres les plus représentatives du cinéma de Claude Sautet, et de ne plus traiter des réalisations antérieures aux Choses de la vie. Dans cette partie, sont analysés des éléments récurrents dans les films de Claude Sautet, lesquels sont mis en confrontation les uns avec les autres. Enfin, la troisième partie mettra en évidence la singularité de Claude Sautet et de son oeuvre, et tentera de répondre plus précisément aux problèmes posés dans cette introduction.

Biographie de Claude Sautet

Claude Sautet est né à Montrouge en 1924. Il s’intéresse très tôt aux différentes formes d’art, que ce soit la musique, la peinture ou encore la sculpture. Il découvre le cinéma dans les salles de banlieue aux côtés de sa grand-mère, et va commencer à l’apprécier. Aussi décide-t-il de s’orienter vers le milieu artistique : son goût pour le cinéma l’amène à intégrer l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC). Mais c’est en tant que critique musical pour le journal Combat qu’il commence dans le domaine artistique. A 25 ans, il a une première expérience dans le cinéma sur le plateau de Occupe-toi d’Amélie réalisé par Claude Autant-Lara, comme septième assistant. Sa carrière ne commence cependant qu’en 1955, avec la réalisation d’une comédie, Bonjour sourire, dans laquelle il réunit Annie Cordy, Jean Carmet et Louis de Funès. Le film sort dans l’indifférence totale. C’est un polar qui va le propulser sur le devant de la scène, à l’époque de la Nouvelle Vague : Classe tous risques, réalisé en 1959. Les acteurs principaux, Jean-Paul Belmondo et Lino Ventura, ne se sont alors jamais rencontrés. Sautet vient d’ailleurs de collaborer au scénario d’un film de Maurice Labro intitulé Le fauve est lâche, dans lequel tourne Lino Ventura. Classe tous risques ne fait cependant pas beaucoup parler de lui à sa sortie.

Mais Sautet y fait transparaître déjà son goût pour l’étude de ses personnages et de leurs caractères, plus que pour la logique du film noir et du suspense. L’Arme à gauche, son troisième long métrage réalisé en 1964 et dans lequel il fait à nouveau jouer Lino Ventura, passe quant à lui inaperçu. Commence pour Claude Sautet une période de doute. Il prend alors Jean-Loup Dabadie comme scénariste de ses films, et la collaboration entre les deux hommes s’avère féconde : Les Choses de la vie (1969), est le premier résultat de leur travail commun. Le film révèle l’originalité et l’esprit de son auteur : des personnages attachants, des intrigues méticuleusement bâties, une attention particulière faite aux détails. Les interprètes, Romy Schneider et Michel Piccoli, font des prestations réussies au milieu d’une mise en scène parfaitement maîtrisée.

Le film, chaleureusement accueilli par la critique et le public, marque le début de la période la plus riche de la vie de Sautet en tant que cinéaste. Romy Schneider devient son actrice fétiche. Il va enchaîner avec elle cinq films à succès, Max et les Ferrailleurs (1971), César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul et les autres (1974), Mado (1976), et Une histoire simple (1978). Ces œuvres confirment son image de spécialiste de l’étude de mœurs, du portrait collectif, de l’analyse des caractères. En parallèle, de nombreux scénaristes en mal d’inspiration faisant appel à lui, il collabore aux scénarios de films tels que Peau de banane (1963) de Marcel Ophuls, Echappement libre (1964) de Jean Becker ou Borsalino (1970) de Jacques Deray.

Malgré le succès, Claude Sautet est en quête de renouvellement et va réussir à changer d’univers avec Un mauvais fils (1980) d’abord, réunissant Patrick Dewaere, Yves Robert et Jacques Dufilho, et Garçon ! (1983), avec Yves Montand, ensuite. Cette dernière réalisation reçoit un accueil très partagé et fait à nouveau douter Claude Sautet. Après quelques années de silence, période pendant laquelle il rencontre le scénariste Jacques Fieschi qui lui permet de retrouver de la motivation, il refait surface en 1987 avec Quelques jours avec moi, dont les principaux interprètes sont Daniel Auteuil et Sandrine Bonnaire. Le film fait preuve d’un réalisme psychologique cher à son auteur et est bien accueilli par le public français. En 1992, Sautet réalise Un cœur en hiver, film dans lequel tourne Daniel Auteuil aux côtés d’Emmanuelle Béart : il entre dans un univers encore différent, fait de retenue, de non-dits, d’intimité. On retrouve cet univers dans Nelly et Monsieur Arnaud, réalisé en 1995, où sont réunis Emmanuelle Béart et Michel Serrault. Ce film vient parachever l’œuvre de Claude Sautet. Claude Sautet est mort à Paris, le 22 juillet 2000.

Partie 1 : Présentation générale de l’œuvre de Claude Sautet

Chapitre 1 : Les débuts de Claude Sautet au cinéma

La première expérience de Claude Sautet en tant que metteur en scène est une comédie, Bonjour sourire (1955). Les interprètes sont Jean Carmet, Louis de Funès et Annie Cordy. Le film sort dans l’indifférence et sera renié par son auteur. C’est en 1960 que l’aventure commence véritablement pour Claude Sautet. Celui-ci est enthousiaste et confiant. Il réunit Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo pour tourner dans un polar, Classe tous risques. Pourtant, après quelques mois de travail, les désaccords apparaissent avec les producteurs qui doutent en la crédibilité d’un héros agressif et meurtrier. Ils finissent par remettre en cause totalement le scénario de Claude Sautet et José Giovanni. Lino Ventura tente de soutenir Claude Sautet que les producteurs envoient auprès de Morris Ergaz, alors coproducteur italien. Ergaz accepte le projet et n’en exige aucune modification, mais à la condition que Sautet fasse jouer sa petite amie Sandra Milo. Le sujet est donc conservé. L’intérêt du film réside notamment dans sa progression : au début, on nous présente la vie ordinaire de deux personnages à Milan, qui vont progressivement aller vers leur déchéance. C’est tout un milieu traditionnel dont Sautet nous fait part ici de l’extinction. Sautet s’attache dans la mise en scène à décrire le comportement physique des personnages et la manière dont ils se meuvent. C’est à travers ce mouvement que Sautet cherche à faire transparaître la subjectivité des personnages, et notamment leur malaise.

Tout au long du tournage, Sautet tente de produire quelque chose d’inattendu, d’imprévisible. Il a pu rencontrer un certain nombre de difficultés auxquelles peut être confronté un jeune metteur en scène, comme des problèmes d’éclairages ou d’unité entre l’atmosphère des décors naturels et celui des studios. Sautet doit également se charger de la distribution : le premier personnage est attribué à Ventura sans difficulté. Pour le second personnage, il fait appel à Jean-Paul Belmondo qu’il ne connaît pas et qu’il a découvert dans le film les Tricheurs de Claude Chabrol. Il choisit les seconds rôles avec beaucoup d’attention. Sautet a pu pendant le tournage manquer de moyens financiers mais a bénéficié d’une très bonne coopération avec le producteur italien, lui permettant de finir son film dans des conditions correctes. Dès ce « premier » film, Sautet ne décrit pas un milieu en en n’ayant aucune connaissance, en parfait inconnu.

Il a en effet quelques expériences de l’univers des truands qui lui permettent d’aborder son sujet avec réalisme, sans tomber dans certains clichés. Le public n’est pas au rendez-vous pour Classe tous risques, même si la critique est globalement bonne. Quelques journaux cependant n’hésitent pas à donner un point de vue très négatif : le journal Combat, pour lequel il a travaillé dans le passé, écrira même : « …Quant à la mise en scène, inutile de citer le nom de l’auteur puisqu’elle est nulle… ». A la profession de metteur en scène à laquelle s’est préparée Claude Sautet, s’ajoute avec Classe tous risques une deuxième vocation: scénariste. Il a en effet dû fortement contribuer au scénario du film. S’il affiche alors une préférence nette pour la mise en scène, les circonstances vont faire qu’à partir de cette période, il va être sollicité pour donner un coup de main aux scénaristes à court d’idées, à telle point qu’il va se voir attribuer l’image d’un « ressemeleur de scénarios ».

A Rome, il va collaborer au scénario d’une vingtaine de films. Ce n’est qu’en 1971, lors de sa ressortie en salles à Paris, que Classe tous risques va être reconnu par le public. Avec Classe tous risques, apparaissent les premières difficultés, de l’entente avec un producteur à la sortie en salle et à l’accueil du public, en passant bien entendu par le tournage. Mais ce film révèle également un metteur en scène – scénariste méticuleux, très attaché à la construction du film et déjà, soucieux de réalisme. Lorsque, deux ans après cette expérience, Classe tous risques rencontre un certain succès à sa ressortie en salle, Sautet est fiché comme un spécialiste des films policiers et reçoit des propositions essentiellement orientées autour de polars. En réalité, Claude Sautet ne se sent pas dans son élément dans ce genre de films : si, dans Classe tous risques, il fait appel aux ressorts du film noir, c’est surtout à l’analyse du caractère et des comportements de ses personnages qu’il s’intéresse. Par ailleurs, les mauvaises critiques à la sortie du film ne l’encouragent pas à tourner à nouveau des polars.

Il va pourtant tourner un dernier film d’hommes en 1964 : L’Arme à gauche. Il s’agit de l’adaptation d’un roman de Charles Williams, intitulé Aground (Ont-ils des jambes ?). Il se livre avec ce troisième long métrage à un exercice de style. L’Arme à gauche est un film de guerre mettant en scène, à nouveau, Lino Ventura, dans le rôle du capitaine, et l’américain Leo Gordon, dans le rôle du « méchant ». L’idée d’un affrontement entre le Bien et le Mal, à travers le face à face Ventura-Gordon, représente l’intérêt du film. Le tournage a lieu à Punta Umbria, près de Cadix. Sautet demande à Léa Massari de jouer le personnage féminin, mais c’est finalement Sylva Koscina qui obtient le rôle. Un bateau immobile au milieu de la mer va être au centre de l’intrigue. Sautet est confronté à des conditions de tournage particulièrement difficiles, ayant entrepris de tourner en pleine mer, et à des problèmes d’éclairages.

Les tensions au sein de l’équipe entre français et espagnols n’aidant pas, Sautet se voit dans l’obligation de reconstituer en studio une partie des décors, dont le bateau. Par conséquent des plans prévus initialement en décors naturels sont réalisés en studio. Par ailleurs, Sautet réalise un certain nombre d’erreurs qui lui coûteront sans doute la réussite de ce film. En effet, par souci de fidélité à l’ouvrage de Williams, il accumule les scènes explicatives et les personnages secondaires sans importance en début de film. L’accueil du public est donc froid. Sautet sort de l’aventure extrêmement découragé, et envisage même de laisser définitivement tomber la mise en scène pour se recentrer uniquement sur l’écriture de scénarios. Claude Sautet fait dans ce film davantage confiance aux gestes et à l’action qu’à la richesse du dialogue, lequel est au contraire très sobre. L’Arme à gauche présente donc des caractéristiques assez différentes de celles que l’on reconnaît par la suite au cinéma de Claude Sautet.

On remarque que Claude Sautet s’est jusqu’alors concentré sur un cinéma d’hommes. Les personnages féminins de ses films ne sont que secondaires, ce qui explique qu’il ne leur porte pas encore une attention particulière. Après le tournage cependant, Sautet envisage de mettre en scène la rencontre d’une jeune femme et d’un ouvrier algérien, dans une adaptation d’un roman de Claire Etcherelli : Elise ou la vraie vie. Le projet ne voit jamais le jour, Sautet n’ayant pas trouvé de producteur pour acheter les droits du livre. Il faut donc attendre 1969 et Les Choses de la vie, pour que la femme devienne un personnage vraiment important chez Claude Sautet. Les Choses de la vie ouvre en fait une période de bouleversement total dans le cinéma de Claude Sautet.

Chapitre 2 : L’apogée de sa carrière

Les Choses de la vie marque le début d’une longue collaboration entre Claude Sautet et Jean-Loup Dabadie, alors journaliste. C’est ce dernier qui va prendre l’initiative du film en soumettant à Claude Sautet en 1968 un traitement qu’il a rédigé d’après le livre de Paul Guimard, Les Choses de la vie. Le film est réalisé en 1969. L’enjeu du film est double pour Claude Sautet : il a le défi de réaliser un exploit pour l’époque en reconstituant un accident de voiture de grande ampleur et de manière réaliste ; c’est ensuite l’occasion pour Sautet de traiter pour la première fois dans son cinéma des relations homme-femme.

Les Choses de la vie décrit un univers bourgeois, et présente des personnages de la vie quotidienne, du genre de ceux que Sautet côtoie régulièrement. Aux noms d’Yves Montant et d’Annie Girardot, prévus initialement dans le contrat, Sautet substitue spontanément ceux de Michel Piccoli et Léa Massari qu’il imagine parfaitement dans les rôles. Pour trouver l’autre femme, Sautet prend un peu plus de temps. On lui propose Romy Schneider. N’ayant d’elle que l’image de Sissi, il est un peu réticent mais est vite séduit par sa prestation dans La Piscine. Il la prend. Pour la première fois, Sautet se retrouve dans son personnage principal, Pierre (Michel Piccoli), un homme hésitant, plongeant dans l’isolement, préférant adopter un comportement de fuite face à la vie. L’accident dont il est victime n’est pas fortuit : c’est la conséquence d’une trop grande distraction, d’un apaisement, d’un bien-être soudain après l’état d’enfermement dans lequel il est tombé.

Il se sent subitement libéré d’un poids en ne postant pas la lettre de rupture. Sautet livre une explication psychologique du rapport homme-femme hors de tout dialogue. L’évènement spectaculaire que constitue l’accident vient mettre en valeur la banalité des personnages et de leur histoire. Le tournage de l’accident constitue un véritable tour de force et Sautet réalise l’exploit de rendre réaliste un accident issu de son imaginaire et qui, de surcroît, n’aurait jamais pu se produire dans la réalité ! « C’était purement imaginaire, mais cela semblait plus vrai que vrai », confiera-t-il. Du fait de l’état comateux de la victime et de sa marche progressive vers la mort, Sautet nous fait entrer aisément dans ses souvenirs, ce qui explique la limpidité avec laquelle se succèdent les flashs-back. La mort de Pierre, comparée à une lente noyade, nous renvoie à un cauchemar classique. Sautet fait appel pour ce film à un certain nombre de collaborateurs qui lui seront fidèles : Jean-Loup Dabadie bien sûr pour les dialogues, Jacqueline Thiédot pour le montage, Jean Boffety pour la photo, ou encore Philippe Sarde pour la musique. Sautet a également bénéficié d’excellents acteurs pour interpréter les seconds rôles des Choses de la vie, tels que Jean Bouise, Boby Lapointe ou Hervé Sand. Les Choses de la vie remporte un véritable succès à sa sortie et obtient le prix Delluc. Les Choses de la vie, c’est « le plus beau poème que l’on puisse offrir à l’insignifiance du quotidien », écrit alors une journaliste de province.

Son film suivant , Max et les Ferrailleurs, est une adaptation du roman de même nom de Claude Néron. Le film est réalisé en 1971. Son univers est radicalement différent de celui des Choses de la vie. En effet, du milieu bourgeois, Sautet passe avec Max et les Ferrailleurs à celui des marginaux et de la banlieue. C’est en fait ce fossé entre les deux univers qui stimule Claude Sautet. Sous la pression des producteurs, Sautet demande à Yves Montand et à Alain Delon d’interpréter le rôle de Max, mais ils refusent tous les deux. Dans le même temps, Marlène Jobert refuse le rôle de Lily, la prostituée. Romy Schneider se propose alors pour le rôle, et Sautet, qui imagine difficilement Schneider dans un rôle de prostituée, se laisse néanmoins entraîner par la motivation de l’actrice et accepte. C’est finalement Piccoli qui interprétera Max. Sautet se retrouve ainsi avec les deux acteurs des Choses de la vie pour des rôles totalement différents.

Il fait également appel à un certain nombre de seconds rôles des Choses de la vie, tels que Boby Lapointe et Dominique Zardi. Sautet décrit la façon de pensée des théoriciens et leur perversion, à travers le personnage de Max, un policier idéaliste et cynique. Il a recours à la manipulation et à la trahison pour parvenir à ses fins. Par là même, il s’auto-détruit. Ce milieu peu fréquentable n’est pas totalement étranger à Sautet, ayant grandi en banlieue, tout comme son coscénariste Claude Néron, lequel a pu mettre le pied directement dans l’univers des ferrailleurs au cours de son existence. Michel Piccoli se sent particulièrement à l’aise dans son rôle, tout comme Romy Schneider qui réussit le pari d’être crédible dans un personnage populaire. Plus encore que dans Les Choses de la vie, Sautet cherche à esthétiser ses sujets pour rendre le fait divers intéressant. Il nous livre astucieusement plusieurs points de vue sur le hold-up piégé, en commençant par un regard objectif sur l’épisode pour ensuite nous donner celui de différents protagonistes. Il décrit avec soin la déchéance d’un homme jusqu’au-boutiste, envahi par la honte et le désespoir, qui finit par tuer son collaborateur, Rozinsky. Max et les Ferrailleurs obtient un succès moins important que Les Choses de la vie. Une explication est qu’une partie de la bourgeoisie a pu être réticente à l’idée de retrouver Schneider et Piccoli dans des rôles aussi avilissants, après leur prestation dans Les Choses de la vie… Et le cinéma est une activité essentiellement bourgeoise. Néanmoins, Max et les Ferrailleurs restera le film préféré de son auteur.

En 1972, neuf ans après en avoir rédigé une première version, Sautet réalise César et Rosalie. L’œuvre qu’il produit est en fait très différente de la version de 1963. Les personnages en particulier sont profondément modifiés : si César finançait les circuits de moto sur lesquels David faisait des courses à l’origine, le premier est devenu ferrailleur tandis que l’autre est un dessinateur de bandes dessinées, c’est-à-dire un personnage désormais très différent de César. La fin est également changée. Autrement dit, David est un personnage qui produit du rêve, César est celui qui détruit les produits de rêves passés. Catherine Deneuve, très enthousiaste, se propose dans un premier temps pour interpréter le rôle de Rosalie, mais refuse finalement. Sautet choisit alors Romy Schneider, qui saura puiser dans le pathétique et ainsi mettre en valeur son personnage. Le rôle de César est destiné à Yves Montand qui correspond parfaitement au personnage. Pour David, Sautet fait appel à Sami Frey dont il apprécie le charme et l’élégance. Le script de César et Rosalie est le premier scénario original de Claude Sautet.

Celui-ci soigne particulièrement le personnage de César et son caractère extraverti. Le personnage est en effet intéressant : c’est un homme sans complexe, ayant fait ses preuves, baratineur, impulsif, possessif… et c’est aussi quelqu’un de « primaire » et de vulnérable, supportant difficilement l’idée d’avoir à partager Rosalie avec un autre homme. Celle-ci l’aime pour sa vitalité et, sans doute, sa grande originalité. César devient très vite un personnage attachant. Mais Rosalie est en même temps amoureuse de David, plus jeune, doux, sombre, secret, fier…c’est-à-dire l’opposé de César. Rosalie est une femme rayonnante mais qui a du mal à s’épanouir. Loyale, elle est prête dans la première partie du film à ne plus revoir David, mais elle se détache peu à peu et malgré elle de César, désireuse de revoir David. Les deux hommes se rencontrent, et se livrent dès lors un combat pour la conquête de Rosalie. Provocations, disputes, discussions viendront jalonner leur relation, jusqu’à ce qu’ils deviennent amis. Le film décrit donc la combativité de trois personnages déterminés à aller jusqu’au bout, au prix d’une certaine souffrance. Aucun des trois n’abandonnera. Rosalie ne voit pas d’autre solution que de s’en aller, les laissant à leur amitié. Lorsqu’elle revient à la fin devant le pavillon de César, elle découvre David et César ensemble. C’est pour César qu’elle est revenue. Néanmoins, les trois personnages sont gagnants, car ils forment « le trio nécessaire », comme l’écrit alors Paul-Louis Thirard dans la revue Positif. On a en effet l’impression que les trois personnages vont désormais pouvoir avoir une vie commune. La mise en scène est dynamique, à l’image du personnage de César, et les plans s’enchaînent de manière très fluide. La moitié des scènes sont réalisées en studio, les scènes de campagne étant quant à elles tournées à Noirmoutier.

En 1974, Claude Sautet entreprend de porter à l’écran le roman de Claude Néron La Grande Marrade. Le film s’appelle Vincent, François, Paul et les autres. Le roman, décrivant de façon réaliste l’univers de la banlieue, est dense, avec de très nombreux personnages, rendant le film difficile à réaliser. En outre, le pessimisme exagéré des personnages et la noirceur de l’histoire convient peu à Claude Sautet. Celui-ci, avec Néron et Dabadie, décide donc de mettre l’accent sur certains personnages et de les faire évoluer les uns par rapport aux autres, quitte à modifier les épisodes. Mais les bases du roman sont conservées. Les personnages, anciens militants de gauche pour la plupart, représentent des êtres déçus par la vie, résignés face au temps qui passe. Sautet décrit ici le malaise d’une époque, celle des années 70. Il révèle le quotidien profondément morose de personnages en proie à des déboires professionnels, sentimentaux ou personnels.

Les personnages sont représentés en bande, ce qui fait de l’œuvre un film choral. Yves Montand, Michel Piccoli et Serge Reggiani interprètent respectivement Vincent, François et Paul. Les autres, ce sont leurs femmes, leurs enfants et leurs amis. Gérard Depardieu, dont Sautet apprécie la sensualité et la fougue, est sollicité pour jouer le rôle de Jean, le jeune boxeur. Si les personnages sont fidèles les uns aux autres et se fréquentent tout au long de leur vie, le groupe est en fait sans cesse menacé de décomposition à cause d’une lutte entre l’amitié d’un côté, et la jalousie de l’autre. Ses membres sont unis par les échecs de leur vie. Vincent, Paul et François ont connu une ascension sociale, ce qui leur a permis de quitter la banlieue pour s’installer à Paris. Mais ils gardent cet attachement à la banlieue, où peuvent se côtoyer des gens aux activités totalement différentes.

L’un des intérêts du film réside dans la diversité des personnages. Vincent est fabricant de pièces détachées, François est médecin, Paul est écrivain. Tous les trois n’ont pas eu le même niveau d’instruction, comme en témoigne leur manière respective de s’exprimer. Les femmes sont spectatrices dans ce film, mais ont de l’importance, en particulier les épouses respectives de François et Vincent, interprétées par Marie Dubois et Stéphane Audran. Vincent va connaître des difficultés financières qui vont le conduire à un infarctus et à vendre son usine. Paul ne parvient pas à achever son roman. François est confronté à des problèmes de couple. Jean, le jeune boxeur, est un personnage intéressant car il fait figure de fils pour Vincent. La fin est faussement optimiste : l’amie de Vincent, Marie, revient vers lui mais celui-ci garde l’illusion d’un retour impossible de sa femme, Catherine. La musique, signée Philippe Sarde, correspond parfaitement à l’ambiance recherchée par l’auteur, alternant discrétion et dynamisme. Vincent, François, Paul et les autres est sans doute l’un des films les plus réalistes de Claude Sautet : celui-ci reconnaît que les personnages ressemblent étrangement à ceux qu’il rencontre quotidiennement, et qui correspondent à toute une catégorie d’individus suscitant son intérêt, ses interrogations, peut-être aussi sa compassion. Ce film confirme son image de spécialiste du portrait de groupe. Il sera d’ailleurs considéré comme un film sociologique, décrivant la société française et les mœurs petites-bourgeoises sous Giscard d’Estaing.

Avec Mado, réalisé en 1976, Claude Sautet cherche à décrire des relations plus dures entre les personnages que celles présentes dans Vincent, François, Paul et les autres. Mado décrit une société qui stagne, qui n’arrive pas à évoluer. Sautet s’inspire d’un roman de Buzzati intitulé Un amour pour écrire le scénario du film, en compagnie de Claude Néron. Mado est une jeune prostituée qui entretient une relation avec Simon, un promoteur immobilier et un bourgeois misogyne. Claude Sautet s’intéresse ici à la corruption dans les milieux de l’immobilier, aux trafics d’influence pour les permis de construire. Michel Piccoli, cher à Claude Sautet, incarne le personnage de Simon. Pour jouer Mado, Sautet fait appel à une comédienne peu connue des français, Ottavia Piccolo. Pour lui, l’actrice a le physique d’une paysanne, ce qui lui permet de dégager une certaine intensité.

Il choisit pour le personnage de Pierre son cousin Jacques Dutronc, dont il apprécie le caractère à la fois orgueilleux et réservé. Pierre est un personnage discret, témoin des évènements qui se succèdent. Julien Guiomar, Charles Denner et Michel Aumont interprètent les trois crapules du film. Ils manient les magouilles avec beaucoup de crédibilité. D’autres comédiens et comédiennes de renom interprètent les personnages secondaires : Romy Schneider (dans le rôle de l’ancienne compagne de Simon), Jean Bouise, Bernard Fresson, Nathalie Baye, Nicolas Vogel, Jean-Paul Moulinot… Le personnage de Mado, qui a donné son nom au film, est une prostituée « occasionnelle », qui choisit ses clients, en toute indépendance, et qui se débrouille pour survivre. Elle est en fait au centre des rapports des uns avec les autres. Sautet met en évidence la séparation entre les jeunes, victimes du chômage, et les plus âgés, à la situation aisée, qui spéculent.

Simon est un promoteur immobilier qui se veut honnête ; c’est ce qui va l’opposer au personnage sans scrupule de Lépidon, qu’il va chercher à coincer par tous les moyens. Il y parviendra, après maintes manigances. Pourtant, vis-à-vis de Mado, Simon n’est pas forcément quelqu’un de très honnête. Mado a une relation avec Simon, d’une part, et avec Manecca, une autre canaille, d’autre part. Lors de sa séparation avec ce dernier, elle connaît une grande détresse. Elle se rapprochera alors de Pierre, la seule personne à partager sa souffrance. A la fin, Simon est confronté à la fois à un succès et à un échec : il a vaincu Lépidon mais il a aussi perdu Mado, ce qui le plonge dans l’isolement. Les jeunes du groupe le jugent en outre assez durement : ils le considèrent comme étant finalement aussi canaille que Lépidon. Seul Pierre, personnage discret, ne s’avance guère, mais demeure une sorte de témoin. Une des scènes mémorables du film reste le moment où les voitures s’enlisent une nuit de forte pluie, après une soirée euphorique, scène dont le tournage donne à Claude Sautet du fil à retordre. Dans cette scène, les personnages, impuissants face à l’embourbement de leurs véhicules, se résignent à accepter cette situation délicate, à tel point que l’enlisement se transforme en fête. L’accompagnement musical est peu présent dans le film, le rendant ainsi plus cru et plus réaliste. Mado, à travers une histoire compliquée et confuse, dévoile un contexte social qui semble se refuser à tout changement.

Une histoire simple, film réalisé en 1978, est le premier de son auteur consacré aux femmes. Ce sont ici en effet les femmes qui sont mises à l’honneur, à une époque où le féminisme est très en vogue. Sautet écrit le scénario avec Jean-Loup Dabadie. Il donne à Romy Schneider le rôle principal du film. En 1978, Une histoire simple apparaît clairement comme un film d’actualité : il traite de sujets sensibles tels que l’avortement (la loi sur l’avortement vient alors d’entrer en vigueur), ou les restructurations et licenciements, fréquents à la fin des années soixante-dix. Sautet se sent dans l’obligation d’évoquer ce contexte social difficile en trame de fond, tellement il fait partie de la vie quotidienne à l’époque. Il s’agit en même temps d’un film très dynamique. Tout commence par la décision d’une femme divorcée, Marie (Romy Schneider), d’avorter sans en demander l’avis de son compagnon qu’elle a l’intention de quitter.

Celui-ci, légèrement macho, aura du mal à le supporter. Le film est tout entier tourné vers une analyse des femmes et des relations entre elles. Sautet présente des femmes unies et solidaires, dont l’amitié est née au cours de leur activité professionnelle ; elles travaillent en effet toutes dans la même entreprise. Les seconds rôles féminins sont essentiels : autour de Romy Schneider, on retrouve Arlette Bonnard dans le rôle de la meilleure amie de Marie, mais aussi Sophie Daumier, Francine Bergé ou Eva Darlan. Des actrices très différentes les unes des autres pour des rôles non moins différents : on observe une grande diversité de personnalités entre la bonne copine (Daumier), la militante (Bergé), la femme un brin vénale et libertine (Darlan). C’est cette différence d’attitudes qui va être à l’origine de discussions animées sur la morale et les mœurs entre les membres du groupe lors d’un séjour à la campagne.

Seule Marie ne prend pas part à ce genre de discussions : elle écoute. En fait, c’est une femme tournée vers les autres, toujours disposée à écouter leurs histoires, leurs problèmes. Les hommes sont dans ce film devenus les victimes. On ne peut exprimer que de la compassion devant le désarroi de Jérôme (Roger Pigaut) qui veut se suicider et celui de Serge (Claude Brasseur) qui s’accroche vainement à Marie qui ne veut plus de lui…Seul Georges, interprété par Bruno Cremer, est mis en valeur, dans son personnage de leader syndical. Ce dernier n’est pourtant pas placé dans une situation facile puisqu’il est amené à faire un choix entre le devoir professionnel et les tentations affectives : il va finalement devoir licencier un de ses plus fidèles collaborateurs, devenu incompétent… La fin du film n’est pas dénuée d’optimisme : Marie, qui comprend qu’elle ne pourra pas reconquérir l’homme qu’elle aime, Georges, décide néanmoins de garder l’enfant qu’elle attend de lui, sans lui en dire mot. Elle se rend compte qu’elle a besoin de cet enfant pour sortir de la solitude. Une histoire simple est une description fidèle des réalités économiques de cette période de crise que constituent les années soixante-dix. C’est en même temps une excellente analyse des rapports humains, des histoires de couples comme des relations que peuvent entretenir les femmes entre elles. C’est peut-être ce réalisme exacerbé qui a valu à Claude Sautet l’image d’un réalisateur trop « moraliste ». La mise en scène d’Une histoire simple en tout cas a su mettre en relief la diversité des atmosphères voulues par son auteur. Le film présente relativement peu de plans ce qui lui permet de gagner en simplicité et en continuité ; certaines séquences sont d’ailleurs tournées en une seule fois. Une histoire simple est un film relativement bien accueilli par le public français lors de sa sortie, même s’il ne lésine pas sur les problèmes de société de l’époque et peut paraître très féministe.

Chapitre 3 : La remise en question des années 80 et les dernières œuvres

Les années 80 représentent un tournant dans la carrière de Claude Sautet. C’est une période de doute et de remise en question pour le réalisateur.

Il va d’abord chercher un second souffle avec Un mauvais fils (1980). Le film est tiré d’un court récit de Daniel Biasini, le mari de Romy Schneider. Dans le film, un ancien drogué, ayant été détenu en prison plusieurs années aux Etats-Unis pour « usage et trafic de stupéfiants », revient en France où il retrouve son père. Dans le récit de Biasini, l’accent était mis sur un personnage féminin, Catherine, plus que sur la relation père-fils. Avec Un mauvais fils, Sautet change à la fois de milieu social (les personnages appartiennent au milieu populaire) et de génération, puisqu’il s’intéresse désormais aux jeunes. Le film est donc pour Sautet un moyen de s’écarter de l’univers de ses œuvres précédentes, tournées vers des personnages de sa génération, traités avec compassion et attendrissement. Après avoir pensé à Gérard Depardieu pour le rôle de Bruno, le « mauvais fils », il opte finalement pour Patrick Dewaere, concurrent de Depardieu à l’époque, séduit par son tempérament et par l’impression de vulnérablité qu’il communique. Yves Robert est choisi pour interpréter le père de Bruno.

En arrivant en France, Bruno est mal accueilli par son père, un petit contremaître chef de chantier habitant Saint-Ouen, chez qui il vient pourtant chercher du soutien. Les deux personnages manifestent tout de suite des difficultés de communication. Le père de Bruno a une vision de la vie particulièrement pessimiste, et va mal assumer ses responsabilités de père. Il va même rendre Bruno responsable de la mort de sa mère. Bruno ne reste donc pas vivre avec son père. C’est finalement un libraire, Dussart, brillamment interprété par Jacques Dufilho, qui va le prendre sous sa protection et l’embaucher dans la librairie dont il s’occupe. Bruno y rencontre une jeune femme, Catherine, jouée par Brigitte Fossey, ancienne droguée elle aussi. Leur collaboration est d’abord difficile, tendue, jusqu’à ce que Bruno lui révèle ses sentiments…C’est le début de leur relation. Bruno s’installe chez elle. Mais Dussart redoute la fragilité de leur couple. Bruno et Catherine ne vont d’ailleurs pas tarder à retomber dans leurs erreurs passées. C’est Dussart qui va tenter de les remettre sur la bonne voie…Au terme d’un parcours initiatique, Bruno se réconcilie avec son père et se lance dans un métier qu’il apprécie : menuisier. Sa relation avec Catherine semble devenir solide. Le tournage s’effectue essentiellement en décors naturels : la librairie est à l’époque une vraie librairie de la rue Bonaparte, et les locaux d’une banque de Saint-Ouen sont utilisés pour la reconstitution de l’appartement de Catherine et de celui du père. Avec Un mauvais fils, Sautet met fin aux portraits de groupe qui ont caractérisé ses réalisations des années 70.

Trois ans plus tard, Claude Sautet réalise Garçon ! Le film décrit la vie d’une brasserie dont l’activité est filmée comme un ballet. Le personnage principal, interprété par Yves Montand, est inspiré d’un serveur au dynamisme étonnant que voyait alors régulièrement Claude Sautet dans un restaurant de la rue de Ponthieu, au début des années 70.

Le scénario est le fruit de la collaboration de Claude Sautet avec Jean-Loup Dabadie. Yves Montand, sollicité pour le rôle, accepte sous certaines conditions : il exige en effet qu’Alex, le personnage principal, ne soit pas qu’un garçon de restaurant, mais qu’il ait également des projets. Le point de vue initial de Sautet et Dabadie est donc remis en cause. Alex devient alors un garçon ayant pour ambition de créer un parc d’attractions sur un terrain qu’il possède à Noirmoutier. Montand se livre à des exercices de manipulations de plats au milieu des serveurs véritables de Chez Flo. La mise en scène est dynamique, et l’activité de la brasserie évoque une pièce de théâtre dont les comédiens sont les serveurs. Le tournage des scènes à l’intérieur de la brasserie a lieu en studio, à Epinay, et Sautet fait appel au savoir-faire des garçons et cuisiniers de Chez Flo, faisant par la même occasion figure de figurants. Le film apparaît à la fois comme un documentaire dans sa description du métier de garçon et des rapports qu’entretiennent les garçons avec les cuisiniers, dont ils ne font qu’exécuter les ordres, et comme une fiction à travers le portrait de groupe qui prend la forme d’une chorégraphie à l’intérieur de la brasserie. Cette impression de ballet se retrouve même en dehors de la brasserie, au cours de la relation entre Alex et le personnage de Claire.

La trame en plans-séquences permet de saisir le mouvement et l’animation dans la brasserie. A la vie de la brasserie viennent se greffer les histoires de cœur d’Alex, qui est un vieux garçon ayant deux maîtresses : il est en effet constamment tiraillé entre le goût de l’aventure et le désir de confort. C’est en rendant visite à un couple habitant la banlieue, Armand et Jeannette, qu’il fait la connaissance de Claire, jouée par Nicole Garcia, une femme supérieure à lui intellectuellement, qu’il essaye de séduire. Mais une relation entre les deux personnages est difficilement envisageable…Le film est un demi-succès. La fin du tournage de Garçon ! marque la fin de la collaboration entre Sautet et Dabadie d’une part, ce dernier souhaitant devenir un auteur à part entière, et Jean Boffety d’autre part, lequel s’essoufle aux yeux de Claude Sautet. En fait, Garçon ! est à l’origine d’une crise plus profonde : Sautet avoue ne pas beaucoup apprécier cette œuvre qu’il considère comme « trop à [sa]main » et dont la fin, faisant oublier la brasserie qui est pourtant au centre du film, provoque chez lui une certain frustration. Il ressent le besoin de renouveler son équipe de travail, ses acteurs. Il est plongé dans le doute, et pense même à arrêter la réalisation pour se concentrer uniquement sur l’écriture de scénarios pour les œuvres d’autres auteurs. Pendant cette période de trouble, il se lance dans la réalisation de publicités et va travailler temporairement à la SACD, la Société des auteurs.

Quelques jours avec moi, film réalisé en 1987, est tiré d’un roman de Josselin de même nom. Un fils de famille, personnage décalé sortant d’une maison de repos, est envoyé en mission par sa famille pour inspecter les succursales de la société familiale, à savoir une chaîne de supermarchés. Sautet soumet l’idée à un jeune producteur, Philippe Carcassonne, qui accepte le projet, et va s’attaquer au scénario en compagnie de Jacques Fieschi et Jérôme Tonnerre. Cette nouvelle collaboration participe au nouveau départ que souhaite alors prendre Sautet : une nouvelle équipe, un nouveau personnage en la personne de Martial, le fil de famille incarné par Auteuil, qui cherche à sortir du cadre familial. Il est envoyé en province où il se mélange aux petits-bourgeois locaux. Là, il rencontre une jeune employée de maison, Francine, dont il est attiré.

Sautet fait appel spontanément à Sandrine Bonnaire pour incarner Francine, laquelle accepte le rôle sans grand enthousiasme dans un premier temps. Martial ne va pas plus loin que Limoges, où il déstabilise le gérant du magasin, Fonfrin, interprété par Jean-Pierre Marielle, dont les écritures comptables ne sont pas très nettes. Il joue avec lui un jeu un peu pervers. Son art de la manipulation opère également vis-à-vis de Francine : celle-ci le touche par sa beauté et sa sincérité. Mais elle a un compagnon, Fernand, que joue Vincent Lindon. Martial perturbe constamment Fonfrin et son épouse, notamment lors d’une soirée qu’il organise avec Francine dans leur appartement. Petit à petit, il tombe amoureux de Francine. En réalité, ce n’est pas de Fernand qu’il est jaloux, mais d’un voyou, Rocky, un homme louche mais séduisant, patron d’un bar, que fréquente Francine.

Martial est obligé de revenir momentanément à Paris pour régler des affaires de famille. Il revient ensuite à Limoges, où il va connaître une dégradation sociale. Il pense sérieusement à se débarrasser de Rocky, mais c’est finalement Fernand qui commet le crime. Martial va alors assumer la responsabilité de ce meurtre, en même temps que Francine s’attache à lui. Il finit dans un hôpital psychiatrique. La fin du film le montre dans le jardin de l’hôpital, sous la neige, totalement serein. Francine arrive alors qu’il ne l’attend même pas. Le tournage a lieu en partie en décors naturels : un seul plan est en fait tourné à Limoges (l’arrivée de Martial), le reste ayant été tourné à Enghien et Melun. Les scènes en studio ont été réalisées à Epinay. Quelques jours avec moi prend progressivement la tournure d’un drame. L’histoire s’apparente à un simple fait divers, construit sur un crime passionnel. Il en ressort un véritable climat, des enchaînements fluides, et l’utilisation de tons très variés malgré la continuité dramatique.

En 1992, Claude Sautet réalise Un cœur en hiver. Le personnage de Stéphane, ressemblant étrangement à celui de Martial, est naturellement interprété par Daniel Auteuil. Pour jouer Camille, la violoniste, il fait appel à Emmanuelle Béart, alors compagne de Daniel Auteuil dans la vie. L’histoire est tirée d’une nouvelle de Lermontov, la Princesse Mary. Claude Sautet choisit le milieu de la musique comme cadre de son film, pour la première fois de sa carrière. Stéphane exerce le métier de luthier. Il entretient une amitié très secrète avec Maxime, interprété par André Dussollier. Stéphane est gêné de la liaison amoureuse entre Maxime et Camille, et commence à s’interposer subtilement entre les deux personnages. Il va commencer à séduire Camille en la déstabilisant, étant pourtant un handicapé du cœur qui se protège de tout sentiment vis à vis d’autrui. Alors que leur relation prend une certaine ampleur, Stéphane se voit dans l’obligation de lui dire qu’il ne l’aime pas. Camille se sent alors très humiliée. Stéphane lui avoue plus tard qu’il est en train de s’autodétruire en se protégeant sans cesse contre l’amour, mais Camille se sent blasée : Stéphane perd en même temps Camille et Maxime. Lorsqu’il abrège les souffrances de son ami Lachaume, le vieux professeur de musique atteint d’une maladie, il commet pour la première fois un acte de bonté, d’amour, un acte de sincérité. La fin, ouverte, permet au spectateur d’avoir sa propre interprétation. Un cœur en hiver évoque la musique de chambre. Nelly et Monsieur Arnaud sera dans le même esprit. A travers le personnage de Stéphane, Claude Sautet se livre à une sorte d’autocritique. Quant à Emmanuelle Béart, qui a dû apprendre le violon pendant un an, elle rend tout à fait crédible son personnage. Pour l’écriture, Sautet collabore à nouveau avec Jérôme Tonnerre et Jacques Fieschi. Enfin, Un cœur en hiver est primé à Venise, et Sautet reçoit grâce à ce film son premier César de réalisateur, à Paris.

On plonge encore davantage dans l’intimisme avec Nelly et Monsieur Arnaud, réalisé en 1995. Sautet engage à nouveau Emmanuelle Béart, pour jouer le rôle de Nelly, une jeune femme désargentée qui vient de quitter son mari. Elle fait des petits boulots pour pouvoir rembourser les dettes qu’elle a contractées. Une amie lui présente dans un café Monsieur Arnaud, un ancien juge qui a fait fortune et qui est à la retraite. Celui-ci propose à Nelly de lui avancer l’argent qu’elle doit à ses créanciers, et de venir travailler chez lui. Il a en effet besoin de quelqu’un pour transcrire ses mémoires qu’il doit publier, et ne maîtrise pas le traitement de textes. Nelly va ainsi petit à petit faire connaissance avec Monsieur Arnaud. Leur relation est ambiguë, pleine d’intimité, mais en même temps pleine de retenue, de prudence. Ils sont complices, se font de plus en plus de confidences. Monsieur Arnaud doit finalement partir en voyage avec sa femme pour une durée indéterminée, laissant seule Nelly avec toutes ses notes mener à bien le travail qu’il lui a confié. C’est Michel Serrault qui incarne Monsieur Arnaud. Le personnage, faisant le point sur sa vie, présente une ressemblance troublante avec Claude Sautet. Même physiquement, il évoque le réalisateur. Pour le scénario, Sautet a à nouveau Jacques Fieschi comme partenaire. Nelly et Monsieur Arnaud reçoit en 1996 le Prix Louis Delluc ainsi que le César du meilleur réalisateur.

Partie 2 : Thèmes et éléments récurrents dans les films de Claude Sautet

Le cinéma de Claude Sautet présente des constantes. Le contexte économique, politique et social, l’étude de mœurs, et l’universelle relation entre les individus sont des thèmes repérables dans les œuvres de Sautet. A cela s’ajoute un certain nombre d’éléments que Claude Sautet utilise de manière symbolique.

Chapitre 1 : L’étude de mœurs

Section 1 : Portrait de groupe et bourgeoisie moyenne

Claude Sautet va très vite apparaître comme un spécialiste du portrait de groupe. Il s’attache à décrire avec minutie et lucidité la nouvelle bourgeoisie moyenne d’après 1968, à travers des films comme Les Choses de la vie, César et Rosalie, Vincent, François, Paul et les autres, ou Une histoire simple. Il s’agit d’une bourgeoisie qui souffre, tant sur le plan social qu’affectif ou professionnel. Avec Les Choses de la vie, Sautet traite des problèmes de couple, sujet qu’il affectionne particulièrement. Les personnages qu’il met en scène appartiennent à un milieu aisé, révélé par les flashs-back qui jalonnent le film. Pierre a un sort enviable, il est dans la situation d’un homme qui a tout pour être heureux mais qui se trouve dans une impasse sur le plan affectif. On a presque l’impression qu’il cherche le désordre amoureux, qu’il aime se créer des problèmes de cœur, là où tout pourrait être simple.

Il est indécis et adopte une attitude de fuite. On retrouve là un problème fréquent dans le milieu bourgeois.Le portrait de groupe apparaît clairement dans Vincent, François, Paul et les autres. Sautet révèle les tensions qui peuvent exister au sein d’un groupe, notamment du fait que ses membres sont souvent tiraillés entre l’amitié, la solidarité d’un côté, et la trahison, la lâcheté, l’égoïsme de l’autre. On pense à François qui se défile lorsque Vincent a besoin d’argent. C’est tout un groupe menacé de décomposition qui est représenté ici. Ses membres angoissés sont rapprochés par leurs échecs. Les personnages décrits sont des personnages dans le fond ordinaires qui sont malheureusement passés à côté de leurs rêves, de leurs ambitions : François, ancien médecin de gauche, est désormais à droite, Paul est un écrivain en mal d’inspiration, Jean est un boxeur indécis…Les Cahiers du Cinéma qualifient non sans raison à l’époque cette œuvre de « tableau de mœurs petites-bourgeoises ». Certaines scènes renvoient en effet directement à la bourgeoisie moyenne, comme celle dans laquelle Lucie, la femme de François, est obligée de dire à son mari qu’il ne fait que l’entretenir, qu’il ne la fait pas vivre comme la font vivre les hommes avec qui elle couche.

Mado est un film plus dur traitant d’une impasse sociale, d’une société qui stagne. On retrouve dans ce film le mélange des classes sociales, cher à Sautet. Simon est un grand bourgeois qui exerce le métier de promoteur immobilier. Mais, comme Martial dans Quelques jours avec moi, il semble mépriser les conventions bourgeoises. En fait, son personnage renvoie à de nombreux individus appartenant à la bourgeoisie, qui refusent le conformisme de leur milieu. Mado est une occasionnelle. Elle incarne le milieu populaire, mais en même temps elle s’immisce dans l’univers bourgeois et celui des affaires douteuses de par sa relation avec Simon et Manecca. Le milieu bourgeois ressurgit avec Une histoire simple. Le film tourne autour d’une bande d’amies, unies par leur travail, solidaires et déterminées. Elles vivent dans un environnement relativement aisé, comme en témoigne la maison de campagne de Gabrielle et Jérôme où l’ensemble du groupe se réunit.

Une discussion sur la morale et les mœurs va avoir lieu dans la cuisine : c’est tout à fait le genre de discussions auxquelles peuvent se livrer les personnes bourgeoises lorsqu’elles se retrouvent à la campagne après leur semaine de travail.Dans Garçon ! Sautet dresse à nouveau un portrait de groupe, après s’être concentré sur quelques personnages dans Un mauvais fils. Il décrit ici la vie dans une brasserie. Celle-ci réunit un grand groupe, composé de clients, de garçons et de cuisiniers. L’activité de la brasserie donne l’impression d’un ballet grâce au mouvement des caméras, de même que Vincent, François, Paul et les autres avait un côté chorégraphique. L’aspect documentaire de l’œuvre réside dans ce portrait de groupe que nous livre Sautet. En effet, plutôt que d’analyser le groupe de manière psychologique et les sentiments des uns pour les autres, Sautet utilise essentiellement le groupe au service du documentaire dans cette réalisation. Les individus ont ici peu d’importance pris séparément ; les clients, par exemple, sont totalement secondaires. Le portrait de groupe peut donc être utilisé à des fins différentes dans le cinéma de Claude Sautet. Dans Quelques jours avec moi, Martial est un fils de famille, héritier d’une chaîne de supermarchés. Le milieu aisé auquel il appartient est directement perceptible à travers l’appartement bourgeois, très meublé, que sa mère possède à Paris. Mais il cherche à s’émanciper, à sortir de son milieu en s’installant en province. Encore une fois, le personnage manifeste un certain mal-être au sein du milieu bourgeois et se sent mieux lorsqu’il s’en éloigne.

Section 2 : Les parties de campagne et les résidences secondaires

Les résidences secondaires apparaissent dans le cinéma de Sautet comme un moyen de fuir la grisaille et le stress du quotidien. Sautet n’a jamais possédé de maisons de campagne, mais y a souvent été invité en week-end. Il parvient à retransmettre l’ambiance de ces quelques jours passés entre amis à la campagne, avant de commencer la semaine de travail. Les résidences secondaires sont d’abord un moyen d’évacuer le stress de la ville près de la nature, mais elles sont aussi l’occasion de se retrouver autour de tablées très animées où chacun peut participer aux débats lancés sur des sujets en tous genres.

Dans Vincent, François, Paul et les autres, c’est Paul qui reçoit ses amis en week-end dans sa maison de campagne près de Coulommiers. Aucune maison de campagne n’est mentionnée dans le roman original de Claude Néron, La Grande Marrade. C’est une imagination de Claude Sautet, Jean-Loup Dabadie et Claude Néron. Les personnages y oublient, ou du moins essaient d’oublier, leurs soucis de la semaine. Dans le film cependant, les déboires professionnels de certains refont surface, notamment dans la scène où toute la bande se retrouve autour de la table. François (Michel Piccoli) est en train de découper le gigot quand Paul, l’écrivain en mal d’inspiration, lui fait remarquer qu’il a été jadis un médecin de gauche militant, et qu’il s’est depuis installé dans les beaux quartiers où il a créé une clinique privée. La maison de campagne apparaît, entre autres, dans Une histoire simple. La bande des cinq (Marie, Gabrielle, Esther, Anna et Francine) se retrouve dans la maison de Gabrielle et Jérôme. Une scène mémorable les réunit dans la cuisine où elles se livrent à une discussion très animée sur la morale et les mœurs. La campagne semble être un endroit propice à ce genre de débats entre amis.

Les maisons de campagne choisies pour les tournages ne se trouvent en général jamais très loin de lieux plus ou moins connus de Claude Sautet. Par exemple, la maison de Paul est située à Pomeuse, à quelques kilomètres de la Ferté-sous-Jouare où Sautet a passé dans sa jeunesse de nombreuses vacances chez son grand-père. Il en est de même de la maison de César localisée à Noirmoutier, où Sautet s’est également rendu en vacances. Ces endroits peuvent donc servir de points de repères à Claude Sautet.

Sautet fait apparaître de manière récurrente dans ses films les excursions à la campagne ou à la mer, où les personnages peuvent décompresser, se détendre quelques temps avant de reprendre le travail. Dans Un mauvais fils, Dussart, le libraire, emmène son ami, Francine et Bruno à la mer, à Luc-sur-Mer. Ce moment représente une vraie coupure par rapport à la grisaille et à la morosité du quotidien parisien, et génère une impression de pureté, de respiration, d’espace. Cela correspond aussi à quelques instants d’innocence et de bonheur. Le contraste entre la ville et la campagne est fortement souligné par Sautet. Avec Garçon !, Sautet évoque à nouveau la mer : c’est encore une échappatoire, non plus par rapport à la semaine de travail, mais, pour le personnage principal, par rapport à sa vie actuelle : le terrain de Noirmoutier intègre un projet d’Alex, qui veut y bâtir un parc d’attraction et laisser tomber à terme son activité de garçon de restaurant. Dans Quelques jours avec moi, Sautet aborde la maison de campagne avec dérision. La maison du « quartier des loges » que Fonfrin fait visiter à Martial, n’est plus qu’un clin d’œil ici : cette grande maison où l’on imagine à merveille jouer des enfants n’est qu’une évocation des précédents films de Sautet.

Section 3 : La banlieue et la province

Sautet ne se contente pas de décrire la bourgeoisie moyenne, même s’il est vrai qu’il semble particulièrement à l’aise pour représenter des individus de cette catégorie. Dans Max et les Ferrailleurs, il s’attaque à un milieu plus défavorisé, celui des loubards, des bandes, des marginaux de banlieue. Mais cet univers est néanmoins décrit avec réalisme car Sautet et Néron, ayant grandi en banlieue, n’y sont pas entrés en parfaits inconnus. Le portrait de groupe focalisé sur les ferrailleurs est particulièrement vrai.

Dans Un mauvais fils, Claude Sautet traite à nouveau de la banlieue. Il change en même temps de milieu social par rapport à son film précédent, Une histoire simple, concentré sur le milieu bourgeois. Le père de Bruno habite Saint-Ouen, donc en banlieue nord, dans un immeuble assez pitoyable. Il travaille dans un chantier comme contremaître. Bruno va lui aussi exercer des activités manuelles, notamment en tant que menuisier. Les lieux de travail de banlieue sont représentés avec réalisme et précision, et l’on ressent aisément l’atmosphère qui peut régner dans ce genre d’environnement. Certains passages sont proches du documentaire dans la façon dont Sautet filme les scènes de travail en atelier ou sur le chantier. L’univers est bien rendu, Sautet maîtrise son sujet.

La banlieue sert de prétexte à la rencontre entre Claire et Alex dans Garçon !. C’est en effet en rendant visite à un couple habitant la banlieue, Jeannette et Armand, qu’Alex fait la connaissance de Claire. Si Sautet est un spécialiste de la description de l’univers parisien et de la banlieue, il s’intéresse également dans Quelques jours avec moi à la province. Une partie du film est en effet censée se dérouler à Limoges. Martial y côtoie des gens très différents des parisiens, des notables de province aux marginaux. C’est l’occasion pour lui d’entendre, à table, Fonfrin sortir des banalités politiques. Les lieux communs réapparaissent dans Un coeur en hiver, à travers la conversation sur l’élitisme et la culture, à table, encore une fois. Les repas de province semblent être propices à ce genre de discussion. Par ailleurs, Claude Sautet montre bien le contraste entre la vie en province et la vie dans la métropole. En effet, le grand appartement vide de Martial à Limoges est très différent de celui de sa mère à Paris, très meublé.

Chapitre 2 : Le contexte de ses films

Le contexte dans les œuvres de Sautet n’est pas sans importance. C’est un élément plus ou moins visible dans le scénario. Sautet filme son temps et, dans un certain nombre de ses réalisations, des gens de sa génération. Les années 70, qui représentent l’apogée de sa carrière, sont marquées par des difficultés économiques qu’on retrouve dans des films tels que Mado ou Une histoire simple. Mais Sautet aborde également les problèmes de société et les questions politiques tout au long de sa carrière, qui servent de cadre à ses œuvres. Le contexte n’est cependant qu’un prétexte à faire agir ses personnages. Il faut donc prendre par rapport à celui-ci un certain recul. Dans César et Rosalie, les personnages vivent au cœur de la société de consommation. Ils sont dans l’innocence, l’ingénuité, et ne pressentent pas les dangers qui menacent la société.

Dans Vincent, François, Paul et les autres, c’est la moyenne bourgeoisie que décrit Sautet. François est un bourgeois de droite, ancien militant de gauche, qui a laissé tomber ses rêves de jeunesse, comme beaucoup d’autres. Son ami Paul lui reprochera d’avoir changer d’avis avec le temps. François explique son attitude par la nécessité de s’adapter aux changements de la société. On est alors en 1974, au début de la présidence de Valérie Giscard d’Estaing. Les personnages de Sautet exercent souvent des professions répandues pendant la période concernée. Par exemple, Vincent est fabricant de pièces détachées, le métier le plus courant en France à l’époque. Vincent est proche de ses ouvriers, comme de nombreux patrons peuvent l’être en ce temps-là.. Le personnage initial de Vincent, tel qu’il est présenté dans le roman La Grande Marrade de Claude Néron, vendait des motocyclettes et voulait en fabriquer. Attribuer cette activité au personnage dans les années 70 n’a plus de sens : Sautet a donc adapté la profession de Vincent à son époque. Il cherche à décrire son temps le plus fidèlement possible. Si les personnages du film vivent à Paris, c’est parce qu’ils ont connu une promotion sociale. En fait, ils ont grandi en banlieue, où, à la différence de Paris, pouvaient se fréquenter des personnes de milieux différents. C’est ce qui explique que François, médecin, fréquente Jean, jeune boxeur. A cette époque, le mélange des classes sociales n’existait qu’en banlieue.

Dans Mado, Sautet dénonce l’impasse sociale que constituent les années 70. Il décrit en effet la stagnation de la société, qui semble se refuser à toute évolution. Par ailleurs, le chômage apparaît en toile de fond. En effet, une frontière sociale existe entre les « vieux » qui s’en sortent plus ou moins en spéculant, et les jeunes victimes du chômage. C’est aussi l’époque des trafics d’influence pour les permis de construire et de la corruption dans le milieu immobilier. Le personnage de Lépidon incarne l’escroc par excellence, qui rachète des entreprises en faillite pour les revendre ensuite beaucoup plus cher, et qui bénéficie pour cela d’appuis politiques importants.

D’autres problèmes sont abordés par Claude Sautet. Dans Une histoire simple, il évoque des problèmes d’actualité, tels que le licenciement, la restructuration, l’avortement. Le personnage de Jérôme est en effet victime de la restructuration de sa société, qui conduit à son licenciement pour cause économique. Incapable de s’adapter, Jérôme, soumis à une trop forte pression du réel, finira par se suicider. Rappelons que le film est réalisé en 1978, c’est-à-dire entre les deux chocs pétroliers. Marie, de son côté, est confrontée à la question de l’avortement : elle prend en effet la décision d’avorter au début du film, l’enfant étant d’un homme qu’elle n’aime pas. La loi Simone Veil sur l’avortement est entrée en vigueur trois ans plus tôt, en 1975… Avec Une histoire simple, Sautet prend la défense des femmes. Le féminisme est alors dans l’air du temps.

Dans Un mauvais fils, Sautet aborde les problèmes de drogue, même s’il n’est pas un spécialiste en la matière. Bruno a été détenu aux Etats-Unis pendant plusieurs années pour usage et trafic de drogue. La question de la drogue est au cœur du film et les personnages de Catherine et Bruno sont tous deux des anciens drogués qui essaient de se sortir d’affaires et de devenir indépendants vis-à-vis des stupéfiants.

Les questions politiques émergent à nouveau avec Quelques jours avec moi, mais de façon furtive. A une époque où les socialistes sont au pouvoir, le personnage de Fonfrin cherche à montrer que, selon lui, on ne peut plus parler de gauche et de droite tellement leurs programmes se recoupent.

Chapitre 3 : Les relations entre les êtres

Section 1 : Relations amoureuses et rapports amicaux

Les rapports entre les individus intéressent Claude Sautet qui s’attache à les développer dans ses films. Qu’il s’agisse d’un portrait de groupe, d’une histoire de couple, des rapports d’homme à homme ou entre femmes, Sautet semble se sentir particulièrement à l’aise dans ce domaine.Il développe dans ses films les histoires d’amour compliquées. Dans Les Choses de la vie, Pierre refuse de se lancer dans une nouvelle vie aux côtés d’Hélène, qu’il aime pourtant. Dans César et Rosalie, Rosalie est partagée entre deux hommes, et ne sait pas choisir. Finalement, les deux hommes vont se rapprocher et devenir amis. Les trois personnages forment en fait un trio inséparable. Vincent, François, Paul et les autres dresse un portrait de groupe : plusieurs histoires de couple, pas très glorieuses souvent, sont mises en évidence. Si Paul a une vie de couple réussie, il n’en est pas de même pour François et Vincent.

François et son épouse Lucie semblent se haïr : Lucie finit d’ailleurs par s’en aller. Vincent tente vainement de renouer avec sa femme Catherine et la seule femme à revenir vers lui est Marie. Mais elle est trop jeune pour lui et il ne voit pas réellement d’avenir avec elle. Avec Mado, ce sont des histoires de couple un peu malsaines que décrit Sautet. Il présente la relation entre Mado qui est une prostituée occasionnelle et Simon, un bourgeois misogyne. Mais celle-ci est trop jeune pour aimer vraiment. En réalité, elle veut rester indépendante. Elle sera pourtant affectée par le départ de Manecca, un personnage crapuleux. Mais les histoires de couple dans Mado ne sont pas toutes vouées à l’échec, et une relation durable entre Mado et Pierre semble possible : ils sont jeunes, se comprennent, s’attirent. Plusieurs relations amoureuses sont visibles dans Une histoire simple.

Ces relations ne sont pas si simples que ça. Marie sacrifie son enfant parce qu’il est d’un homme qu’elle n’aime pas, Serge, qui se raccroche piteusement à elle. Marie veut renouer avec son ex-mari mais n’y parviendra pas. Sautet met alors en évidence l’idée que les remakes sont difficilement possibles dans la vie, comme il l’avait déjà suggéré dans Vincent, François, Paul et les autres, Vincent gardant l’illusion d’un retour impossible de sa femme Catherine. Sautet aborde également la question du divorce : Lucie souhaite quitter François dans Vincent, François, Paul et les autres, Anna, dans Une histoire simple, est une femme séparée de son mari et mère de deux enfants…Les couples en crise font partie intégrante des films de Sautet. La relation entre Alex et Claire dans Garçon ! vaut la peine d’être obervée : comme beaucoup de garçons, Alex tombe amoureux d’une femme supérieure à lui intellectuellement. Il la drague, Claire est intriguée, mais on imagine difficilement un avenir possible à cette histoire car les deux personnages sont trop différents. Il y a ainsi un certain fatalisme dans le cinéma de Sautet, dans lequel l’imprévu, le miracle, ont peu leur place. L’amour chez Sautet peut également naître de points communs bien particuliers entre deux personnes. Dans Un mauvais fils, Catherine et Bruno s’unissent car ils rencontrent les mêmes difficultés : ce sont deux jeunes un peu perdus, qui ont touché à la drogue et tentent de s’en sortir. Dans cette situation, c’est ensemble qu’ils peuvent reprendre le droit chemin. Dans ces derniers films, Sautet fait évoluer ses relations amoureuses : dans Quelques jours avec moi comme dans Un cœur en hiver, la relation commence par un jeu de séduction mené par le garçon. Dans Quelques jours avec moi, Martial joue d’abord avec Francine, mais ce jeu va se transformer progressivement en sentiment amoureux. Mais il n’est pas sûr de ses sentiments. A ce stade, il ressemble au personnage de Stéphane dans Un cœur en hiver, qui s’amuse à séduire la compagne de son meilleur ami, Camille, et qui ne donne pas suite à cette histoire, qui s’en va, car lui aussi a peur d’aller plus loin, de se livrer. Francine comme Camille se sentiront humiliées. Mais dans Quelques jours avec moi, Martial se dévoile en montrant sa jalousie : il sait qu’il devient pour Francine l’homme de sa vie en même temps qu’il assume le crime de Rocky le voyou. Les rapports entre Monsieur Arnaud et Nelly, dans Nelly et Monsieur Arnaud, sont encore plus subtils. La relation entre ce magistrat solitaire à la retraite et cette jeune femme au chômage est en effet très ambiguë et très étrange ; finalement, lui s’en ira sans qu’aucun rapport explicite entre les deux n’ait eu lieu.

Un autre aspect des réalisations de Claude Sautet est la relation entre les femmes d’un côté, et la relation entre les hommes de l’autre. Sautet montre, à travers un film comme Une histoire simple, qu’il existe chez les femmes une entraide, une solidarité qu’on ne retrouve pas chez les hommes. Dans Vincent, François, Paul, et les autres, cette solidarité est en effet peu visible. Il suffit de voir comment François se comporte avec Vincent pour s’en rendre compte : lorsque Vincent a besoin d’argent, François, qui est pourtant un ami, se défile lâchement. Les femmes, dont Sautet n’a pourtant accordé une place que tardivement dans son cinéma, sont mieux mises en valeur que les hommes, souvent dévalorisés. Dans le film Garçon !, le vrai couple sur lequel s’attarde Sautet est en fait le couple Alex-Gilbert : deux garçons qui donnent l’impression de former un vieux couple. D’une certaine manière, Marie et Gabrielle dans Une histoire simple forment également un couple : il s’agit d’un amour entre sœurs, comme en témoigne leur étreinte dans la cuisine de la maison de campagne.

Ainsi les relations amoureuses dans le cinéma de Sautet sont compliquées, comme dans la vie. Sa manière d’analyser les rapports entre femmes comme les relations entre hommes est très précise, sa vision très juste. Sautet traite de l’amitié avec dureté. Des œuvres comme Vincent, François, Paul et les autres évoquent le caractère parfois éphémère de l’amitié, le manque de sincérité, la jalousie, la trahison. Il règne dans son cinéma une impression de fatalité qui lui donne ce côté un peu pessimiste. Mais l’espoir n’est jamais complètement absent dans ses films.

Section 2 : Le rapport père-fils

Le conflit des générations est une question sur laquelle se penche Claude Sautet. Le rapport père-fils apparaît en effet à plusieurs reprises dans ses films. Mais ce n’est paradoxalement qu’avec Un mauvais fils qu’il confronte réellement un père et son fils.

Ses films sont en effet jalonnés de relations entre deux hommes dont l’un pourrait être le fils, l’autre le père. César et David dans César et Rosalie entretiennent un rapport de ce type, lorsqu’ils sont rivaux déjà et plus encore lorsqu’ils se rapprochent. Abel et Stark dans l’Arme à Gauche, Vincent et Jean dans Vincent, François, Paul et les autres, entretiennent également ce genre de rapport. Fonfrin apparaît à un moment donné comme un père attendri vis-à-vis de Martial dans Quelques jours avec moi. Mais César, Abel, Vincent, Fonfrin ne sont que des pères de substitution : ils ne sont pas des pères de sang. Ces faux rapports sont pour Claude Sautet plus faciles à développer que les vrais. Le faux fils manifeste souvent de l’admiration à l’égard du père ; pour Jean, Vincent est un modèle. Mais Jean constate aussi les faiblesses de Vincent.

Avec Un mauvais fils, Sautet s’attaque à un vrai rapport père-fils. La relation entre le père et son fils est difficile. Le film montre un père coupable, conformiste, avec des principes très durs, qui ne sait pas trop quoi dire à son fils qu’il n’a pas vu depuis des années. En fait, il cache sa culpabilité de façon pitoyable. Il est incapable d’accueillir chaleureusement son fils à la dérive qui a besoin de réconfort. Sautet décrit la difficulté de communiquer existant entre ce père, pessimiste vis-à-vis de la vie, et son fils. Le père culpabilise son fils, en le tenant pour responsable de la mort de sa mère. Il s’agit donc de la figure du père incapable d’assumer ses responsabilités. A la fin du film, le rapport père-fils semble inversé lorsque Bruno rend visite à son père qui s’est cassé le col du fémur, comme pour veiller sur lui. Sautet aborde donc aussi la relation père-fils avec ironie.

Chapitre 4 : Quelques éléments récurrents

Le cinéma de Claude Sautet se caractérise aussi par des éléments qui reviennent de manière récurrente. Pourtant, ils n’ont pas toujours la même signification.

Section 1 : La voiture

Dans les films de Claude Sautet, les scènes de voitures sont fréquentes. La voiture a suscité l’intérêt de Sautet à un moment de sa vie. Dans Les Choses de la vie, le récit tourne autour d’un accident de voiture. Il y a en fait toute une symbolique autour de l’accident. Dans ce film, le doigt est mis sur le fait que l’accident ne se produit pas de manière fortuite mais est le résultat d’un état particulièrement euphorique de la part du conducteur, Pierre. L’accident apparaît comme une fatalité, comme la conséquence d’une trop grande euphorie juste après un état d’indécision et d’isolement. Il révèle un détachement par rapport à la réalité. Cet accident, élément déterminant du film, va donner un sens à la vie intime de Pierre présentée en flashs-back, et donner de l’importance aux détails les plus insignifiants de son existence.

L’exécution de l’accident représente par ailleurs pour l’époque une prouesse technique, Sautet ayant réussi à donner à une mise en scène totalement imaginaire un résultat extrêmement réaliste. Le fait que la voiture représente dans les années 60 un objet mythique ne rend à l’époque le film Les Choses de la vie que plus attrayant. La voiture est à nouveau mise en relief dans César et Rosalie, dans la scène où César et David se livrent à une course de voitures dans la campagne : César prend des risques inutiles après avoir été provoqué par David. Mais on imagine difficilement César victime d’un accident de voiture ici, car il est d’humeur joyeuse et l’accident ne correspondrait pas à la situation. D’autres scènes dans le film, à l’apparence plus tragique, suggèrent un accident de voiture. Dans ces scènes, Sautet utilise la voiture comme un moyen potentiel d’entraîner la mort. A cette époque en effet, la voiture symbolise la mort. Dans Mado, la voiture est à nouveau évoquée mais dans un cadre tout autre. Il s’agit d’une scène dans laquelle l’ensemble du groupe doit faire face à l’embourbement de leurs véhicules, une nuit orageuse.

L’embourbement, curieusement, est encore le résultat d’une euphorie. La scène a quelque chose de ridicule, de dérisoire. L’enlisement des voitures est en fait une métaphore de l’état de faiblesse dans lequel se trouvent les personnages : il symbolise leur impuissance face à la vie. L’embourbement n’est pas du tout perçu de manière dramatique ici : il génère au contraire une sorte de folie, de joie chez les personnages qui transforment l’incident en véritable fête. Ainsi, différentes lectures sont à faire de l’apparition de la voiture dans les films de Claude Sautet. Sa présence semble souvent annoncer un drame alors qu’en fait elle fait naître fréquemment un moment d’euphorie.

Section 2 : La pluie

Il est intéressant de s’intéresser à la climatologie dans les films de Sautet, et plus particulièrement à la pluie. La pluie, comme la voiture, revêt un double aspect, a une nature paradoxale.

Elle sert tout d’abord à accélérer le drame. Dans Vincent, François, Paul et les autres, un orage éclate alors que les trois amis sont réunis dans le bureau de Vincent. L’orage ici est un mauvais présage : il annonce la chute prochaine de Vincent, que l’on devine en raison du coup de téléphone qui lui apprend qu’il doit trouver beaucoup d’argent en très peu de temps. La pluie et l’orage vont se poursuivre comme pour accompagner Vincent dans sa dégradation sociale. Avec Quelques jours avec moi, la pluie met fin à un moment d’euphorie. Elle arrive comme une douche froide, lorsque le groupe, qui a passé une joyeuse soirée, revient de l’hôpital. Dans César et Rosalie, elle est soit un signe de malheur et de confusion (lorsque Rosalie abandonne César au milieu de ses locomotives), soit un symbole de bonheur et de vitalité (au moment de la photo de mariage).

Dans Une histoire simple, la pluie intervient dans les moments de bonheur. Lorsque Marie rencontre par hasard Georges, son ex-mari, en allant travailler, il pleut. La pluie sert de décor à cette rencontre éphémère. On se rend compte après que Marie cherche à renouer avec son ex-mari. C’est encore lorsqu’elle est à ses côtés que la pluie tombe, au retour de la fête familiale à Orléans. La pluie est comme le témoin des brefs instants de bonheur entre Marie et Georges. Marie n’est en effet jamais aussi heureuse dans le film que lorsqu’elle se retrouve avec Georges, au milieu de son ex-belle famille. La pluie favorise le rapprochement entre Camille et Stéphane dans Un cœur en hiver, le jour où il l’invite à prendre un café. Cette pluie va les mettre de bonne humeur. Elle symbolise la joie.

La pluie dans Garçon ! intervient de manière originale : il se met à pleuvoir au moment du finale dans le parc de jeux. Chacun court pour s’abriter, et les personnages finissent par se serrer sous un auvent. La pluie renforce cette impression de ballet qui se dégage tout au long du film, et cette scène finale évoque une comédie musicale. La pluie n’a donc ici pas de connotation positive ou négative, elle contribue simplement à l’ambiance recherchée par l’auteur.

Section 3 : Les cafés et les brasseries

Les restaurants, et surtout les cafés enfumés sont des lieux incontournables dans les films de Claude Sautet. Celui-ci aime décrire l’atmosphère qui y règne, y montrer la diversité des gens réunis ou l’intimité d’un couple.

Claude Sautet consacre tout un film à représenter la vie dans une brasserie : Garçon !. L’endroit est filmé à la manière d’un documentaire, avec beaucoup de mouvement pour traduire le va-et-vient des garçons de restaurant entre la cuisine et les tables des clients. Dans Les Choses de la vie, Pierre se retrouve en tête à tête avec Hélène au restaurant : à cette occasion, ils font le point sur leur situation. Leur couple est en crise, les personnages se remettent en cause. On notera le réalisme de ce passage, le souci du détail. C’est dans une gargote que va éclater le conflit entre Bruno et son père dans Un mauvais fils : à cette occasion, le père traite son fils de maquereau et l’accuse d’être responsable de la mort de sa mère. Les restaurants ne sont donc pas que des symboles de gaieté, mais peuvent aussi être des signes noirs.

Dans Vincent, François, Paul et les autres, le café Clovis vient renforcer le tragique de la situation : on voit entrer Vincent dans le café, stressé, abandonné, seul, cherchant désespérément de l’argent. Son isolement est accentué par l’euphorie qui règne dans la salle, le patron étant en pleine pendaison de crémaillère. Vincent est complètement décalé par rapport aux autres qui s’amusent. Mais le café ne sert pas seulement à renforcer le drame. Dans Mado, le bistrot de Lucienne, situé en banlieue, est un endroit chaleureux où les jeunes de la bande aiment se retrouver. C’est un lieu d’espoir à la fin du film, lorsqu’on aperçoit Marie, complètement changée, qui semble disposée à reprendre sa relation avec Vincent. Le bistrot est aussi une échappatoire : dans Une histoire simple, c’est dans un café que Marie donne sa lettre d’adieu à Serge, dans la cohue et le bruit, pour éviter d’avoir une discussion avec lui. Dans Quelques jours avec moi, le café est le lieu qui va susciter la jalousie de Martial, lorsqu’il aperçoit derrière la vitre Francine et Rocky au comptoir. Dans ce même film, toute la bande va se réunir dans le bistrot peu avant le drame, pour soutenir Martial. Le café est ici un lieu de solidarité, d’entraide, d’union, et une sorte de refuge contre la pluie qui tombe dehors. C’est en même temps pour Sautet l’occasion de réunir des individus de différentes classes sociales. Comme le précise le chef de cabinet du préfet, les cafés sont des endroits propices à l’observation des mœurs. La rencontre des deux personnages principaux de Nelly et Monsieur Arnaud se déroule dans un café. C’est à partir de cet instant que va commencer leur relation ambiguë…

Les cafés sont donc des lieux paradoxaux : ils sont les témoins des relations naissantes, ou au contraire des histoires qui se terminent. Ils symbolisent l’euphorie comme la tristesse et le drame. Mais ils sont avant tout des lieux de convivialité, où se mélangent des personnes très diverses. Sautet est passé maître dans l’art de faire partager l’ambiance d’un café, univers à part entière.

Partie 3 : Singularité de Claude Sautet et de son cinéma

Chapitre 1 : L’apport des collaborateurs de Claude Sautet

Les collaborateurs de Claude Sautet représentent une famille : Sautet est en général resté fidèle à ses équipes de tournage, même si parfois des ruptures se sont avérées nécessaires pour permettre le renouvellement de son œuvre.

Section 1 : Le choix des acteurs

Sautet a su durant toute sa vie s’entourer d’acteurs remarquables, qui pour certains d’entre eux sont devenus des figures emblématiques de son cinéma. Ventura, Belmondo, Montand, Piccoli, Dewaere, Auteuil et Serrault sont les principaux acteurs de ses films, ceux qui ont obtenu les premiers rôles de par leur personnalité et leur relation avec Claude Sautet.

En réalité, c’est Lino Ventura qui choisit Sautet pour réaliser Classe tous risques en 1959. Belmondo est quant à lui peu connu à l’époque. Sautet apprécie sa disponibilité et sa décontraction et le préfère à une vedette pour le personnage. Chez Michel Piccoli, qu’il fait tourner pour la première fois dans Les Choses de la vie, il perçoit un charisme, un potentiel extraordinaire. Piccoli jouera des personnages très différents : un bourgeois indécis qui hésite à changer de vie dans Les Choses de la vie, un flic idéaliste et manipulateur dans Max et les Ferrailleurs, un médecin sarcastique dans Vincent, François, Paul et les autres, un promoteur immobilier honnête dans Mado. Il incarne des personnages bourgeois ou, en tout cas, aisés. Yves Montand est sollicité par Sautet dans trois films : César et Rosalie, Vincent, françois, Paul et les autres, et Garçon ! Sautet apprécie son charisme, sa vitalité, sa combativité, sa manière de se ridiculiser toujours de façon touchante, autant de caractéristiques qu’on retrouve dans les différents personnages qu’il interprète. Ses personnages parviennent à susciter l’affection malgré leurs défauts. Son entrain constant, son cabotinage sont en partie dus à ses origines italiennes et ses racines populaires. Il interprète des personnages tantôt gagnants, comme César dans César et Rosalie, tantôt perdants, comme Vincent dans Vincent, François, Paul et les autres. Patrick Dewaere ne tourne que dans un film de Sautet, Un mauvais fils.

Mais il y a le premier rôle et représente un acteur remarquable aux yeux de Claude Sautet. Sautet est très touché par son côté vulnérable qu’il a remarqué dans les personnages qu’il interprète dans Les Valseuses et Préparez vos mouchoirs de Blier. Ses personnages semblent attendre beaucoup d’autrui. Dewaere se met dans leur peau sans difficulté, naturellement, et il a l’avantage d’être performant dès la première prise. C’est un acteur qui présente de nombreuses qualités recherchées par Sautet, mais qui sont aussi ses faiblesses : il est émotif, fragile, impulsif, un peu orgueilleux. Dewaere, d’une personnalité très gaie, a pu souffrir à l’époque de sa concurrence avec Depardieu, à qui Sautet avait pensé pour le rôle. Dans Un mauvais fils, il est confronté à un véritable parcours initiatique. Daniel Auteuil tourne pour Claude Sautet à deux reprises : il interprète Martial dans Quelques jours avec moi, et Stéphane dans Un cœur en hiver. Il incarne avec Martial un personnage nouveau dans le cinéma de Sautet : c’est un fils de famille, décalé, sortant d’une maison de repos, héritier d’une chaîne de supermarchés. Auteuil saisit tardivement la singularité, l’originalité de son personnage. Il n’est pas à l’aise sur le tournage, et ne croit pas toujours à son personnage.

Martial est quelqu’un de joueur : il fait marcher Fonfrin. Mais son jeu de séduction vis-à-vis de Francine va se transformer en sentiment amoureux. Auteuil permet à son personnage de prendre une autre dimension lorsqu’il commence à assumer ses responsabilités. Il se livre à nouveau à un jeu de séduction dans Un cœur en hiver. Il séduit la compagne de son meilleur ami mais apparaît en réalité comme un handicapé du cœur, qui se protège derrière son métier. Auteuil allie à merveille l’égoïsme et la sensualité qui caractérisent le personnage. C’est Michel Serrault qui interprétera le dernier personnage masculin de Claude Sautet, dans Nelly et Monsieur Arnaud : un magistrat à la retraite qui engage une jeune femme au chômage. Serrault adhère parfaitement bien à son personnage, un individu tout en retenue. Monsieur Arnaud est une évocation directe de Claude Sautet : un homme en fin de carrière et en fin de vie.

Section 2 : Les personnages féminins et leurs interprètes

Les personnages féminins sont au début secondaires dans le cinéma de Claude Sautet. Peu à peu, Sautet parvient à les développer, à les mettre en valeur. Dans Vincent, François, Paul et les autres, les femmes sont presque muettes, spectatrices, et semblent juger les hommes. De même, Hélène et Rosalie sont des personnages passifs. Dans Une histoire simple, pour la première fois, les femmes ont un rôle essentiel, toute l’histoire tournant autour d’elle. Le féminisme est alors à la mode à l’époque. Sautet suit cette tendance. La bande d’amies qu’il présente possède une force, une volonté, une capacité d’entraide et de soutien qu’on retrouve moins naturellement chez les personnages masculins de Claude Sautet. Les personnages féminins de Claude Sautet sont plus courageux et plus dynamiques que les hommes. En un sens, Sautet les admire. Même s’il a tardé à développer leur place dans ses films, il a moins de difficultés à les traiter que les hommes.

Du côté des actrices, Romy Schneider deviendra la comédienne fétiche de Sautet, qu’il fera tourner à plusieurs reprises pendant la période la plus riche de sa carrière. Sandrine Bonnaire, interprète de Quelques jours avec moi et Emmanuelle Béart d’Un cœur en hiver et de Nelly et Monsieur Arnaud, ont succédé dignement à Romy Schneider, même si elles ont eu une place moins importante dans le cinéma de Claude Sautet.

Romy Schneider va tourner cinq films avec Claude Sautet et devenir son actrice fétiche. Avant de la faire tourner dans Les Choses de la vie, Claude Sautet n’a jamais vu jouer Romy Schneider au cinéma. Il va être séduit par sa sensualité, son intelligence, sa beauté. L’actrice a un caractère ardent, enthousiaste, mais est en même temps angoissée avant de tourner. Elle est capable d’alterner brusquement douceur et agressivité dans son jeu. C’est aussi une femme capricieuse et possessive sur les plateaux : elle aime porter l’attention sur elle. A l’écran, elle dégage une certaine chaleur. Dans les rôles que lui confie Sautet, elle symbolise la femme indépendante vis-à-vis des hommes, capable de les déstabiliser. Sautet voit dans son accent une manière de donner une noblesse aux mots. Il écrit pour elle le personnage central d’Une histoire simple. Romy Schneider semble être aussi à l’aise pour interpréter une bourgeoise que pour intepréter une prostituée (cf. le personnage de Lily dans Max et les Ferrailleurs).

Sandrine Bonnaire n’a tourné qu’une fois pour Claude Sautet : elle interprète le personnage de Francine dans Quelques jours avec moi. Sautet aime le côté instinctif et naturel de Bonnaire. Il pense spontanément à elle pour endosser le personnage. Bonnaire se montre d’abord un peu réticente : le personnage de Francine la gêne. Elle finit par accepter, mais se sent parfois dérangée par ce personnage à qui elle n’aurait jamais voulu ressembler.

Dans les années 90, Emmanuelle Béart devient la nouvelle égérie de Claude Sautet. Elle tourne pour lui à deux reprises. Dans Un cœur en hiver, elle dégage une grande sensibilité dans le personnage de la musicienne, Camille. Un rôle difficile, puisqu’elle est amenée à exprimer plusieurs états : l’amour, l’humiliation, la colère… mais qu’elle endosse avec brio. Elle interprétera Nelly dans le dernier film de Sautet, Nelly et Monsieur Arnaud, qui reçoit en 1995 le prix Delluc. Là encore, elle est convaincante dans son personnage plein de pudeur, de discrétion, de détermination. La relation ambiguë entre Nelly et Monsieur Arnaud lui donne l’occasion d’endosser l’un de ses plus beaux rôles.

Section 3 : Les seconds rôles

Sautet est un réalisateur qui accorde beaucoup d’importance aux seconds rôles. Cela explique que ses personnages secondaires soient souvent interprétés par des acteurs de renom, ou ayant une forte personnalité. Claude Sautet a pu regretter de ne pouvoir développer certains personnages secondaires.

Des acteurs talentueux ont trouvé leur place dans le cinéma de Claude Sautet et contribué au succès de ses films : Bernard Fresson, Samy Frey, Gérard Depardieu, Jacques Dutronc, Claude Brasseur, Bruno Cremer, Serge Reggiani, Jacques Dufilho, Jean-Pierre Marielle, André Dussolier, Vincent Lindon, Jean-Hugues Anglade…

Les interprètes féminines des seconds rôles sont toujours choisies avec soin par Claude Sautet. Ont notamment tourné avec lui : Léa Massari, Marie Dubois, Stéphane Audran, Ludmila Mikaël, Arlette Bonnard, Sophie Daumier, Francine Bergé, Eva Darlan, Ottavia Piccolo, Nicole Garcia, Brigitte Fossey, Claire Maurier. Sautet a également donné à Isabelle Huppert l’un de ses premiers rôles : elle joue la sœur de Rosalie dans César et Rosalie.

Chapitre 2 : Les autres collaborateurs de Claude Sautet

Un certain nombre de collaborateurs de Claude Sautet lui ont été fidèles d’un film à l’autre : parmi eux, on peut citer Philippe Sarde pour la composition des bandes originales de ses films, Jean Boffety pour la photo, Claude Néron et Jean-Loup Dabadie pour le scénario et les dialogues, Jacqueline Thiédot pour le montage.

A partir des Choses de la vie, Claude Sautet travaille avec Philippe Sarde, compositeur de musiques de film. En 1969, année de réalisation des Choses de la vie, Sarde est un jeune inconnu d’une vingtaine d’années. Georges Delerue n’étant pas disponible pour faire la musique du film, Sautet s’adresse alors à lui. Celui-ci s’avère être un vrai cinéphile, tandis que Sautet est assez musicologue. Un équilibre se crée. Dès le début de leur collaboration, Sarde est attentif, dévoué, et fait des remarques pertinentes pendant les projections auxquelles il assiste. Il a de réelles facultés d’adaptation : il composera notamment pour Doillon, Tavernier, Téchiné…Philippe de Broca un peu plus tard. La musique des Choses de la vie est sa première vraie bande originale. Sarde se montre particulièrement à l’aise pour les fonds sonores, les thèmes d’accompagnement discrets, mais est capable de créer des variations comme le thème très populaire de Vincent, François, Paul et les autres joué au bandonéon, à la fois vivant et un peu triste, traduisant bien la nostalgie des personnages. Il crée également des musiques plus enlevées, comme le thème de César et Rosalie joué avec des percussions, évoquant les déplacements rapides de César. « Chez Sautet, la musique est un élément de la mise en scène… », dira Philippe Sarde. Il s’inspire également de thèmes classiques, comme en témoigne le choral luthérien un peu mélancolique qu’on entend dans César et Rosalie. Sarde compose une ballade romantique sous la forme d’un aria dans Une histoire simple. Le générique de Quelques jours avec moi est assez particulier : il s’agit une petite valse au ton ironique, laissant deviner que la farce ne va pas durer.

Pour les dialogues, deux hommes vont être d’un grand soutien auprès de Claude Sautet : Claude Néron et Jean-Loup Dabadie. Comme Sautet, Néron a grandi en banlieue, ce qui lui permet de décrire avec justesse l’environnement de Max et les Ferrailleurs. C’est un écrivain et scénariste autodidacte, sévère avec la vie. Ses textes sont extrêmement pessimistes : il s’attache à développer les mauvais côtés de la vie, comme l’hypocrisie humaine, le règlement de comptes, ce qui crée souvent un désaccord avec Claude Sautet, soucieux de maintenir un certain espoir dans ses films. Néron a écrit La Grande Marrade, le roman qui a inspiré l’histoire de Vincent, François, Paul et les autres. Il écrit le scénario du film avec Sautet et Dabadie. Pour Mado, Néron est seul à écrire le scénario avec Sautet. Dabadie, quant à lui, commence à travailler sur plusieurs scénarios avec Sautet à partir de 1965. Lorsqu’il rencontre Sautet, il est journaliste, a déjà écrit des sketchs, des paroles de chansons, et une pièce de théâtre. Leur collaboration démarre avec Les Choses de la vie. Il travaille minutieusement, avec le souci du détail, ce qui le rapproche de Sautet. Il a collaboré au scénario de Max et les Ferrailleurs, et participe sérieusement à celui de Vincent, François, Paul et les autres. Pour le texte d’Une histoire simple, il est le seul partenaire de Claude Sautet. Dabadie est nettement moins impulsif et plus tempéré que Néron. Il est aussi d’une nature plus gaie. Garçon ! est son dernier film avec Claude Sautet, Dabadie souhaitant à cette époque devenir un auteur à part entière.

Jean Boffety a été le directeur photo le plus fidèle de Claude Sautet. Leur collaboration dure de nombreuses années. Boffety travaille pour Les Choses de la vie, dont il saisit l’ambiance assez rapidement. Pour César et Rosalie, il soigne les scènes tournées en studio, particulièrement les prises de vue dans l’appartement de César et Rosalie et dans l’atelier de David. Dans Vincent, François, Paul et les autres, il s’attaque aux scènes de campagne, cherchant à capter l’ambiance naturelle, la lumière un peu mélancolique. Pour montrer Manecca écrasé par une voiture dans Mado, il s’attache à styliser la scène, à reproduire l’esthétisme du cinéma policier. Il se refuse à tout effet superflu dans Une histoire simple et réduit les plans d’ensemble pour se concentrer sur les personnages. Une description d’ensemble du groupe n’est pas l’objectif de Claude Sautet ici. Pour Boffety aussi, Garçon ! sera le dernier film avec Sautet. Il est moins motivé, moins entraînant au cours de ce tournage que lors des précédents. Après Garçon ! Sautet se séparera en fait d’un bon nombre de collaborateurs.

Jacqueline Thiédot, la monteuse, est sans doute la collaboratrice la plus fidèle de Sautet. Elle commence à travailler avec lui dans Les Choses de la vie. Elle a l’intelligence de ne pas se laisser influencer avant le tournage par le texte : elle n’a pas donc pas d’a priori sur la manière dont doit être monté le film. Son plus gros travail consiste à changer le rythme des répliques et la durée des temps morts.

D’autres collaborateurs ont apporté à Sautet un soutien plus ponctuel. On peut citer Jean-Paul Török, Jacques Fieschi et Jérôme Tonnerre pour l’écriture, René Mathelin et Jean-François Robin pour la photo.
Sautet, un artiste polyvalent

Avant de se lancer définitivement dans le cinéma, Claude Sautet a goûté à toutes les formes d’art : il a été sculpteur, comédien, peintre de décors. Il a surtout été critique musical pour le journal Combat. Sa passion pour la musique ne le quittera jamais.

Parmi les différentes activités qu’il a été amené à pratiquer dans le milieu du cinéma, Sautet a manifesté une préférence évidente pour la direction d’acteurs. Son talent d’écrivain a fait qu’il a été beaucoup sollicité pour apporter son aide à des scénaristes en mal d’inspiration : il s’agit pour lui de resserrer le début d’un scénario, de lui trouver une fin ou d’en développer le milieu. Il s’est donc forgé une solide réputation de « ressemeleur de scénarios ». Lorsqu’il exerce cette activité, il travaille dans l’anonymat, ce qui ne le dérange pas, car il se définit lui-même comme étant un homme de l’ombre. Il va ainsi participer à Rome à l’écriture d’une vingtaine de films au début des années 60. De retour à Paris, il poursuit cette activité de manière anonyme, en toute discrétion, collaborant ainsi à de nombreux films. Parmi eux, figurent Peau de banane de Marcel Ophuls, les Mariés de l’an II et la Vie de château de Jean-Paul Rappeneau, Echappement libre de Jean Becker, le Diable par la queue de Philippe de Broca, Mise à sac d’Alain Cavalier, Symphonie pour un massacre et Borsalino de Jacques Deray. Devant des films aussi différents, on se rend compte à quel point Sautet a une certaine facilité à s’adapter à des tonalités et des registres très divers. Les comédies auxquelles il a pu collaborer, à l’image des Mariés de l’an II, sont en effet très éloignées de ses propres réalisations.

Sautet réalise des spots publicitaires au moment de la période de doute qu’il connaît après le tournage de Garçon !. Il en crée notamment pour la SNCF. Il travaille également pendant trois ans pour la SACD, la Société des auteurs, au sein de laquelle il défend avec ardeur les droits des cinéastes.

Chapitre 4 : Critiques et postérité

La critique n’a jamais été très tendre avec Claude Sautet. Le cinéma de Sautet est souvent décrit comme étant moraliste, trop formel, sociologique, ou encore accusé d’être démodé.

Sur la question de la mode, il est évident que le contexte de ses films peut paraître un peu dépassé. Certains sujets tabous à l’époque ne le sont plus aujourd’hui, comme l’avortement. Les premières œuvres de Sautet sont réalisées pendant une période de consommation de masse. Aujourd’hui, on est à l’heure de la baisse du pouvoir d’achat. La crise des années 70 a certes beaucoup fait parler d’elle, mais le sujet peut sembler aujourd’hui rébarbatif. Parce que Sautet a la manie de filmer son temps, le cadre de ses films devient fatalement désuet à un moment où à un autre…

Pourtant, les œuvres les plus marquantes de Sautet ne sont pas les plus récentes. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il existe dans les sujets qu’il traite un rapport à autrui intemporel, universel, dont on ne peut être insensible quelque soit la génération à laquelle on appartient. On se reconnaît facilement dans les films de Sautet, et cela est suffisant pour nous convaincre. En d’autres termes, il ne faut pas lire les œuvres de Sautet comme une description de la France des années Pompidou, ou des années Giscard, ou des années Mitterrand. L’aspect documentaire n’est qu’un prétexte à mettre le plus souvent au second plan. Garçon !, à la rigueur, lui accorde une place plus grande, à travers la description de la vie de la brasserie. Choisir un contexte social existant et actuel est en même temps un bon moyen de renforcer le réalisme des personnages et de leurs relations. Indépendamment de la toile de fond, les films de Sautet se regardent avec plaisir parce qu’il y règne une grande humanité. Le divertissement est toujours présent dans les œuvres de Sautet, malgré un contexte parfois ennuyeux. L’analyse des relations humaines y est souvent très juste, et l’amour de Sautet pour le détail confère à ses films un réalisme étonnant. Sautet sait également alterner la douceur et la dureté, l’angoisse et la joie, la distance et l’intimité. Les contrastes le passionnent, qu’il s’agisse de l’alternance des tonalités ou du brassage d’individus très différents. S’il est très français dans sa manière de décrire la métropole et la banlieue parisienne, ses influences dépassent paradoxalement le cadre national : il se nourrit beaucoup de romans russes, de romans américains, ou encore de jazz.

Ses films sont aussi qualifiés de réalistes. Pour Sautet, il faut plus les lire comme des fables…mais sans chercher à en tirer forcément une morale. Le cinéma de Sautet veut laisser libre l’interprétation du spectateur. Sautet considère, à juste titre, qu’un cinéma traitant de personnages populaires ne doit pas être nécessairement assimilé à un cinéma réaliste. Il doit se défendre contre cette appellation en faisant remarquer qu’il est difficile de définir comme réaliste un film à partir du moment où il a été personnalisé et où des choix de construction ont dû être faits. Sautet est également souvent décrit comme un « sociologiste ». Vincent, François, Paul et les autres par exemple est à sa sortie perçu par la critique comme un film sociologique, dressant un portrait de la France sous la présidence de Valérie Giscard d’Estaing.

Claude Sautet n’a pas participé à la révolution esthétique que constitue la Nouvelle Vague. Ce courant, correspondant aux années 60 au sens strict, représente en fait une triple révolution : esthétique, économique, critique. Les metteurs en scène intégrant cette génération cherchent à créer un nouveau langage et à lutter contre les règles traditionnelles de la construction d’un film (par exemple, contre l’importance des plans séquences, contre la chronologie, contre les techniques du reportage). Ce sont des littéraires à l’image de Chabrol, Truffaut, Godard, Malle…Sautet a très tôt été en marge et du professionnalisme académique et de la Nouvelle Vague. Il a pu considérer la Nouvelle Vague comme un univers à part, dont il ne pouvait avoir accès.

Claude Sautet, dans son amour du scénario, inspire aujourd’hui de nombreux cinéastes, à l’image de Bertrand Tavernier, Michel Deville, Agnès Jaoui…autant de réalisateurs qui s’intéressent, comme lui, aux relations entre les êtres et à la dégradation sociale ou morale.

Conclusion

Le cinéma de Claude Sautet constitue bien un cinéma marginal. Il n’intègre aucune tendance, et possède une touche très personnelle. C’est pour cela que Claude Sautet occupe une place particulière dans le cinéma français. Claude Sautet est un homme dont la carrière a été atypique : il a été une sorte de touche à tout dans le milieu du cinéma et dans l’univers artistique en général. Il a en même temps toujours cherché à rester humble et discret, tant au cours de son activité de « ressemeleur de scénario », qu’au moment de recevoir une récompense. Sautet a connu une carrière à rebondissements. Après un démarrage difficile, il a réussi peu à peu à se constituer une équipe de travail fidèle qui lui a permis d’être particulièrement productif dans les années 70. Il a traversé une période de crise au début des années 80, liée au besoin de renouveler à la fois son équipe et son cinéma, avant de finir sa carrière de manière très digne.

On soulignera l’importance particulière des seconds rôles dans les films de Sautet. Sautet n’a jamais négligé ses personnages secondaires, pour lesquels il a toujours choisi des interprètes de premier ordre. Ses seconds rôles mériteraient sans doute une étude approfondie. Si le cinéma de Claude Sautet a pu être beaucoup critiqué, ses œuvres ont ému et continuent à émouvoir. Ses films n’ont certes pas tous été des succès : certains films, comme Un mauvais fils ou Garçon !, ont représenté des échecs cinglants. Au contraire, d’autres réalisations, à l’image des Choses de la vie, ont fait l’unanimité.

Il s’agit d’un cinéma problématique, ce qui explique que bon nombre de films de Sautet ont été jugés différemment par les critiques de cinéma, les cinéphiles et le public. Les spectateurs ne peuvent en attendre la même chose. Un film comme Mado, bien reçu par la critique et par ailleurs très apprécié de son auteur, n’a pas été très populaire, le public lui préférant des œuvres comme César et Rosalie ou Nelly et Monsieur Arnaud.

Sautet fait une analyse poussée des problèmes de son temps. Le contexte économique, politique et social est non négligeable dans ses films, et reproduit avec réalisme. A travers le portrait parfois sévère qu’il dresse de la société, Sautet manifeste en même temps beaucoup de détresse et de compassion. En ayant l’intelligence de mettre en avant les relations entre les individus, leurs comportements, leurs émotions et sentiments, Sautet parvient à sortir du documentaire et à rendre son cinéma universel et intemporel. Il s’est attaché à décrire ce qui est inscrit de manière irréversible dans l’espèce humaine, indépendamment de tout contexte : c’est en cela que ses films touchent le spectateur et lui parlent.

Les réalisations de Claude Sautet sont empruntes d’un certain fatalisme. Finalement, proposent-elles une vision optimiste ou pessimiste de la vie ?

Les films de Sautet n’auraient dans l’ensemble pas eu autant de succès s’ils avaient été perçus comme une négation de la vie ; de toute évidence, Claude Sautet n’a jamais conçu le cinéma autrement qu’un jeu, qu’un amusement. Il a toujours cherché avant tout à divertir le spectateur.

A l’inverse, trop d’optimisme n’aurait pas rendu ses oeuvres crédibles ; la mort de Pierre dans Les Choses de la vie garantit le succès du film. Trouver un juste milieu est donc la clé du succès : cela permet de signifier que l’existence, tout en étant un combat permanent et une succession d’épreuves, n’est pas dénuée de sens et d’espoir.


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