L’Attachement : Interview de Carine Tardieu

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La réalisatrice Carine Tardieu, s’est entretenue avec nous pour la sortie de son dernier petit bijou de délicatesse : L’attachement.

Depuis son premier long-métrage en 2007, Carine Tardieu avance à pas feutrés dans un paysage cinématographique français qui préfère mettre en lumière des réalisatrices plus vindicatives ou dont le point de vue suit la direction du vent. Et pourtant Carine Tardieu a beaucoup de choses à nous dire, et surtout, sait  nous toucher  sans jamais céder aux facilités dramatiques et aux jugements moraux. Tandis que Les Jeunes amants (2020) nous immergeait dans le tourbillon d’une passion amoureuse  entre une septuagénaire et un homme bien plus jeune, L’attachement, aborde avec la même délicatesse la difficulté de nourrir des liens avec ceux qui nous sont proches.

La réalisatrice a eu la gentillesse de nous rencontrer avant la sortie de son film.

Le film aurait pu également s’intituler la délicatesse, tant des thèmes aussi poignants que l’amitié, l’amour, la solitude, le deuil, sont abordés avec beaucoup de tact et de chaleur humaine.

J’espère être aussi délicate que possible quand j’écris. Lorsque je construis des personnages, je le fais avec beaucoup d’affection. J’ai besoin de les aimer, de les comprendre. Je dirai que la délicatesse, c’est de ne pas raconter n’importe quoi et d’être prêt de la complexité des sentiments que peuvent  vivre les êtres humains en général. Je tiens à la complexité, personne n’est totalement bon ou mauvais. C’est mon approche pour chaque film.

L’attachement est un sentiment riche et complexe qui s’enrichit ou se délite au fil du temps. Ici, et peut  être encore davantage que dans vos œuvres précédentes, les personnages ne restent  jamais figés dans leur  position de départ. Ils doutent,  se découvrent et se redécouvrent. Ces  atermoiements  les rendent très proches de nous. C’est ce fil conducteur qui nourrit l’écriture de vos portraits ?

Oui. Car ce qui m’intéresse c’est de confronter mes personnages à leurs propres contradictions internes. J’aime l’idée de les voir évoluer, changer et essayer de faire le mieux qu’ils peuvent. Par conséquent, ils ne sont pas tout le temps formidables. Ils sont parfois bouleversés, injustes et même durs. Mais, je tiens à ce que cela soit motivé par des considérations naturelles, réelles, que cela ne soit pas plaqué et artificiellement construit par les rebondissements du scénario. C’est un ensemble de petites choses qui les font évoluer.  Ici, L’histoire  commence d’une façon très dramatique, mais le film est loin d’être dramatique. Tout le monde change, la trame du récit est le fruit des mouvements intérieurs de chaque personnage, de leurs télescopages. Ce n’est pas un jeu à deux bandes, mais à trois, quatre ou cinq bandes.

Les protagonistes traversent des moments difficiles, la tentation du repli n’est jamais loin mais leur envie de croire à l’altérité (la découverte de la conception du monde et des intérêts d’un « autre « ) prend le dessus . Pour vous, c’est une valeur essentielle dans la période que nous traversons ?

Oui. Et pas seulement aujourd’hui, même si c’est encore plus le cas dans la société actuelle. Il y a cette idée que nous sommes dans une société où nous vivons de plus en plus chacun replié sur soi, ou enfermé derrière les écrans, les algorithmes. Ici, tout d’un coup on se confronte vraiment à l’autre, on fait tomber les cloisons, au sens propre et au sens particuliers. Il y a beaucoup d’échanges, d’évènements qui se déroulent sur la palier. Je perçois ce lieu comme un sas, une sorte de no man’s land entre  Sandra et Alex, où tout à coup  l’intime peut se dire, les choses les plus émouvantes se révéler. Je trouve très intéressant de donner  vie à des vrais rencontres et de montrer comment elles peuvent nous amener du côté de la vie.

Valeria Bruni Tedeschi, Pio Marmaï, Vimala Pons, Raphael Quenard, incarnent  le plus souvent à l’écran des personnages relativement expansifs, voire bouillonnants. Dans LAttachement, ils prêtent leurs traits à des hommes et des femmes qui expriment leurs blessures avec une certaine retenue. L’envie d’explorer cet aspect de leur sensibilité  a-t-elle était un facteur dans le choix du casting ?

Valeria est à contre-emploi au début du film, par exemple. C’était plus intéressant pour moi de prendre une actrice qui était à priori extravertie, clownesque parfois, pour la retenir au début et qu’elle se rapproche progressivement de ce qu’elle est dans la vraie vie, plutôt que de prendre une comédienne à l’origine dans le contrôle et qui aurait dû fabriquer ce bouillonnement. Pour Pio, c’est un peu différent. C’est vrai qu’il  a tendance à jouer la comédie, mais c’est quelqu’un de très pudique qui se cache derrière une logorrhée très importante. La démarche était inverse avec lui, il fallait lui permettre d’exprimer une sensibilité cachée qui ne demande qu’à s’ortir. D’aller chercher le point sensible. Je ne cherche pas le contre-emploi systématique, mais ce qui m’intéresse c’est d’amener des acteurs vers des facettes  que l’on n’a encore jamais vu, car sinon  on s’ennuie.

Quelle est votre approche de ce que l’on nomme communément  la direction d’acteurs ?

C’est différent pour chaque film et avec chaque acteur. Je suis obligé de m’adapter à chaque comédien. Le point commun est que je suis une réalisatrice qui aime le contrôle. Je prépare, je dirige avec précision chaque déplacement, ainsi que le texte. Je n’aime pas trop l’improvisation. Mais à l’intérieur de ce cadre, j’adore être bousculée par leur force de proposition, leur énergie. Ça dépend des comédiens, certains sont assez carrés et vont là où vers ce que j’avais imaginé du personnage. Et certains sont loin, à priori. Et là c’est une forme de bataille pour les retenir, ce fut le cas avec Valeria, qui est une forme de cheval fou dont l’énergie nécessitait d’être canalisée.

Si les thématiques et les modes  de vie sont ceux de notre époque (l’isolement), le récit baigne dans une atmosphère au caractère relativement intemporel.

Oui, effectivement. Par exemple, il y a très peu de téléphones portables. J’aime bien l’idée d’intemporalité. Je ne cherche pas à entrer dans un courant de modernité, avec des musiques bien marquées par exemple. Je me pose plus de questions en termes d’émotions pures. C’est vrai que l’un de mes maîtres est Claude Sautet. Je pense qu Claude Sautet n’est pas du tout vieillot. J’espère que, comme chez lui, les sentiments mes personnages traversent sont intemporels et universels.

 

Je trouve que vos personnages masculins, pourtant non exempts de défauts, ne sont jamais réduits à leur statut, à leur « masculinité ».

Je ne me dis pas, j’écris pour un homme, j’écris pour une femme, j’écris un personnage d’homme ou de femme. Certes, je tiens compte de la différence de  place qu’ils peuvent occuper dans la société. Mais je raisonne en termes de sentiments. Qu’est-ce que cela fait à un être humain de tomber amoureux,  de devenir parent, de traverser un deuil ? Ce qui traverse ces personnages n’est pas lié au genre. C’est pour cette raison que mes personnages masculins sont particulièrement touchants.

Entre chacun de vos films s’écoulent entre trois et cinq ans, en moyenne.  Tous vos projets sont le fruit d’une longue maturation. Comment se déroule votre processus de création ?

Au début, j’avais besoin de cinq années. Aujourd’hui, la confiance aidant, un projet me prend trois ans. Un an et demi pour l’écriture, fruit d’un travail de réflexion, d’échange. Et, un an et demi pour la mise en place, tournage et montage. Actuellement, je  suis dans la phase d’écriture de mon prochain film.

Entretien réalisé à Paris le 3 février 2025. Merci beaucoup à Carine Tardieu pour sa disponibilité.

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