L’annonce faite à Marie

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Drame lyrique, « L’annonce faite à Marie » est d’abord et surtout un oratorio, un long psaume messianique où s’exprime le verbe claudélien dans toute la ferveur de son mysticisme religieux. En 1991, Alain Cuny, l’acteur poétique par excellence, que Paul Claudel, dramaturge habité par la grâce divine, qualifie de “ cathédrale vivante”, en livre une adaptation cinématographique minimaliste qui révèle son intention picturale. Une découverte surprenante en version restaurée 4K.

L’acteur-réalisateur pris de dévotion pour l’œuvre phare de Paul Claudel

Mon objectif serait de tenir l’objectif de toutes mes forces. Et j’aurai besoin de toutes mes forces. Et ce film fait, si jamais j’y arrive, mais c’est une iniquité que je n’y parvienne pas, c’est une grande faute de civisme de la part de ceux de qui je dépends. Une fois que ce sera fait, et bien je courrai les routes.” C’est par cette profession de foi que l’acteur, dont résonne en écho la voix altière, majestueuse sur le mode hyperbolique et naturellement sentencieux, signe l’adaptation de la pièce de Paul Claudel : L’annonce faite à Marie (1912), quintessence du théâtre claudélien et que l’auteur tiendra 56 ans en gestation comme une longue rumination intérieure.

Adepte passionné de l’ensemble de l’œuvre mystique et métaphysique d’un Claudel proche des surréalistes, qu’il interprètera à plusieurs reprises sur les planches, Alain Cuny exprimera le souhait dès le milieu des années 70 d’adapter Lannonce à Marie à l’écran, son oeuvre-phare la plus représentée.


Claudel dilate et ensemence le verbe dans une langue impérieusement luxuriante

Au débotté, l’emphase du verbe claudélien apparaît hermétique voire rebutante au profane. La déclamation charrie dans son flux continu un style tourmenté d’une violence extrême à peine contenue. “La déclamation exige d’articuler parfaitement, de prononcer clairement et de dire juste” énonçait déjà Louis Jouvet qui n’était pas en reste d’une diction très nette et admirablement policée. Ancré dans un mysticisme chrétien, l’œuvre de Claudel ne lasse pas
d’être controversée, décriée comme confite en dévotions dans de longues tirades psalmodiées et habitées par la grâce. C’est en 1886, à l’âge de dix-huit ans, derrière un pilier de Notre-dame de Paris qu’il a une révélation divine après sa conversion rimbaldienne. L’argument de la pièce de Claudel est ténu. Le poète-dramaturge l’a conçu comme un mystère en quatre actes et un prologue.

 

 

Le baiser du lépreux

Son action se déroule supposément à la fin du Moyen âge en l’an 1430. Anne Vercors (Alain Cuny), paysan
patriarche, se dispose à partir en pèlerinage à Jérusalem. Auparavant, il éprouve le désir de marier sa fille aînée Violaine à un jeune homme méritant, Jacques Hury, qu’il lui a choisi pour qu’il devienne l’élu de son cœur et à qui il confie l’administration de ses terres; et surtout qu’il juge méritant. Par esprit de charité sacrificielle, Violaine embrasse un soupirant, Pierre de Craon, bâtisseur d’églises duquel elle contracte la lèpre. Elle se heurte alors à la vindicte de sa
sœur Mara, maladivement jalouse, qui convoite à son tour Jacques Hury qu’elle parvient à marier en conspirant contre sa sœur. Le rejeton résultant de ce mariage meurt soudainement quelque temps après sa naissance et Mara supplie Violaine de retourner en séclusion afin de restaurer la vie de son enfant. Ce qui se produit. Plus tard, Violaine est blessée à mort par sa sœur Mara qui renverse sur elle une charretée de sable. Ce faisant, au retour d’Anne Vercors de sa croisade, elle se meurt et réconcilie par là même la famille dont elle fut bannie pour un temps. La miséricorde chrétienne triomphe par le pardon de Violaine et son ascension vers la sainteté comme celle de la Vierge Marie.

Le martyr de Violaine redouble la rédemption du Christ. Dans son corps que la lèpre dissout, Dieu prend sur elle la dissolution d’un monde pour une nouvelle renaissance et un renouvellement de la chrétienté au terme de la guerre de cent ans.

 


Une iconographie moyenne-âgeuse de convention au symbolisme prégnant

Le Moyen âge de Claudel est de pure convention et Cuny s’évertue à recréer des costumes et une lumière particuliers dans un grand dénuement de décors champêtres au symbolisme prégnant que magnifie la photographie de Caroline Champetier. L’imagerie du mystère du moyen âge tend à suggérer en toile de fond la fièvre de l’exaltation mystique. Alain Cuny restitue une certaine rusticité terrienne de la paysannerie dominante dont il révèle la simple et profonde piété entre profane et sacré. Entre le jansénisme de Bresson et l’alacrité du Perceval le Gallois de Rohmer, il donne vie à l’hermétisme et l’apparente opacité du texte claudélien qu’il révèle par là même.

A l’instar du Perceval d’Eric Rohmer avec Chrétien de Troyes, l’acteur-réalisateur d’un film à la gloire de son mentor représente le psaume claudélien en donnant libre cours à la dramatisation théâtrale et à l’allégorie. Il reconstruit un continuum spatio-temporel plausible et conforme par le symbolisme à l’idée que renvoie l’imagerie moyen-âgeuse. Le fait de déclamer le texte d’une voix atone et neutre selon la technique bressonnienne permet aux acteurs de restituer le texte. Pari tenu pour un projet exigeant et qui mérite une vision dépaysante par les temps qui courent.

L’annonce faite à Marie sort simultanément en dvd bluray et en salles sous la supervision des films Potemkine.

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