La Prohibition et une guerre des gangs entre le clan-Capone et le clan-Moran. Telle est la toile de fond de l’œuvre de Roger Corman. Son film est fiévreux, intense. Capone, les yeux couleur de l’obsidienne, et Moran sont deux fauves. Ils interagissent avec leurs associés ou employés de façon féline, bondissante. Le corps extériorise la fureur diabolique de personnages surjoués. L’instinct guerrier et machiavélique de Capone ou Moran transpire l’incandescence et s’exerce dans la brûlure et l’irradiation. Les films de gangsters classiques tel que Scarface avec Paul Muni ou les différents rôles de James Cagney, qui est explicitement cité dans Scarface de De Palma lors de la séquence de l’interogatoire, cristallisent des digressions plus contemporaines sans innovation. Le film de Corman en est une. L’interprétation de John Robards, tout dans la colère et l’impulsivité, ne déroge pas à l’image d’Épinal que le cinéma offre du gangster. Sa quête de richesse et de pouvoir l’entraîne vers les sentiers de la folie et de l’hubris, avant de le précipiter dans une tombe. Il faudra attendre 1973 et Le Parrain de Francis Ford Coppola pour obtenir une certaine lenteur de la part d’un Parrain tout en charisme et en silence.
L’affaire Al Capone embrase l’écran pour finalement consumer les mêmes schémas narratifs et esthétiques des films de gangsters classiques. Néanmoins, le voyage de Capone à Miami, s’extraire du magma volcanique des règlements de compte qu’il a fomenté, rappelle le voyage de Michael à Cuba dans Le Parrain 2. La lumière solaire et luxueuse du directeur de photographie Milton R. Krasner intègre la contamination pulsionnelle des personnages sur le film. Bien que le Chicago de la Prohibition soit recréé de façon austère, grisonnante et triste, la richesse et le luxe des mafieux relèvent d’une exploitation esthétique fondée sur des couleurs chaudes et appuyées.
La narration du film, grâce à la guerre des gangs, opère une scission. Cependant, les rituels sont les mêmes : les conseils pour planifier et gagner du terrain sur l’ennemi, se venger, exploiter la fibre de la peur ou de la terreur pour souligner l’omnipotence du « boss » sur le microcosme italo-américain ou irlando-américain., utiliser le même jour, la saint Valentin, pour expédier son ennemi dans un cercueil et « surdramatiser » le règlement de compte. Malheureusement pour le film, le choix de la Saint Valentin est une option qui peut paraître cohérente dans l’expression amère et pessimiste du monde de la pègre, car il n’est jamais question d’amour et d’estime de l’autre. Tout d’emblée est mort et sale.
Cependant, l’évocation du jour de la fête des amoureux entraine un désamorçage de toute pression dramatique car le film, à ce moment précis, intègre un seul et même courant narratif. Les envies de chacun de tuer l’autre font confluer la tension du film dans un seul et même faisceau. La compression du film est totale, et les figures des parrains disparaissent pour témoigner de leur responsabilité face aux morts de leurs hommes, de simples exécutants. La séquence est majoritairement tournée en intérieur, avec une pulvérisation de l’action. Grâce à la dissémination de l’espace filmique, le film se comprime. L’intensité dramatique du film est finalement bien trop évidemment mise en première ligne pour fédérer et mener le film jusqu’à son avant dernière séquence écarlate. Le montage rapide et frénétique voudrait agir comme une libération de toute l’énergie comprimée.
Le film semble pêcher par un manque de finesse d’écriture. Le scénario manquerait quelque peu de consistance. La mise en scène dépeint un monde légèrement trop hermétique et dominé par deux seules personnes. La polyphonie des personnages n’est pas exploitée et livre une partition rythmée mais trop balisée de l’action. Les élans passionnels des grands films de gangsters contemporains trouvent dans L’affaire Al Capone une révision classique de ce code précis du film de gangster. La disparition des parrains, Moran et Capone, insiste sur leur lâcheté. Ils anticipent et prévoient quelques temps d’avance pour se délester de toutes responsabilités criminelles. Seules les personnes mettant la main dans le cambouis prennent tragiquement de volée les décisions de leurs supérieurs. Avec justesse mais sans panache, malgré quelques plans magnifiques lors de la sépulture de Lolordo, un défunt ami de Capone, Corman livre un film agréable et prenant sans être à la confluence de la décennie, sans la folie amère d’un changement utopiste du monde que les années soixante dix annoncent socialement et artistiquement.