La vida util s’appuie sur un parti pris simple et pas vraiment nouveau : un personnage un peu anachronique et marginal y fait figure d’emblème au sein d’une production qui met en avant son côté à la fois cinéphile et indépendant. L’utilisation du noir et blanc et du format carré, si elle a fonction d’hommage, vient également renforcer cette posture. Un peu embourbé dans le lieu commun, le film utilise une pratique passant pour désuète (la cinéphilie à l’ancienne, celle des cinémathèques) afin de figurer à la fois l’isolement et le côté un peu enfantin de son personnage principal de programmateur (Jorge, la quarantaine, un peu de ventre, vivant toujours chez ses parents). Mais le film fonctionne, prenant acte avec une tonalité un brin moqueuse et décalée de la fin d’un monde, et tentant d’ouvrir vers un autre.
Lui-même ancien programmateur à la cinémathèque de Montevideo, Federico Veiroj met tout d’abord en scène une fiction qui prend forme dans cet univers qui lui est familier. Il en filme les locaux, ainsi que le précédent directeur, qui retrouve ici son ancienne fonction. Le personnage principal est quant à lui interprété par le critique de cinéma uruguayen Jorge Jellinek. L’avertissement placé en ouverture (« Ceci n’est pas un documentaire sur la cinémathèque uruguayenne ») est à prendre comme un indicateur de la démarche du cinéaste : tisser dans une toile documentaire des brins de fiction qui, tout d’abord, détournent la réalité au profit d’un regard qui se montre à la fois nostalgique et mélancolique. Puis, faire voyager dans une temporalité ambigüe, dans laquelle se rencontrent les différents âges du personnage, enfant et adulte tout à la fois, avant qu’il ne soit déposé au seuil d’une nouvelle vie.
Le film se divise en deux parties distinctes. La première se conclut sur la fermeture de la cinémathèque pour raisons financières. Cette dissolution du lieu cinéphile par excellence se double de la démonstration d’une perte du sens de son existence même. Celle-ci est illustrée par le cinéaste avec une ironie amoureuse dès la première scène. Le directeur et son programmateur s’y répartissent le travail de préparation en vue d’un cycle à venir sur le cinéma islandais, citant tel ou tel nom d’auteur comme s’ils utilisaient un code ancien et d’eux-seuls connu. Les quelques plans les montrant plus loin animer une émission de radio vont dans le même sens. Les ondes ne passent plus les limites d’un cadre dans lequel eux-seuls continuent d’exister. Filmé en vase clos, à peine fréquenté, leur espace se dégrade. Les conditions de projection, comme le fait remarquer un étudiant venu présenter son court-métrage, également.
Dans la seconde partie, le film accompagne la transition de Jorge de la cinéphilie vers une vie plus réelle. Désormais sans emploi, l’ancien programmateur vagabonde à travers la ville à la manière d’un enfant désœuvré, d’un fugueur prenant le temps de savourer le plaisir d’une liberté jusque-là méconnue. Il est alors un peu dommage que, jouant la carte d’une modestie un peu sage et sans risque, le cinéaste se contente d’enchaîner quelques gags et instants poétiques, sans chercher à embrasser la ville et ses mouvements. S’il parvient à faire de son personnage un véritable héros de cinéma, celui-ci ne se départit jamais d’une certaine discrétion, même dans le morceau de bravoure final du discours improvisé dans une fac de droit, qui se résume dans la mise en scène à un échange de regards avec une seule étudiante. Et son aventure, qui se limite volontairement à la possibilité d’un rendez-vous amoureux, manque sans doute un peu de souffle et d’ambition.