Encore une fois, l’auteur ne choisit pas la facilité et s’attaque avec le même courage et le même talent que dans ses films précédents à des sujets sociaux qui prêtent à polémique. Ici, les relations hommes/femmes ne sont pas présentées de façon apaisée. On dirait que les personnages sont encore sur le mode de fonctionnement, non pas de la confiance et de la tendresse, mais du rapport de force, comme si le mâle devait obligatoirement conserver la tête haute en toute circonstance, et pas seulement devant les femmes. Les seuls moments de grâce viennent peut-être des deux petites filles qui représentent certes l’innocence, mais aussi l’espoir en l’avenir. Un espoir qui sera brisé lorsque, par peur du déshonneur et de la confrontation, Ali renoncera à faire l’aveu de sa stérilité et jettera la preuve et les deux poupées qu’il leur avait achetées de la fenêtre de sa voiture. L’autre femme qui tente en vain de faire croire à la police qu’elle est enceinte d’Ali, d’où le titre bien trouvé de La Preuve, est présentée aussi comme une intrigante, d’une beauté à peine voilée, tentatrice mais aussi menaçante, d’autant qu’elle est accompagnée d’une sorte de duègne qui l’encourage dans le mensonge et la délation.
Les policiers se montrent plutôt tolérants en fait envers Ali, d’autant plus que l’un d’entre eux est sans doute dans la même situation que lui puisqu’ils se sont rencontrés dans le cabinet médical. La preuve bien sûr fonctionne aussi pour la police puisque, grâce aux résultats des analyses qu’Ali était pourtant allé faire réaliser loin de son village et de façon anonyme, elle a l’intime conviction qu’Ali ne peut pas être le père incriminé par la jeune femme. Dans cette situation particulièrement inconfortable, c’est l’ensemble du statut social d’Ali qui chancelle et pour une raison qui lui échappe, un état de fait dont il n’est absolument pas responsable. Son père le rejette car il accuse la femme d’Ali d’être une incapable. Personne ne peut l’entendre, seulement l’ami de son père qui lui conseille alors de se confier à sa femme. Ali ne le fera pas. La seule femme qui lui prêtera une oreille attentive est la prostituée auprès de laquelle il tente en vain de se prouver qu’il n’est pas devenu en plus impuissant. Car la stérilité remet complètement en cause l’identité même de l’homme, tout autant son statut social que sa virilité. Ali se met alors à douter de tout, et même de sa place sur terre.
Au Maghreb, et dans les pays méditerranéens en général, la puissance du mâle doit être en action. C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre le regard d’Houria partagée entre l’étonnement de voir son mari passer sur la route devant la maison des ses parents où elle s’est réfugiée et l’amertume lorsqu’elle comprend qu’il ne s’arrêtera pas. Un regard froid et impénétrable en fait qui dit bien la guerre que s’y livrent les hommes et les femmes. On peut même aller jusqu’à penser que l’aveu de sa stérilité à Houria n’aurait rien changé, et aurait peut-être conduit à encore plus de complications au niveau du couple. « Désir d’approcher une problématique qui reste, au XXIe siècle, un tabou pour mettre en lumière la manière dont le regard de la société et de la famille impactent nos décisions, nos choix, sur des sujets très intimes », déclare Amor Hakkar. Et son film est, en ce sens, une belle réussite.