La Pirogue

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« Bouk », en wolof : se taper la tête contre un mur, mais y aller quand même.

« Moi, je suis l’homme africain qui va entrer dans l’Histoire », prononce un Sénégalais, bourré de peurs mais aussi d’espoirs, debout sur la pirogue qui va le porter vers un ailleurs illusionné. Aux propos de Nicolas Sarkozy prononcés à Dakar, Moussa Touré répond. Lui qui a reçu son autorisation de tournage seulement deux semaines avant que celui-ci ne commence, a su utiliser à bon escient le pouvoir d’expression qui était le sien, en tant que cinéaste sénégalais vu et écouté. Il en ressort un film, La Pirogue, qui brandit dignement un sujet que de nombreux documentaires et reportages se sont plu à décrypter mais que la fiction, elle, a longtemps délaissé. La mise en scène de Moussa Touré apporte un regard différent (et lucide !) sur cet état de faits, déplorable et malheureux, que constitue la migration clandestine.

Un œil nouveau sur une réalité maintes fois constatée, une réalité dont les acteurs sont des milliers de Sénégalais fuyant un pays qui les a vus naître mais au sein duquel ils n’ont aucune perspective d’avenir. À travers quoi, à travers qui Moussa Touré nous propose-t-il une nouvelle approche de cette condition sénégalaise ? À travers des acteurs, des hommes, avant tout. Des Sénégalais, directement impliqués et impeccablement interprétés. Le cinéaste ne se contente pas de mettre ses personnages en scène, il les interroge et n’hésite pas à faire impression de leurs signes extérieurs de faiblesse. Il questionne leur humanité, mise en péril par leur instinct de survie, à l’image de cette séquence où leur pirogue en croise une autre, celle-là en détresse. Un instant de doute émerge et effleure les personnages. L’hésitation est vite abrégée, ils préfèreront une brève survie à un suicide annoncé.
 
 

Et parmi tous ces hommes, le plus beau salut de Moussa Touré se trouve dans Nafy, la femme qu’il met en scène. Les Sénégalaises sont avant tout des mères, puis des épouses. Quand une femme aimante dit à son mari : « Je veux que tu restes », elle ne fait pas le poids, l’homme part quand même, il n’a pas le choix. Nafy, elle, ne se soumet pas et est agitée du même sentiment de révolte qui anime ses pairs masculins. Aussi engagée et décidée que trente hommes, elle va affronter les mêmes obstacles, les mêmes peurs.

La mise en scène de Moussa Touré brille de tous ces phénomènes et acteurs qui se confrontent les uns aux autres en même temps qu’ils coexistent. Ces protagonistes sont animés d’une énergie brute et primitive, ils ont les nerfs à vif, les muscles tendus, le corps fébrile. Leur naturel, ainsi que leurs émotions pures et spontanées, manifestent une véritable proximité au réel et nous montrent qu’on touche là à un sujet concret et historique. Il y a un rapport aux choses sincère et authentique, loin d’un cinéma peaufiné, peinturluré. Moussa Touré et ses acteurs ne se perdent jamais dans des émotions purement cinématographiques et gratuites. Le spectateur se retrouve lui aussi immobilisé sur cette pirogue en pleine mer, pieds et poings liés à ces hommes. On est proches de leurs corps, de leurs visages. Le cadre, comme eux, est prisonnier. Et puis le hors-champ, c’est l’ailleurs, l’horizon déchu, le sol que la plupart d’entre eux ne fouleront jamais.

Le film de Moussa Touré est terminé, mais on entend encore l’écho des voix sénégalaises, celui de la tempête. Et puis, le silence. À ceux qui n’y sont jamais allés, à ceux qui n’en sont jamais revenus.
 

Titre original : La Pirogue

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Durée : 97 mn


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