La Peur ne serait qu’un nouveau document sur la Première Guerre Mondiale s’il ne s’employait à en traiter l’écorce même : les tripes des soldats mises à mal au cours de cette “oeuvre du diable” (dixit Otto Dix dans son Journal de guerre) qu’était le conflit. D’Otto Dix justement, Damien Odoul affirme s’être inspiré pour composer les images, splendides, de son film, et il s’en faut de peu pour que certaines séquences échappent au côté figé d’un tableau (un cheval qui s’enlise en plan fixe, par exemple). L’admirable photographie permet au cinéaste de travailler à la fois l’hyperréalisme – on est littéralement dans la boue – et un onirisme qui, cauchemardesque, n’en reste pas moins bouleversant. Suivant ses soldats comme un reporter embedded, Odoul, s’il rend ainsi hommage aux poilus, n’oublie pas d’en faire de vrais personnages, quasi mythiques. Il y a un sens aigu de la poésie dans La Peur – ainsi des moments d’accalmie où Gabriel retrouve sa fiancée – qui rappelle que, sans mauvais goût aucun, l’horreur peut aussi être belle.
Par son côté farouchement anti-belliqueux (La Peur ne laisse aucun doute quant au fait que la guerre ne sert à rien sinon à broyer les hommes), le film évoque parfois A l’Ouest, rien de nouveau (All Quiet on the Western Front, Lewis Milestone, 1930), autre œuvre désespérée qui s’intéressait aussi bien aux combats qu’aux moments de latence où, dévastés, les hommes pouvaient aussi bien se laisser aller à pleurer qu’à rêver. Dans une belle scène d’hôpital, Gabriel, blessé, laisse une infirmière suivre du doigt ses plaies, où l’érotisme le dispute à une curiosité malsaine : “Qu’avez-vous fait à la guerre ?” La réponse n’est évidemment pas dicible ; pour le jeune homme, il ne reste qu’à imaginer comment il va pouvoir reconstruire sa vie. Il a vingt-trois ans.