La Nuit nomade

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L´ethnologue Marianne Chaud nous conduit, à travers monts et vallées, à la rencontre des derniers nomades du Karnak. Une aventure humaine époustouflante.

À l’extrême nord de l’Inde, sur les hauts plateaux du Karnak, des dizaines de familles mènent encore une existence nomade. Cueillette de plantes médicinales, traite et tonte de chèvres, déplacement de troupeaux, montage et démontage de tentes rythment leur quotidien à près de 4500 mètres d’altitude. Mais chaque année, avant que la neige ne recouvre de son blanc manteau les étendues himalayennes, les habitants de la région sont placés devant un choix cornélien : vendre leurs troupeaux et gagner les métropoles les plus proches ou se préparer à affronter un hiver de plus au cœur des montagnes. Bercés par les bêlements des ruminants, les derniers nomades insistent donc, impuissants, au départ progressif de leurs frères, de leurs sœurs et de leurs enfants. Chaque année, ce sont des dizaines d’entre eux qui renoncent à leur mode de vie traditionnel pour s’installer en ville, où les attendent de petits boulots journaliers payés des clopinettes.

Bon, très bien. Mais qui s’en soucie ? Une femme, Marianne Chaud, ethnologue et cinéaste française. Pendant de longs mois, cette amoureuse des grands espaces et des petites communautés isolées (Himalaya, La terre des femmes et Himalaya, Les chemins du ciel valaient déjà leur pesant de cacahuètes) s’installe dans la vallée du Karnak afin d’immortaliser le drame humain qui s’y joue. Mais attention, la réalisatrice ne se borne pas à filmer les nomades comme des animaux en voie de disparition en accompagnant ses images de commentaires navrés ou bien-pensants. Au contraire. Grâce à sa maîtrise de la langue locale, elle parvient à tisser avec les habitants de ces hauts plateaux désertiques une relation privilégiée. D’un côté, il y a Tundup, le vieux sage, qui refuse de gagner la ville pour devenir « le serviteur des autres », et son fils Kenrap, qui voudrait abandonner une bonne fois pour toutes sa « vie de nul » monotone et inconfortable. De l’autre, il y a Toldan et Dholma, mari et femme. Le premier est jeune, plaisantin, d’une beauté rugueuse ; la seconde douce, fière et jalouse. « Il te plaît mon mari ? Tu le trouves drôle ? Pourquoi tu n’arrêtes pas de le filmer alors ? » Marianne Chaud marche sur leurs traces, armée d’une caméra qui semble être le prolongement naturel de son bras, et capte des instants éphémères, intimes.

Mais elle a surtout l’intelligence de mettre son point de vue dans sa poche avec un mouchoir par-dessus, pour privilégier celui de ses compagnons nomades. Elle recueille respectueusement leurs paroles, leurs confessions joyeuses ou douloureuses. À cette amie venue de l’autre bout du monde, Tundup et ses proches se livrent sans retenue et lui dévoilent leurs rêves : ne plus être à la merci du froid et du vent, offrir à leurs enfants une véritable éducation, pouvoir se sédentariser de manière définitive. « Je n’ose pas dire à mon père que je veux partir, ça le mettrait en colère et un fils ne doit pas mettre son père en colère », avoue Kenrap d’un air penaud. Le vieux Tundup n’est pourtant pas dupe : l’heure du départ approche. La réalisatrice le regarde s’éloigner lentement, silencieusement, au beau milieu de ce paysage lunaire et désolé. Il guide son troupeau à travers la vallée, peut-être pour la dernière fois.
 
 

Titre original : La nuit nomade

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Durée : 90 mn


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