La Nuit des tournesols

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Il est des films d’où l’on ressort frustré. La Nuit des tournesols en fait partie. Le scénario est ingénieux mais la réalisation manque de mordant, Jorge Sanchez-Cabezudo utilisant la caméra pour enregistrer et non créer un film. Il ne prend aucun risque. C’est regrettable car certains plans sortent de l’ordinaire et sont vraiment beaux. Exemple […]

Il est des films d’où l’on ressort frustré. La Nuit des tournesols en fait partie. Le scénario est ingénieux mais la réalisation manque de mordant, Jorge Sanchez-Cabezudo utilisant la caméra pour enregistrer et non créer un film. Il ne prend aucun risque. C’est regrettable car certains plans sortent de l’ordinaire et sont vraiment beaux. Exemple : le beau-fils et collègue du caporal, Tomas, se prend une cuite pour oublier la monotonie de sa vie. Il rencontre Esteban, Gabi et Pedro sur le bord de la route ; ces derniers ont tenté de venger le viol de la jeune femme en s’en prenant à Cecilio, brave villageois sans histoire et mal embouché, qui est innocent. Le jeune policier de la « guardia civil » les croise sur le bord de la route. Il arrête sa voiture sur le bas côté, il est interpellé par Esteban, s’en va les voir puis retourne à sa voiture pour vomir l’alcool avalé compulsivement pour s’arracher à sa morne vie. Le plan de la nature nocturne éclairée par les feux arrière rouges de la voiture est très beau. Une connotation infernale dans la campagne pyrénéenne espagnole…

Il est dommage que de tels plans ne se réitèrent pas plus souvent dans ce film. Celui-ci ne sort pas de sa pesanteur latente, de son double rythme : rapide et tensionnel dans ses trois premiers chapitres, puis lent et malheureusement un brin solennel dans la seconde moitié du film. Le réel point faible est la gestion du rythme par la réalisation : le film est limpide mais l’auteur semble se chercher et ne pas oser. Raconter un film en forme de mosaïque éclatée demeure un choix compliqué quant à la mise en scène qu’il faut lui subordonner. Le dynamisme, la relecture des causes du récit sont remis en question à chaque chapitre. Malheureusement, la réalisation reste uniformisée, sans rupture notable pour créer un rythme et un style propres à chacun des six chapitres du film. La division du film ne lui permet pas de décoller. La difficulté d’une telle ligne narrative est de relancer en permanence la tension, or le rythme soutenu du film n’est présent que dans les trois premiers chapitres : « L’homme du motel », « Les spéléologues » et « L’homme sur la route. »

Le choix du réalisateur est une prise de risque narrative et scénaristique. Il nimbe la moitié du film d’un voile pesant du fait de sa lenteur. Le temps de la réflexion, de l’enquête instaure un changement assez inconfortable. L’aléatoire et la recherche pourraient être le contre-balancement des plans sur la route (surtout au début) : la structure du film se voudrait être une métaphore du destin. Un aléatoire de la vie qui ne se contrôle pas. D’ailleurs, l’infériorité qui en découle se trouve traduite par le vide des Pyrénées espagnoles. L’homme perdu dans l’immensément grand et ne parvenant pas, paradoxalement, à trouver sa place dans le monde. Malgré la cohérence des acteurs, le film ne parvient pas à emballer le spectateur.
Car la seconde difficulté réside dans la direction des acteurs : ceux-ci sont harmonieux. Ils offrent un patchwork de réactions intéressantes, mais ne jouent pas tous avec la même intensité. Le calme du vieux caporal, à neuf mois de la retraite, ne peut rivaliser avec le jeu fiévreux, pulsionnel, à la limite de la folie d’Esteban venant d’apprendre que sa petite amie vient d’être agressée. Leurs partitions respectives imprègnent le film d’une double détente là aussi paradoxale : elles se complètent, mais dotent le film d’un hermétisme froid. Ce jeu d’oppositions, cette galerie hétérogène de possibilités psychologiques, intéressantes sur le papier, accroît finalement la distance entre le spectateur et le film du fait de l’inconvenance de la réalisation et l’éparpillement de la narration.

L’aspect composite de l’interprétation trouve néanmoins un écho favorable dans le jeu de chaises musicales qu’opère le film. Tour à tour, les personnages secondaires deviennent les protagonistes principaux d’un ou plusieurs chapitres du film. Ils nous sont toujours familiers et participent à leur manière à l’intrigue principale : le vrai tueur s’échappe sans côtoyer l’univers carcéral, l’amant fougueux risque la prison après n’avoir pas su maîtriser ses pulsions et tué un innocent. Le beau-fils du caporal, qui rêve d’une autre vie, aide Esteban, Gabi et Pedro à maquiller le meurtre en échange d’une forte somme d’argent… Un engrenage irrémédiable s’enclenche. Le film n’est pas manichéen mais il ausculte l’homme sous ses plus sombres parcelles d’existence. Les faiblesses, les forces, les défauts, les qualités… Tels sont les champs de forces inhérents à l’humain et à son côté obscur. Tels sont aussi les tiraillements intérieurs dont souffrent les personnages, ces personnes communes qui s’étaient établies ou qui n’étaient que de passage dans ce monde rural que tout réunit et que tout sépare… La réunification des deux entraîne irrémédiablement des troubles néfastes pour la tranquillité rurale de l’Espagne profonde, et du village. Sous la surface, les apparences, coulent des rancœurs, de la violence, de la colère…

La nuit des tournesols se voudrait être un Délivrance espagnol. En moins dynamique, en moins talentueux. Il serait temps que certains réalisateurs européens comprennent que le style cinématographique américain ne leur correspond pas car l’Europe, quoiqu’on en dise, n’est pas l’Amérique. Pourquoi aller chercher des thèmes et influences ailleurs que dans ses bases alors que le cinéma espagnol est capable de créer des chefs-d’œuvre comme Le Labyrinthe de Pan ? A trop vouloir faire des films américanisés (par ses références ou influences), on y perd son identité. Il est impossible d’importer des obsessions américaines dans un cinéma européen car celui-ci n’a pas l’Histoire outre-atlantique. Lorsque Hollywood, pendant ses premières années, demandait à des réalisateurs européens de s’expatrier, l’objectif était de se trouver une identité et d’assumer ensuite cet héritage pour perpétuer une Histoire artistique et former les réalisateurs américains pour qu’ils reprennent le flambeau. Mais lorsque certains des jeunes réalisateurs européens de la nouvelle génération utilisent ou font des films comme pouvaient les concevoir Peckinpah ou Boorman, la question de l’héritage des années soixante-dix se pose encore. Il ne serait pas, semble-t-il, encore assumé car quelques-uns de leurs films n’en sont généralement que de pales copies alors que d’autres jeunes créateurs s’en tirent avec brio.

Titre original : La Noche de los girasoles

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Durée : 123 mn


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