La situation est simplissime : Nazif est ferrailleur. Il vit avec sa femme et ses deux petites filles de façon modeste dans une petite ville de Bosnie. Un jour, Senada, son épouse, tombe malade alors qu’elle étend la lessive sur leur petite terrasse. On l’hospitalise mais le couple n’a pas l’argent nécessaire pour payer l’opération pourtant indispensable. C’est l’histoire en fait de Nazif qui, pendant dix jours, va tout tenter pour sauver la vie de sa femme, se heurtant au silence des autorités et des institutions, tout en continuant de chercher encore plus de ferraille pour payer l’hôpital. Quelque temps après, Nazif et Senada ont donc accepté de jouer leur propre rôle et se mettre en scène dans la même situation. C’est dire que Senada a dû revivre les douleurs et Nazif son angoisse. On imagine aussi que les petites filles ont accepté nolens volens de jouer aussi la comédie. Ici, Danis Tanović va peut-être encore plus loin que le cinéma néoréaliste italien qui utilisait des acteurs professionnels et non professionnels sur une histoire réelle mais scénarisée. Peut-être sommes-nous plus proches de la téléréalité ou du vrai-faux reportage ? Ainsi le réalisateur se confie-t-il dans le dossier de presse : « J’ai demandé à Nazif de me raconter son histoire et j’ai noté les moments intéressants pour le film. Ensuite, nous avons reconstitué ce qui s’était passé. Nous n’avions pas de scénario à proprement parler, nous avons juste parcouru chronologiquement un épisode de leur vie. Et je n’avais absolument pas besoin de rendre les choses plus dramatiques car les événements qu’ils ont traversés sont tout simplement incroyables. »
Même si le film est admirablement bien interprété, bien filmé et cadré, et si l’histoire ne se donne pas avec une couche de pathos inutile, il y a quand même dans le procédé quelque chose de gênant dans la mesure où, maintenant, le combat politique semble de plus en plus remplacé par la mise en scène d’un engagement. Il semblerait que le fait de réaliser un film sur les malheurs que connaissent les opprimés de la terre, en l’occurrence une famille de Roms, donne presque bonne conscience et dédouanerait la morale occidentale de toute culpabilité, mais surtout de toute volonté de révolte, d’engagement ou tout simplement d’indignation. Ce film se mesure un peu à l’aune de la lutte récente des lycéens français pour défendre médiatiquement la désormais célèbre Léonarda que tout le monde, après un emballement médiatique disproportionné, a complètement oubliée. Ainsi va le monde, démultiplié par les effets de la télé et d’Internet qui déclenchent un tamtam planétaire étourdissant. Il ne manquait plus que le cinéma s’y mette, même s’il faut reconnaître à ce film une qualité de sobriété et de pudeur qui manque toutefois aux autres médias.