La critique de cinéma d’hier et d’aujourd’hui

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Une image reste une image. Comment la définir ? En 1968, les critiques se donnaient la main, et c’était radical. En 2008, les choses sont devenues plus compliquées. Explications.

Un mot pour qualifier tout cela : persévérance. Serge Daney l’avait repris pour l’un de ses fameux essais. Et des badauds l’ont sévèrement crié un peu partout dans les ruelles de Paris. Aujourd’hui, la révolution est-elle toujours en marche ? Il faut constamment y croire. Les institutions culturelles ont-elles évolué depuis la fin des années 60 ? Certainement. Et nos chers critiques de cinéma, sont-ils devenus plus mordants, plus réactifs, plus engagés, plus courageux que leurs célèbres grands-pères? Malheureusement, non ! Pire, la situation s’est dégradée et cette rocambolesque régression ne va pas tarder à pénétrer toute la pensée de l’image. En 1968, les images nous regardaient. En 2008, elles regardent nos ombres.

« Les premiers jours de mai 1968 restent pour moi un enchantement, comme un infirme qui découvre soudain qu’il peut faire partie naturellement du tableau, des rues qu’on arpente par le milieu, des discussions improvisées, du jeu de tennis ludique entre actions et réactions, de Paris plus beau que jamais et moi, dans l’absolu du rien dans les mains, rien dans les poches » La vie a toujours été ce mets qui n’agrée que par la sauce, et que certains raffolent. Ces quelques phrases, Daney les a constamment filmées. D’autres, avant lui, l’avaient fait. Les Truffaut, Rohmer, Godard et autres Rivette, les jeunes turcs de la Nouvelle vague qui dynamitèrent les conventions de la critique de cinéma, de la pensée, de la morale et de tout le reste. Plus tard, les esprits politisés prirent de l’ampleur, et c’est tout un microcosme qui saborda le pouvoir en place. Ils y ont cru, et c’est tellement beau de voir cela. Qui aujourd’hui descendrait dans les rues pour tenter de sauver quelques titres de la presse, des titres qui vont bientôt finir dans les poubelles de L’INA ? Qui va crier au scandale lors de la disparition des Cahiers du cinéma des étagères dans les relais presse ?

Remontons les Champs-élysées. En 1968, quelques semaines avant les barricades, le gaulliste ministre de la culture, André Malraux, décide de licencier Henri Langlois, directeur de la Cinémathèque et véritable passeur pour tous les cinéphiles du monde. C’est la débandade. Truffaut remettra son manteau, Godard, ses lunettes et Chabrol sa pipe. Chacun, armé de ses propres gadgets, ira sauver un Langlois triste et profondément solitaire. De Bergman à Chaplin, en passant par Léaud et Kalfon, des inconnus les yeux embués de larme aux des midinettes amoureuses de frivoles acteurs, tous longèrent les ruelles de Paris pour protester contre cette décision idiote et politiquement correcte. Et puis, Langlois rouvrit les grilles de la Cinémathèque et reprit sa fonction. Les cinéphiles, les amoureux du cinéma et les critiques remportèrent ce conflit.

Quelques jours plus tard, Paris se mit à grogner. Le nerveux et rouquin Cohn-Bendit souriait, et décidait d’interdire les interdits. Les ouvriers avaient entamé les coups de force, les étudiants achevèrent les préparatifs. Mai 68 pouvait commencer. Au même moment, dans le sud de la France, à Cannes, on fêtait le cinéma. Etranges sont les adeptes de l’illogisme. Toujours les mêmes, les furibards anciens critiques de cinéma décidèrent d’arrêter un Festival qui ne pouvait esquiver les bruits et les fureurs de la capitale. « Vous me parlez de travelling, de plans, de cinéma et moi je vous parle de la vie. Vous êtes des cons » Godard est radical lorsqu’il hurle à des ignares, à des people émoustillés, qu’ils ne peuvent poursuivre comme si de rien n’était. Puis, tout ira très vite. Polanski, Forman, Malle, tous décidèrent de retirer leurs films en compétition. La bataille des paillettes avait été remportée, une fois de plus par le masque et la plume. Tellement jouissif.

Cannes en 1968

Cette année-là, Les Doors scandaient Land Ho ! Aujourd’hui, personne ne peut se vanter d’avoir crié un jour cette clinquante phrase. Aucun critique. Métier particulier que celui d’analyser des plans, des idées, des souffles, de belles et fucking images. Métier réel qui absorbe le rationnel des quotidiens pluvieux, et surtout qui donne des envies de lyrisme. Aujourd’hui, il est rare, voire impossible, de lire dans les colonnes de presse, de réelles poussées d’adrénaline, des manifestations, des engueulades causées par les employés de cette belle administration qu’est la critique de cinéma. Des exceptions ? Oui, lorsque Leconte et Tavernier s’en prirent à nos amis journalistes, les accusant de mauvaise foi, d’injustice stylistiques, et surtout de former une ligue d’extraordinaires mécréants  désireux d’en finir avec une certaine tendance du cinéma de papa, qui poursuit sa belle ascension vers l’Everest cinématographique. Ce jour-là, des critiques s’affrontèrent et ce furent une belle pagaille. Toujours Positif, représenté par Michel Ciment, contre le triumvirat Inrocks/Télérama/Libération. Il n’y eut pas de victoire, ni de défaite. Il n’y eut rien. Vide absolu. La critique perdit de sa notoriété et Leconte, des spectateurs.

Aujourd’hui, donc, la critique de cinéma n’est pas très solidaire. Elle s’est engluée dans une forme d’égoïsme assez saugrenu. Dire que la critique ne vaut rien car le cinéma actuel est nullissime serait facile. Les rédactions sont beaucoup plus nombreuses, mais désormais dénuées d’échanges internes. L’envie de s’associer est devenue tellement ridicule que l’on évite de converser sur un film, sur une œuvre ou même sur une injustice. Combien de canards enchaînèrent les détracteurs qui font souffrir Pierre Etaix, les financements de films qualifiés d’«intellectuels» (triste insulte), le cinéma du milieu, le cinéma Georges Méliès et surtout le Club des Treize. Très peu. Il existe, bien évidemment, quelques mères courages qui continuent inlassablement de tisser un lien entre le rêve et la réalité, qui corrigent les coquilles causées par des pourris, et surtout qui n’oublient pas leurs origines : la rue !

Il serait malheureusement intéressant d’analyser la critique de cinéma en France. Malheureusement ? Oui, car le constat serait purement catastrophique. En 1968, le cinéma s’engageait dans des allées complexes et sauvages. En 2008, le cinéma prend toujours des risques, mais ailleurs. D’autres géographies envoient constamment de magnifiques cartes postales que peu de critiques osent voir. Comment répondre à l’injustice commise par les organisateurs de Cannes, qui n’ont pas sélectionné un seul film africain, toutes sections confondues ? Comment ne pas s’offusquer de l’absence d’articles sur les cinémas d’Amérique du Sud, qui prennent une véritable ampleur ? Comment ne pas crier à l’injustice, en voyant les pontes de la critique refuser de tendre la main aux jeunes regards bien plus spécialistes et surtout plus exigeants ? Le problème de cette critique, c’est de n’avoir pas su mettre un manteau, une pipe et des lunettes. C’est bien dommage.


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