La comédie romantique s’orne de motifs bien de son époque tout en conservant sa candeur dans ce bel objet cinématographique.
Les années soixante amenèrent leur lot de bouleversements sociologiques, notamment dans les rapports homme/femme. Le cinéma, et plus précisément américain, mené par les jeunes loups du Nouvel Hollywood, devait intégrer cette nouvelle donne à leur film. L’exemple le plus parlant serait certainement le Bonnie and Clyde d’Arthur Penn avec son duo de gangsters fragile et glamour à la fois, faisant de Faye Dunaway l’égal de Warren Beatty (implicitement gratifié d’impuissance sexuelle) dans les scènes d’action. Le meilleur terrain de jeu pour témoigner de cette mutation (sexualité libérée, code Hays malmené…) était certainement la comédie romantique, genre audacieux mais timoré en raison de la censure, obligeant les cinéastes à aborder certains thèmes de manière détournée. John and Mary, belle réussite de l’inégal Peter Yates (Bullit, La Guerre de Murphy) en est un bel exemple, pris entre modernité et sentimentalité intemporelle.
Au petit matin, Dustin Hoffman et Mia Farrow se réveillent dans le même lit après une nuit passée ensemble. C’est le point de départ de cette comédie romantique qui inverse le propos en amenant tout le registre de la séduction après l’acte, dans une unité de temps et de lieu épatante (Greenwich Village se dévoilant en toile de fond). Un peu empruntés et méfiants l’un envers l’autre, les deux vont apprendre à se connaître durant la journée qui suit ce qui devait être une coucherie sans lendemain.
Yates multiplie les astuces narratives géniales et ludiques : arrêt sur image, flashback dévoilant la rencontre finalement assez quelconque de la veille ou encore le passé des héros, faux flash forward où ils imaginent ce qu’ils feront du reste de leur journée après s’être débarrassés l’un de l’autre. Les pensées des héros dévoilées en voix off à des moments clés du film créent un décalage hilarant, que ce soient les tactiques de séduction, les mots mal interprétés qui déclenchent la suspicion des deux côtés (dont un passage tordant où Hoffman soupçonne Farrow de vouloir s’installer chez lui, lorsqu’elle réfléchit au dîner du soir en contemplant ses provisions). Sans vraiment s’en rendre compte, les deux sont tombés amoureux et sont incapables de se « décoller », sentiment renforcé par une intrigue qui ne quitte jamais l’appartement d’Hoffman. Cette contrainte spatiale crée progressivement une fausse nonchalance, un ennui factice tandis que le rapprochement inconscient est lui bien réel.
Le film adopte le mécanisme narratif des comédies romantiques de l’âge d’or hollywoodien, tout en usant des inventions formelles du Nouvel Hollywood, largement influencé par la Nouvelle Vague et notamment par À bout de souffle (la ressemblance physique de Mia Farrow avec Jean Seberg et son fameux look cheveux courts, ou les longs instants oisifs dans l’appartement). L’alchimie entre Hoffman (qui a gardé tout le charme juvénile du Lauréat) et une Mia Farrow absolument craquante (époque Rosemary’s Baby) font le reste. La dimension sexuelle est bien présente sans être appuyée outre mesure. C’est d’ailleurs là une des réussites du film : amener la rencontre par des voies nettement moins conventionnelles qu’auparavant, tout en illustrant la romance naissante par des attitudes et comportements universels. Le contexte a beau se faire plus moderne, au final, la maladresse est la même chez tous les amoureux, quelque soit l’époque…