Jean-Michel Basquiat : The Radiant Child

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Tamra Davis signe un document exceptionnel sur la vie et l’oeuvre de Jean-Michel Basquiat, le peintre de l’underground new-yorkais à la carrière fulgurante. À ne manquer sous aucun prétexte.

Il n’y avait pas de caméra vers 1880 pour saisir le génie d’Arthur Rimbaud à l’occasion d’une interview informelle, entre amis. Pour l’éternité ne nous reste aujourd’hui du jeune poète flamboyant que quelques clichés dont un portrait étincelant et énigmatique de ses dix-sept ans. Un siècle plus tard, en juin 1986, la réalisatrice américaine Tamra Davis avait l’idée de filmer avec une caméra d’amateur son ami Jean-Michel Basquiat de passage à Los Angeles. Et ce qui ne pouvait pas se réaliser pour l’auteur des Illuminations, le fût pour Basquiat alors au top de son succès.

Cet entretien, fil rouge en quelque sorte de ce film consacré à ce pionnier de l’art contemporain constitue à lui tout seul un document exceptionnel. Exceptionnel et bouleversant car on y entrevoit le visage du génie. C’est autre chose que la vision de quelques pièces de son œuvre ; autre chose aussi que les témoignages aussi passionnants soient-ils sur l’homme, l’ami, l’artiste. Non, là, sur ce visage d’ange se reflète le génie, purement et simplement. Une grande douceur émane de son regard ainsi que de son verbe vif et hyper rapide. Et pourtant, ce jeune homme en jeans et sweat-shirt qui se prête avec un grand sourire au jeu des questions-réponses nous donne l’impression d’être ailleurs, dans des sphères transcendantes. L’on distingue ses yeux qui regardent vers le ciel comme ceux de Rimbaud à dix-sept ans. Au moment de cette interview, il ne vivra que deux années supplémentaires.
 

À la mort de Basquiat, Tamra Davis avait rangé ses rushes dans un placard. Vingt ans plus tard, elle les ressort et décide de les intégrer dans ce documentaire qu’elle conçoit avant tout comme l’hommage à un ami. Si l’on excepte un biopic sur Basquiat réalisé en 1996 par Julian Schnabel avec Jeffrey Wright, le cinéma s’était très peu intéressé à l’artiste new-yorkais. C’est chose faite avec ce superbe travail de Tamra Davis (la sortie du film coïncide avec l’ouverture de la grande rétrospective consacrée à Basquiat au Musée d’art moderne de la ville de Paris, du 15 octobre au 30 janvier 2011).

En plus d’une narration très précise sur la vie et l’œuvre de Basquiat, le film est un document sidérant sur le New York du début des années 80. Une Big Apple aux antipodes de celle d’aujourd’hui et de son ambiance aseptisée. Il y a trente ans, la cité était violente et insalubre ; des films d’archives abîmés montrent des rues de Manhattan crasseuses, des gens qui dormaient sur les trottoirs enveloppés dans du papier journal. Glenn O’Brien, écrivain et figure de l’époque, parle de cette ville comme d’un no man’s land où régnait une anarchie parfaitement dans le goût de la bohème. La ville était comme désertée par les classes moyennes, autant dire les riches et les blancs. Toujours selon O’Brien, « à la fin des années 1970, New York était fait pour les artistes ». Les loyers étaient très bon marché. En somme, un territoire idéal d’expression pour la nuit, les expériences artistiques et l’héroïne.

Graffitis et masques

C’est dans ce contexte que va s’épanouir le talent de Jean-Michel Basquiat. Très jeune, il est passionné de dessin et y consacre le plus clair de son temps. Ses dons sont vite remarqués. Adolescent, il va faire une rencontre capitale, celle d’Al Diaz, qui deviendra son compagnon graffiteur. Leurs œuvres vont bientôt couvrir les murs de Manhattan et spécialement celles du jeune Basquiat. Ce dernier signant ses graffitis du sigle SAMO© pour "same old shit", en français « rien de neuf ». Ce sont pour la plupart des poèmes d’un seul vers à la verticale. Le documentaire de Davis insiste à juste titre sur cette période fondatrice dans le parcours du jeune prodige. Des archives le montrant muni d’une bombe aérosol écrivant à ciel ouvert une page de l’Histoire de l’art.
 

Puis ce sera une ascension fulgurante. En une dizaine d’années à peine, Jean-Michel Basquiat va devenir un artiste majeur de son temps. À l’aube des années 80, dans ce New York crépusculaire hanté par les artistes, les truands et les junkies, le jeune Basquiat fréquente les boîtes de nuit, notamment le Club 57 et le Mudd Club, et il y rencontre les grands du moment : Bowie, Madonna et Warhol. D’ailleurs, ce dernier et Basquiat deviendront de grands amis et la mort de Warhol le laissera dans une détresse profonde. 
 
Contrairement à la légende, l’artiste d’origine haïtienne et portoricaine va vivre de son art. Ses œuvres connaîtront un succès presque immédiat. Le documentaire nous montre le prodige au travail, dansant sur un disque de Charlie Parker, réunissant dans une même séquence d’archive le swing de Parker et le trait génial du peintre. L’œuvre, bien sûr, est mise en avant. Ainsi, des tableaux émaillent le documentaire plein cadre en une symphonie de couleurs, de motifs, de masques et d’abstraction. Basquiat était un autodidacte et s’intéressait à mille sujets. Son inspiration venait de la rue et du métro new-yorkais, de ce qu’il y observait ; d’une réflexion sur la négritude et d’une révolte contre la société de consommation. Toute son œuvre représente un sommet de l’art moderne à la jonction de l’art contemporain, qui dans un mouvement simultané et contraire revient aux racines, à l’art africain et primitif. À ce propos, il déclarait : « Picasso est venu à l’art primitif pour redonner ses lettres de noblesse à l’art occidental et moi je suis venu à Picasso pour donner ses lettres de noblesse à l’art dit primitif. »
Basquiat, rock star de son vivant, est mort à 27 ans. Comme Jimmy Hendrix, Jim Morrison ou Brian Jones. Souvent, la mort prématurée de tous ces surdoués, étoiles filantes d’une époque que la drogue a abattus, laisse leurs admirateurs dans une incompréhension mêlée de fatalisme. Tamra Davis glisse sur le sujet de l’autodestruction de son ami. Elle ne fait que l’évoquer par petites touches et la question du malaise de l’homme, de ses tourments et de sa part d’ombre n’est pas vraiment approfondie. Çà et là, à travers les témoignages de ses amis, l’héroïne est citée comme la cause de la mort du peintre, un peu comme une fatalité. Faut-il se révolter contre ce destin ? Pleurer la mort d’un ami, d’un génie, ou accepter cette malédiction, ne pas penser à l’obscure solitude qu’a endurée cet homme que le génie a exposé à la lumière incandescente et cruelle de la renommée et du star-system ?
 
 

Titre original : Jean-Michel Basquiat : The Radiant Child

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Durée : 88 mn


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