Italia, le feu, la cendre

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Peu accommodant pour le spectateur non-cinéphile, on pourrait dire d’Italia, le feu, la cendre, qu’il prêche des convertis. Reste que ce prêche est plein de panache savant.

Plus qu’un exercice de montage, jamais doux dans sa nostalgie

L’Allemagne a De Caligari à Hitler. L’Italie aura-t-elle De Maciste à Mussolini ? Au détour d’une de ses nombreuses fulgurances thématiques et historiographiques, le film de Céline Gailleurd et d’Olivier Bohler suggère que oui. Débordant d’une connaissance précise et incisive de l’histoire du cinéma muet italien, Italia, le feu, la cendre nous invite à un voyage qui emprunte beaucoup à l’Orphéïque – On en veut pour preuve une vue qui, expérimentant avec la technique stop-motion, anime un tronc humain séparé de ses membres, lesquels tentent vainement de reprendre leurs places naturelles. La mission pédagogique de ce documentaire, résistant à toute tentation trop académique (Gailleurd est pourtant enseignante à Paris VIII, et le film mobilise la participation de cette université et d’autres), est celle d’une intelligence visuelle.

Parlant aux instincts les plus cinéphiles, les plus scopophiles du spectateur, Italia est un de ces films qui donnent faim de cinéma, tant l’horizon qu’il en illustre est varié, et tant les exemples et extraits qu’il nous présente sont riches et créatifs. Difficile, alors, d’en faire un synopsis. Pas vraiment un récit, pas un collage non plus, Italia nous propose plutôt des lignes ; On a tout loisir d’en saisir une au vol, et de se concentrer sur l’évolution de tel ou tel motif filmique sur plus de 30 ans d’histoire audiovisuelle dans un pays qui est encore, à bien des égards, celui de Carlo Collodi (c’est-à-dire celui d’une hybridation entre le fantaisiste et le potentiel de s’éveiller à la violence. Celle-là même qui peut faire débuter le documentaire sur un défilé d’ânons et le faire se finir sur des répétitions de volutes de fumée et de tourbillons incendiaires). Par ailleurs, la narration, assurée par Fanny Ardant, n’est pas didactique : Elle nous donne des fenêtres sur divers textes – sur différents être-cinéma, du spectateur qui découvre cet art dans ses racines foraines, au futur génie artistique qui associe la forme filmique à son tout premier souvenir.

Une série d’eurêkas analytiques pour comprendre le cinéma Italien

« La foule, les cris, la fumée, le fait de rester debout comme à l’Église, comme à la gare… Le voilà, mon premier film. » Voici en effet les mots de Federico Fellini, se remémorant le cinéma de ses six ans, porté par le personnage de Maciste. Déjà perceptif, ou alors à posteriori lucide sur ce qui aura été un lieu de culte dans sa vie, le cinéaste donne un caractère sacré à la salle obscure. Il fait de l’expérience commune du film un moment religieux. C’est souvent le sentiment qu’on ressent, devant Italia, le feu, la cendre : Celui d’assister à une messe. Si ce n’est une messe de nos croyances, il s’agit de celles de beaucoup de fidèles. On a l’impression d’apercevoir quelque chose qui appartient à un autre royaume de l’existence. C’est peut-être parce qu’on sait que toutes les personnes que l’on voit à l’écran ont disparu depuis longtemps. On dit souvent du cinéma qu’il touche à l’immortalisation – Ce n’est pas tous les jours qu’on voit un film dans lequel elle est faite corps, chaque nouveau comédien un maillon dans une chaine qui nous rappelle l’incroyable insupportabilité pour le cinéma d’être oublié.

L’un des textes les plus intéressants du film, à mon sens, est celui de Francesca Bertini. Vraie créature de cinéma (puisque fille d’actrice et d’accessoiriste), Bertini exsude un pouvoir certain, un charisme drapé de ténèbres envoutants. Plus qu’une comédienne, Bertini semble être de ces artistes qui voit le cinéma, semble-t-il, de l’intérieur, et a un contrôle surnaturel sur sa forme de prédilection – Une démiurge dans la manière dont elle dit créer les rôles. Cela aide qu’Ardant semble particulièrement à l’aise dans sa lecture de ce discours. Un reproche que l’on peut faire au film, c’est qu’Ardant ne module pas sa voix selon l’écrivain à qui elle la prête. Peu importe qui est censé parler, le ton reste le même, celui d’une sorte d’aristocratie nymphale et précieuse, d’elfe qui, par sa nature hors du temps, en sait beaucoup plus que son locuteur. Cela est peut-être vrai pour ce qui est des sujets de cinéma que l’on voit dans le film – Eux ne peuvent pas s’exprimer avec la clarté de décennies d’Histoire écoulées depuis les tournages –, mais était-ce bien approprié pour dresser une relation entre narratrice et public ? Ceci dit, cette maladresse de goût est bien la seule qu’on peut identifier dans le documentaire. Tout le reste de l’œuvre brille par sa cohérence, par l’aisance avec laquelle toutes ses sources disparates s’imbriquent parfaitement. Mêmes les intertitres modernes du film sont joueurs et complices (se permettant des audaces d’agencement de fragments de phrases), en référence à la manière dont les intertitres d’époques l’étaient.

Titre original : Italia. Il fuoco, la cenere

Réalisateur : ,

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Durée : 94 mn


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