Interview avec Dror Shaul

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Avec Adama mon kibboutz, le jeune réalisateur israélien Dror Shaul nous offre un film superbe dans lequel un jeune acteur de douze ans, Tomer Steinhof, crève l´écran. Shaul mêle souvenirs d´enfance et invention pour nous raconter une histoire tragique, touchante et souvent très émouvante.

Vous dites avoir « enterré vos souvenirs d’enfance » dans la terre où vous êtes né. Quels sont ces souvenirs d’enfance ?

D’une certaine manière, on pourrait dire que cette histoire a eu lieu, mais pas sur une seule année et pas à travers un seul garçon. La plupart des événements du film sont presque tous inventés. C’est ce que j’entends par « enterrer » mes souvenirs du kibboutz. Mais vous ne pouvez pas vraiment les enterrer parce qu’un kibboutz est peut-être le seul endroit qui traverse le temps tel quel, à l’égal d’un musée en quelque sorte. Je suis retourné avec mon frère il y a quelques semaines au kibboutz de mon enfance. Tout était là, les mêmes visages, rien n ‘avait bougé, comme dans un musée. C’est très, très difficile. Et puis, le point cardinal que je veux soulever, c’est une question psychologique. Je veux parler de l’influence, le pouvoir que peut avoir un groupe sur un individu. C’est une pression qui ne peut pas vraiment être décrite. C’est proche du phénomène religieux. Être issu de ce monde et se rendre compte que cela n’a rien à voir avec la vraie vie.

Tomer Steinhof, qui joue le petit garçon, crève l’écran, véritablement. Comment l’avez-vous trouvé ?

Le casting était axé sur trois personnages : le garçon et sa maman (Ronit Yudkevitch) et aussi Henri Garçin, le petit ami suisse de la maman, qui d’ailleurs a fait un travail remarquable ; son personnage est fondé sur la mémoire que j’avais d’un homme suisse. Ce fut très difficile de trouver la maman ; quant à Tomer, j’ai d’abord vu 200 enfants. Je ne trouvais toujours pas. Puis j’ai commencé des essais de 45 minutes. À un moment donné, j’ai commencé à perdre espoir. Un jour, Tomer est arrivé au bureau, il était beau. Il s’est assis, je lui posais des questions, je n’étais toujours pas convaincu. Et puis je lui ai posé une question sur le divorce, je me suis retourné vers lui et j’ai vu son visage inondé de larmes. J’ai allumé ma caméra, puis je lui ai demandé de lire son texte et là il a été absolument formidable.

Comment avez- vous dirigé Tomer ?

D’abord, il faut dire que Tomer est garçon très sensible. Au cours du tournage, il avait à apprendre ses scènes, sans la présence de son papa ni de sa maman, et je lui choisissais de la musique, quelques chansons qui pouvaient influencer ses émotions.

Il observe beaucoup, il a une distance. En même temps, il est souvent effrayé par ce qu’il voit. Le regard de cet enfant, c’était le vôtre ?

Vous ne pouvez jamais vraiment avoir une vie identique à celle d’une autre personne. Dans un sens, ce que j’ai tenté de montrer avec ces personnages, c’est le décalage ahurissant entre ce que voit le garçon et ce qu’on essaie de lui mettre dans la tête. Dans la vie civile normale, pas de problème : il y a les forts, les faibles et si vous n’avez pas de chance, eh bien tant pis, mais c’est normal dans un sens ; et c’est mieux que de se faire amputer d’un bras. Mais dans une société qui se prétend égalitaire, juste, la communauté doit venir en aide aux plus faibles. Voilà le sujet du film : être un enfant et constater que la réalité est tellement éloignée des principes.

Il apprécie aussi les plaisirs de l’enfance. À ce propos, quelle est la signification de ces sucettes qui apparaissent souvent dans le film ?

Elles m’ont permis de matérialiser l’évolution de l’enfant. Ces sucres d’orge reviennent à différents moments du film, comme un flash-back de la scène originelle. Il y a un rapport très intéressant entre le bonbon et l’enfant qui devient un homme lorsque, dans une scène, Tomer (Dvir dans le film) fait le guet sur le seuil de la maison de sa mère. Le craquement du bonbon dans la scène inaugurale est une métaphore du surgissement de la réalité.

On peut dire que le système des kibboutz, du moins à ses débuts, a transformé une utopie en réalité. C’est « À chacun selon ses besoins », qui définit le communisme selon Marx. C’est unique dans l’Histoire. Comment expliquez-vous que ce soit si méconnu ?

Cette histoire est une grande tragédie. À l’origine, le mouvement des kibboutz part d’une idée très bonne. Mais au final, l’expérience est impossible parce qu’elle est contre-nature. Et dans la nature, « the tiger is sleeping on the puppies » (un tigre sommeille en chaque chiot). Par exemple, séparer les enfants de leurs parents est une idée absolument contre-nature. Mais encore une fois, ces gens-là croyaient profondément qu’ils agissaient pour le mieux, c’était des gens bons, du moins la plupart d’entre eux. Ils étaient des pionniers, ont cultivé la terre qui était un désert auparavant. Là réside toute la tragédie.

De manière générale, comment concevez-vous le cinéma ? Quelles sont vos influences ?

Comment puis-je répondre à cette question ? (rires) Je ne sais pas. Attendez, je travaille à la réponse. (Il consulte Henri Garcin qui est à nos côtés). C’est une question très difficile. Même en une heure, je ne pourrai pas vous répondre. Je peux vous dire une chose : ma petite amie et moi-même avons revu, il y a quelques jours, Hiroshima mon amour d’Alain Resnais. Rien à voir avec Adama mon Kibboutz, mais nous avons de nouveau été sous le charme.

Propos recueillis à Paris par Alexis de Vanssay

Titre original : Adama Meshuga'at

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Durée : 97 mn


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