Interview de Dagur Kàri

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Rencontre avec Dagur Kàri, symbole de l’émergence d’une génération de cinéastes islandais talentueux et prometteurs.

Remerciements : Matthieu Chéreau et Cédric Delannoy.

Cinéaste trentenaire, Dagur Kàri est venu présenter deux de ses films au festival Air d’ Islande, organisé ce week-end à la Filmothèque du Quartier Latin : « Noi Albinoi » et « Dark Horse ». Il fait partie, avec Solveig Anspach, de cette « micro-vaguelette » de cinéastes islandais, talentueux et prometteurs. Peu nombreuse mais audacieuse, cette jeune génération de la lointaine île du Grand Nord dépeint la réalité sociale avec onirisme et poésie du langage. Retour avec Dagur Kàri sur son second long-métrage « Dark Horse » et sur les sitcoms comme source d’inspiration.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Dagur Kàri. Je suis né en France, à Aix-en-Provence et j’y ai vécu jusqu’à 3 ans. Puis je suis parti en Islande puisque mes parents sont tous deux islandais. Après le lycée, je suis parti étudier à la National Film School of Denmark, à Copenhague. A la fin de mes études, j’ai réalisé un court-métrage : Lost Weekend (1999). Deux ans après est sorti Noi Albinoi (2001) puis a suivi Dark Horse en 2005.

Pourquoi avoir choisi le Danemark comme décor central de Dark Horse ?

Tout est parti d’une proposition. Alors que j’étais en montage de Noi Albinoi, j’ai reçu des retours négatifs lorsque je le présentais à certaines personnes. Donc je pensais que ma carrière était finie. Et puis une compagnie de production danoise m’a appelé et m’a demandé de réaliser un documentaire. Et j’ai dit oui car j’étais content que quelqu’un me propose un travail. Voilà, l’aventure Dark Horse a commencé par cette proposition de documentaire. On était supposés écrire le scénario pendant 3 mois puis le tourner, mais il a fallu un an et demi pour finir le scénario. Et une fois achevé, on s’est rendu compte qu’il n’y avait plus de pertinence et d’actualité. Donc je suis allé voir le producteur et je lui ai demandé si on pouvait juste réaliser un film à petit budget : il a dit oui. Dark Horse est né.

Pourquoi avez-vous divisé votre film en 12 chapitres ? Comment l’avez-vous écrit : dans la linéarité ou par fragmentation, comme 12 courts-métrages ?

Lorsque j’ai commencé à écrire le film, j’ai appelé un ami scénariste qui ne voulait plus jamais refaire un film. J’ai insisté et on a déterminé des règles. On a oublié la construction en 3 actes et on a juste pensé aux idées et aussi à s’amuser. Ce fut le principal but. On pensait juste à une situation, un personnage, une scène. Au bout d’un certain temps, on a quand même dû trouver une ligne cohérente. Au montage, on a décidé de diviser le film en 12 chapitres, comme 12 chansons.

 

     

Je crois que vous êtes également musicien ?

Oui, j’ai fait la musique de mes deux films. Cela fait partie du même processus de création. Mais pour revenir à Dark Horse, on a voulu retranscrire l’esprit des sitcoms, écrire un film qui commence comme une sitcom, de façon lente et comique mais qui change de genre. Au départ, il s’agit d’une comédie, puis elle s’oriente vers le drame.

Pourquoi avoir choisi d’incorporer une image en couleur alors que votre film est en noir et blanc ?

Pour souligner l’état d’esprit du personnage principal, le choix fut fait de filmer en noir et blanc puis d’insérer juste une image en couleur pour un moment-clé. Daniel, le jeune artiste graphique, vit dans une bulle, dans son propre univers, proche de la réalité que l’on connaît mais pas exactement telle que l’on la côtoie tous les jours. Mais au moment de conduire son amie enceinte à l’hôpital afin de se faire avorter, l’image apparaît en couleur. Ce fut un moyen d’accentuer ce moment révélateur et de leur indiquer qu’ils devaient vivre leur vie. Il s’agissait de souligner un moment de clarté.

Dans beaucoup de films islandais, la jeune génération est abordée de manière pessimiste. Pourquoi ce choix ?

Parce que c’est juste une génération à laquelle j’appartiens et que je suis fasciné par les gens de mon âge, qui sont des artistes graphiques ou des DJ, des professions qui appartiennent à la jeunesse. Et j’ai toujours pensé que si on mettait toute son énergie pour devenir un Dj, on ne peut pas grandir. A quel point allez-vous rester enfermé dans cet univers de la jeunesse ? En quelque sorte, mon intérêt porte sur le question : où se termine l’adolescence et où commence la vie d’adulte ? Je connais beaucoup de Dj, ils vivent comme dans une bulle. Ils vivent la nuit et dorment le jour, créent pour eux-mêmes, ont des vêtements gratuitement ainsi que des albums. C’est une vie sans effort. Mais combien de temps cela va-t-il continuer ? Quand vont-ils devenir des adultes?

Peut-on voir dans la difficile condition de Daniel comme artiste graphique, une preuve de la générale difficile condition de jeunes artistes, de nos jours, de percer dans un milieu artistique ?

Je n’ai jamais pensé à ma situation en général. Je pensais juste à une spécifité reliée à Daniel. Je n’essayais pas de commenter une situation générale. Je m’intéressais uniquement au personnage et à sa situation.

 

     

Certains films islandais m’ont rappelé des accents kaurismakiens. Quels sont vos réalisateurs favoris ?

Quand on sort d’une école et quand on commence, on est influencé par de nombreux réalisateurs mais ensuite, progressivement, on veut trouver son propre style. Au début de ma carrière, je fus influencé par Jim Jarmush, Truffaut, un peu Kaurismäki mais pas tant que cela. Mais j’espère trouver ma propre « patte », ma signature. Mon rêve est que les personnes ne prononcent pas le nom de réalisateurs comme références, mais me mentionnent comme réalisateur à part entière, comme ma propre voix. Evidemment, lorsque vous commencez, vous avez des maîtres mais de nos jours, je suis moins influencé par des réalisateurs que par des séries. Quand j’écrivais Dark Horse, je regardais tout le temps Les Simpsons, Seinfeld. Je suis fasciné par ce type de format car il y a toujours un univers confiné. Dans Friends, le décor se compose d’un café et d’un appartement. Mais le problème d’une sitcom demeure dans le personnage qui ne peut pas évoluer. S’il apprend ses erreurs, la sitcom est finie. Le principe de la sitcom est de présenter des personnages qui ne comprennent pas leurs erreurs. Au contraire, dans un film, vous êtes obligé d’avoir une structure évolutive. Le personnage commence par un problème, et tout au long du film, il apprend à le résoudre et en même temps à se développer. J’aime la sitcom car vous êtes avec des personnages attachants que vous aimez, et que vous restez avec eux puisqu’il n’évoluent pas. J’ai voulu incorporer ces héros de sitcoms dans un film, donc surtout dans un cadre esthétique, car il faut le reconnaître, l’esthétique des séries est très médiocre. Dark Horse est le résultat de cette combinaison.

Que pensez vous de la vague de jeunes réalisateurs islandais que met en valeur Air D’Islande ?

Je pense qu’il n’y aura jamais de vague à proprement parler, car il n y a que 4 ou 5 réalisateurs en Islande, et que le marché cinématographique est pris d’assaut par les américains, qui ne laissent pas de place au développement d’une identité. Il n’y a pas suffisamment de production pour créer une vague.


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