Interview d’Anaïs Barbeau-Lavalette, réalisatrice de Chien blanc.

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« Je continue de croire que le Cinéma peut être un levier de changements politiques et sociaux. »

Beaucoup d’écrivains ont abordé le racisme qui gangrène les  États-Unis, on pense notamment à James  Baldwin que vous citez au début du film. Pourquoi avez-vous choisi  de suivre les pas  de Romain Gary pour nous replonger dans cette époque qu’est la fin des années soixante ?

J’ai lu Chien blanc quand j’avais quatorze ou quinze ans. Évidemment, je ne savais pas à cette époque que j’allais en faire un film un jour, mais le livre m’avais marqué. Je l’ai relu il y a quelques années, et là je me suis aperçu qu’il contenait une problématique très contemporaine qui est : comment une personne blanche privilégiée peut participer à un conflit pour un enjeu dont elle n’est pas victime ? A-t-on le droit de se mêler de cette lutte ? Et, si oui, comment ? Et en dehors de ce questionnement très moderne, je trouve que l’histoire est très forte. Le couple blanc qui trouve un chien dressé pour tuer des personnes noires. Le fait que cela raisonne encore avec notre actualité. Durant les élections, Donald Trump a multiplié les Tweets qui parlaient des Chiens blancs. En tant qu’auteur, je ne me compare pas à Romain Gary. Par ailleurs, il est plus en colère que moi. Son analyse est complète, toujours très pertinente aujourd’hui. Son intelligence me foudroie. Après, est-ce que l’on peut traduire dans un film toute sa pensée ? Je ne le pense  pas, et ce n’était pas mon objectif.

À plusieurs reprises dans le film, l’écrivain aussi  admiré qu’est  Romain Gary ne se fait pas d’illusion sur sa capacité à faire évoluer le regard d’une partie de la population,  mais il refuse pourtant d’abdiquer .Se trouver face à une impasse, continuer à avancer en cherchant d’autres chemins d’action, c’est également comme cela que vous concevez  votre engagement  de réalisatrice, d’écrivaine ?

Je pense que Gary est plus pessimiste que moi. De mon côté, je continue de croire que le Cinéma peut être un levier de changements politiques et sociaux. Car, j’ai été moi-même changé parfois par des œuvres, des regards différents. Si je réalise des films, c’est dans l’objectif de participer au monde, d’éveiller les consciences. De remuer les pensées.

Sans vouloir trop dévoiler le film, il y a une scène très forte qui symbolise l’impasse à laquelle sont confrontés Jean et Romain. Ils sont tous les deux dans un enclos, séparés par une grille. Les distances sont  brouillées, on ne sait plus qui se trouve de quel côté du grillage ? Pouvez nous dire plus sur le dispositif de mise en scène ?

Oui, effectivement, c’est une scène cruciale. J’ai l’impression que tous les enjeux sont cristallisés dans ce moment. Romain choisit son camp, il est du côté de la bête dans l’enclos. Jean se trouve de l’autre côté de la grille. Ils sont séparés matériellement, comme ils le sont au niveau au de leur vision sur l’engagement. Les deux sont bouleversés par le racisme, les deux veulent s’engager, mais chacun à une façon  de concevoir cela. Romain est dans une utopie, Jean sur le terrain. C’est une scène que l’on a beaucoup travaillée avec les acteurs, en s’interrogeant sur tous les enjeux. Avant cette scène, le spectateur doit se demander pourquoi Romain n’a pas tué ce chien.  On a hâte que la question soit posée. Le conflit dans le couple se trouve à son paroxysme dans ce moment-là. La caméra va choisir son camp, on est du bord de Romain. Une difficulté technique s’ajoute à cette scène, on tourne avec un chien qui doit rester immobile, car blessé. La dresseuse se trouve allongée juste à côté de lui pour le tenir. C’est au dernier moment, au montage que l’on effacé sa présence. On a tourné avec deux berges allemands, de la même famille, deux acteurs-chiens, le père agressif et le fils plus doux.

Crédit Photo_Go Films_Vivien Gaumand

 

Nous sommes dans une période trouble et sombre de l’Histoire, pourtant vous avez-opté pour une photographie douce et lumineuse. Quelles sont les raisons de ce choix ?

Je pense que cela fait partie de ma façon de résister au pessimisme. Le film est dur par ailleurs, comme avec la présence des nombreuses images d’archive. Je ne souhaitais pas en rajouter. Le fait d’avoir pris la décision de mettre en avant l’enfant, ce qui est très peu le cas dans le livre nous incite à envisager le monde avec un regard plus nuancé, voire plus optimiste. À nous projeter dans des perspectives moins sombres. Diego (fils Gary) a la vie devant lui.

La vie du couple Romain Gary et Jean Seberg occupe une place importante dans le scénario. Mais pour ne pas attirer trop de lumière vers eux, Denis Ménochet et Kacey Rohl font preuve d’une grande sobriété dans leur jeu. C’est un choix que vous avez fait avec les comédiens ?

En effet, leur jeu est très intérieur. Le fait que ce soit des célébrités ne les placent pas au-dessus des autres. Comme nous, ils sont animés par le doute, les contradictions. En abordant leurs rôles, j’ai constaté que Denis et Kacey étaient d’accord avec moi sur la façon dont seraient représentés leurs personnages. Les moments où Denis ressemble le plus à Romain, c’est dans les scènes d’interviews, où l’on retrouve ses mimiques sa façon de s’exprimer. Denis a beaucoup travaillé ces passages. C’était très important que l’on y retrouve la force et le charisme de l’écrivain.

Vous avez fait appel à Denis Villeneuve comme conseiller technique. Comment s’est mise en place  cette collaboration ?

Je connais Denis Villeneuve depuis très longtemps. J’avais réalisé un documentaire sur son tournage d’Incendies (2010). Il a été présent tout le long, alors même qu’il était en train de mettre en scène Dune. Je l’appelais, il répondait avec la gentillesse qui est toujours la sienne. Tout aussi important, je voulais m’entourer de stagiaires afro-descendants pour le tournage. C’est grâce à son rôle de mécène que j’y suis parvenu.

Entretien réalisé le lundi 15 avril au SHACK Paris. Merci beaucoup à Anaïs Barbeau-Lavalette pour sa disponibilité et sa gentillesses, ainsi qu’à Sophie Bataille, attachée de presse, qui a permis cette rencontre.

 

Lire également l’article consacré au film Chien blanc.

 

Crédit Photo Eva-Maude TC


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