Illégal

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Après « Cages », Olivier Masset-Depasse jette son actrice fétiche dans l´enfer des centres de rétention. Anne Coesens campe une clandestine russe goûtant les rouages administratifs d´une Europe qui se ferme. Quand la mondialisation se fait sélective…

Illégal, c’est une plongée en apnée au cœur des centres de rétentions, ou comment les replis nationalistes criminalisent les flux migratoires. llégal, entre document sur l’immigration et fiction cinématographique. En s’affranchissant des casseroles gauchisantes traînées par le documentaire, le réalisateur interpelle l’humanité de chacun par delà les clivages politiques et idéologiques. Bref une fresque réaliste à la hauteur des meilleurs Ken Loach, un rien romancée, sans le pathos larmoyant d’un Guédiguian.
 
Il n’y a que l’éblouissante prestation d’Anne Coesens en mère-courage pour nous rappeler que nous sommes au cinéma. Elle est une femme submergée de toute part et surtout de l’intérieur mais tout en contenance. Là réside la vertigineuse virtuosité de Coesens : le masque est en perpétuel mouvement, au gré des soubresauts de son âme. Regardez les mains, la commissure des lèvres alors que les rides d’amertumes se creusent ; les pattes d’oies qui s’étirent jusqu’aux tempes comme pour mieux étouffer ses larmes. Et c’est une révolte qui gronde des tripes à l’épiderme, tant on est au diapason de cette douleur aussi sourde qu’assourdissante. Prenez Le Cri d’Edward Munch : l’absence de son nous oblige à calquer sur la toile notre cri intérieur pour alors saisir toute l’étendue de la souffrance représentée. Une œuvre qui se nourrirait en quelques sortes du regard de chacun pour accéder ainsi au sublime…Ici, Olivier Masset-Depasse exalte chez le spectateur une compassion des plus sincères, se mêlant presqu’aussitôt à une honte tenace. La noblesse s’en est allée vers des fuyards enchaînés, qui suivent la course des nuages à travers le grillage. Et les voleurs de poules me direz-vous ? Le film ne saurait jeter l’opprobre sur les gardiens des centres, les policiers qui se laissent parfois aller à noircir de leurs bottillons le dos de femmes apatrides, non. Nos sociétés confrontent ses travailleurs les plus précaires vers l’exercice d’une bestialité qui n’est pas la leur, sinon la nôtre. Ils sont l’expression d’une cruauté systémique nommée législation : la honte est leur métier, comme une concession de plus sur l’éthique au travail. Quand une société rogne déjà sur la dignité de ses chers administrés, elle n’a pas le luxe de s’appesantir sur celles des gens de passages…
 
Le système dénoncé n’épargne pas ses complices : vous, moi, nous. L’expérience est aussi périlleuse qu’enrichissante : on en sort certes un peu plus libre mais un poil morveux. Puis on se surprend d’éprouver une furieuse envie de passer à autre chose, d’enterrer le cadavre au plus vite… Et de rire jaune de notre chère devise nationale, quand un nombrilisme anxiogène fait fi des valeurs universelles dont se parent nos pseudo-démocraties.

Titre original : Illégal

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Durée : 95 mn


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