« Il est difficile d´être un Dieu » fait partie de cette catégorie, rare et peu aimable, des films qui rendent littéralement malades.
Il est difficile d’être un Dieu est le dernier-né d’un cinéaste russe et peu prolifique (quatre films en quarante ans), décédé avant la sortie du film : Alexeï Guerman. Adaptation d’un roman de science-fiction dont l’histoire se déroule sur une planète lointaine ressemblant en tous points au Moyen Âge, le film conte le parcours de Don Rumata, un terrien auquel les autochtones prêtent des facultés divines. Gouverné dans une optique radicalement baroque, Il est difficile d’être un Dieu se voit sans cesse submergé par un trop-plein d’éléments qui assiègent le cadre : excédents d’objets, de visages, de paroles, de mouvements, de visible… jusqu’à l’indigestion. En effet, au-delà du dégoût et du choc qu’il peut légitimement susciter, le film s’assimile avant tout à une expérience terminale d’épuisement des sens, dont on ressort vidé, hagard. En plantant sa caméra à hauteur de crachats, de fange et d’excréments, Alexeï Guerman donne à voir un monde de pure matière, gangrené par la crasse et la décomposition, où les facultés sensorielles sont l’objet d’un assaut de tous les instants. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les personnages parlent aussi souvent de trancher des nez ou des oreilles : l’acte, presque présenté comme anodin dans son exécution, s’apparente à un châtiment des plus cruels, et pas seulement par les souffrances qui l’accompagnent. Dans un tel environnement, priver un être de son odorat revient à le couper de toute possibilité de rapport au monde.
Il est difficile d’être un Dieu est un film de corps, de corps pourrissant, de corps qui expulse : dans tous les coins et les recoins, on y saigne, crache, urine, défèque, dans l’indifférence la plus absolue. Devant cette primauté du concret et de la crudité du visible, même les personnages s’effacent : ils ne subsistent que comme amas d’organes, de liquides et de chairs. La parole même se fait matière : comme n’importe quel fluide corporel, elle se déverse, lourde, épaisse, grouillante. C’est en tant que pur effet physique qu’elle trouve sa raison d’être : son contenu s’en trouvant totalement désamorcé, cette parole ne se fait pas véhicule d’un récit, duquel nous sommes par ailleurs sans cesse maintenu à distance. On y parle soi-disant de planète, de divinité, d’artistes persécutés et de rébellion, et pourtant tout reste éminemment vague, lointain, obscur, irréel, à l’écran. Guerman délaisse la narration (on imagine aisément avec quel malin plaisir il a dû s’emparer d’un roman d’origine empli d’action et de grands thèmes, pour finalement l’évider de toute matière spectaculaire) afin de ne privilégier que l’implication sensorielle, l’effet de sidération plastique. Jamais la putréfaction de la matière et l’essence morbide des corps n’auront été aussi palpables. Cependant, le film tend à s’y complaire et, ce faisant, finit par laisser son spectateur exsangue, sur un fil ténu qui sépare le malaise de la gratuité, la fascination de l’ennui.
Par la satire sociale, cette comédie de moeurs tourne en dérision les travers de l’institution maritale. Entre Cendrillon et Le Roi Lear, la pochade étrille la misogynie patriarcale à travers la figure tutélaire de butor histrionique joué avec force cabotinage par Charles Laughton. Falstaffien en coffret dvd blue-ray.