Histoires de fantômes chinois

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La trilogie réalisée par Ching Siu-Tung est aussi dépaysante que rafraîchissante. Le film génère une énergie et un souffle comique aussi inattendu que réussi. Une perle.

Les films de la trilogie d’Histoires de fantômes chinois sont des œuvres qui maintiennent avec habileté et talent les contraires. Narrativement, les trois films font se confronter les hommes et les fantômes. De ce choc naît une quête initiatique et amoureuse entre une femme fantôme (Nieh Hsiao-Tsing dans le premier et le second volet ; Lotus dans le troisième opus) et un joyeux candide (Ning Tsai-Shen dans Histoires de fantômes chinois 1 et 2 ; Fong dans le troisième volet).

L’humour extraordinaire des trois films est savamment créé. A priori, rien ne prédispose Histoires de fantômes chinois à recourir à une veine comique si prononcée et si jouissive. L’humour intervient explicitement dès la seconde séquence du premier volet lorsque le lettré Ning Tsai-Shen se protège de la pluie avec un parapluie percé. Le climat romanesque et épique du film se renforce de rives d’humours élégamment orchestrées. Elles deviennent l’un des épicentres de la trilogie fondée sur l’univers moyenâgeux et mythologique chinois. Les combats sont légions et le surnaturel recouvre d’une patine luisante la célébration chorégraphique des combats tout en volupté et en couleurs chamarées qui, de par leur présence appuyée, tendraient à renvoyer aux filtres colorés du cinéma muet d’antan.

L’exploitation stylistique des couleurs frise l’excellence. Les couleurs froides et chaudes se marient dans un ballet chromatique intense. Tantôt solaire, tantôt lunaire grâce à l’étirement des contacts entre les couleurs dans le plan, Histoires de fantômes chinois ruisselle de passion et d’un souffle épique parfois langoureux et souvent majestueux grâce à la qualité des décors. Les histoires d’amour qui se nouent entre les lettrés et les femmes fantômes participent à créer une atmosphère sensuelle, parfois brûlante, qui se complète par le contraire de leurs existences diurnes et nocturnes. Les monstres sont grossièrement conçus et les tentatives d’effets spéciaux, spécialement ceux des zombies du premier film rampant sur un plancher de bois d’un établissement hanté, rappellent les effets spéciaux de Ray Harryhausen et de ses squelettes pour Jason et les Argonautes.

Les cadrages ont une importance particulière. Les films sont vifs et parfois imprévisibles. On rit devant des situations grotesques, devant les déformations burlesques du corps, l’on s’émeut pour les histoires d’amour impossibles, l’on retient notre souffle lors d’épiques combats entre le Bien et le Mal. Le cadre détient une importance et une vérité basée sur la symétrie entre la vie et la mort, sur le surgissement des personnages. La saturation du plan exécute la présence dans le cadre d’un personnage comme un témoin, une balise. Y appartenir révèle et impose l’idée de vie tandis que le hors champ perpétue l’idée de mort et de déliquescence du corps. L’organisme, dans le hors champs, bascule d’un mode figuratif à un mode abstrait. Le corps s’enchaîne dans une virtualité et une indéfinition fantastique permettant à la polyphonie d’Histoires de fantômes chinois de se propager sereinement.

Le talent du réalisateur est de parvenir à accéder à un niveau de virtualité et d’abstraction telle que l’originalité de la mise en scène se ressent comme fortement puisée du manga et de la parodie. La violence est dédramatisée pour se conjuguer avec une facilité déconcertante aux corps qui se définissent dans leurs prouesses physiques et à l’activité psychique qui offre une digression mystique aux films. La présence de Buddha, dans le deuxième et le troisième volet, en est la plus pure manifestation. Cette présence fut peut-être inspirée par Alejandro Jodorowsky et La Montagne Sacrée et l’idée du questionnement spirituel et sensuel sur la création et Dieu.

Tout est composé pour créer un univers merveilleux dans lequel le microcosme et le macrocosme sont liés. Soit de façon explicite avec la figure du divin et les pouvoirs magiques, soit implicitement par la quête de réincarnation. Le lyrisme et le poétique de l’œuvre sont mis en exergue grâce à la lenteur et la majesté du souffle, du rythme des œuvres. Les ralentis offrent des moments de contemplations visuelles léchés, les arrêts sur images figent l’acte et les accélérations symbolisent la frénésie de la trilogie. Dans ces quelques cas, les gros plans pousse au paroxysme la dramatisation de l’action, du personnage ou du couple.

Histoires des fantômes chinois est une œuvre caméléon. La pluralité de tonalités et de genres (burlesque, fantastique, comédie musicale, mélodrame…) dans laquelle s’essaye la célèbre la trilogie est une réussite. Parsemés de plans de forêt résonnant avec Evid Dead, d’attaques de cheveux (sans doute inspiré par Kwaidan), d’ongles immenses, de langues prodigieuses, qui sans doute influencèrent Alberto Sciamma pour Killer Tongue, les films osent et n’ont pas peur du ridicule. La saga œuvre avec réussite et panache. Elle est une trilogie culte.

Titre original : Sien nui yau wan (A chinese ghost story)

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Durée : 93 mn


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