Hiroshima

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Avec son réalisme cru, « Hiroshima » recrée les conditions du largage de la première bombe atomique à l’instant “t” et le chaos schizophrénique qui s’ensuivit l’instant d’après. Il exhibe les stigmates de la radioactivité comme une plaie béante impossible à refermer. Film-évènement.

Patchwork de témoignages édifiants, le récit oscille entre pathos tragique et message didactique pour exprimer l’indicible horreur d’un holocauste nippon dans une saisissante “descente aux enfers”.

“Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien”

Le “tu n’as rien vu à Hiroshima” revient tel un mantra incantatoire dans la bouche de l’acteur Eiji Okada dans Hiroshima mon amour, le film emblématique d’Alain Resnais. L’impérieuse adjuration adressée à Emmanuelle Riva est un déni de l’étendue réelle de ce génocide nippon tant la réalité dépasse l’entendement emphatique des mots simples de Marguerite Duras pour la décrire. Le couple d’amants est étroitement enlacé dans la moiteur d’une étreinte charnelle. Leurs épidermes se confondent, perlés de gouttelettes de transpiration qui se muent en une pluie cendrée recouvrant leurs corps imbriqués.

L’impression est fugace autant que fulgurante de suggestion. Car la mêlée des corps abandonnés à l’extase amoureuse rappelle dans sa dislocation celle des mutilés d’Hiroshima dans une troublante confusion posturale. Pour appuyer son propos de mémorialiste, Resnais émaille son film d’images d’archives extraites de “Hiroshima” et notamment celles reconstituées de l’apparition “dantesque” des fantômes rescapés de la catastrophe littéralement “ressuscités” d’entre les morts.

Genèse d’Hiroshima, le film

Six ans auparavant, le même Eiji Okada incarne l’enseignant Kitagawa, voix et conscience de ces “hibakusha”,“enfants de la bombe atomique” dans un lamento revendicatif réalisé par Hideo Segikawa, qui, avec le recul sur l’événement, restera dans les annales comme un vibrant plaidoyer réquisitorial en faveur de la paix. Le cinéaste tourmenté qui a assisté Akira Kurosawa sur l’un de ses films ne cache pas, comme lui, ses convictions marxistes et il recourt à une rhétorique émotionnelle proche des recettes de l’agit-prop qu’il insuffle comme un vent de sidération dans sa docu-fiction à vertu pédagogique ; ravivant la meurtrissure et le traumatisme dévastateurs pour mieux les exposer au grand jour.

Le 6 août 1945, l’attaque américaine commandée par le président Truman projette d’éradiquer Hiroshima de la carte peu avant Nagasaki frappée à son tour le 9 août. La ville portuaire est une cible militaire et un objectif civil stratégique dans le même temps. L’Histoire retiendra de Hiroshima et Nagasaki la litanie mortifère des chiffres : plus de 200 000 victimes et 90 000 irradiés.

Sous l’égide du général Douglas Mac Arthur, les forces alliées d’occupation de l’archipel nippon, “lèvent définitivement le camp” en avril 1952. Entre-temps, leur administration militaire a mis sous le boisseau le cinéma japonais en vue de sa “démocratisation”. Dans l’intervalle et depuis la capitulation japonaise, l’occupation alliée avait façonné par la censure un cinéma japonais acquis à l’hégémonie propagandiste américaine mais soumis de facto à une double censure militaire. Dans ce contexte, la bombe atomique est le sujet tabou par excellence.

 

 

Une immersion dans l’horreur des infanticides de la bombe atomique

Affranchis de leur tutelle américaine, les réalisateurs nippons sont désormais soucieux de témoigner sur les séquelles des bombardements en faisant valoir les droits des agressés sur leurs assaillants. Se sentant responsables d’avoir endoctriné leurs élèves dans la stricte observance du dogme impérialiste qui les exhortait à mourir pour la nation dans un même élan patriotique, les enseignants se liguent en syndicat pour financer la production d’un film à la mémoire des survivants du traumatisme nucléaire qui sont majoritairement des enfants.

Kaneto Shindo réalise alors “les enfants d’Hiroshima “en 1952 mais son film est jugé trop émotionnellement consensuel et esthétiquement contemplatif sur le constat d’amertume qu’il dresse sans aborder les enjeux de la reconstruction. Communiste de la première heure, Hidéo Segikawa s’empare alors du projet avec une volonté résolument plus polémique. Il mêle deux volets narratifs : l’aspect contemporain des retombées épidémiologiques de la catastrophe atomique et leur impact sur les survivants et la remontée dans le temps en prélude à l’explosion puis la descente aux enfers vécue par les protagonistes.

 

 

Défaits, les militaires sont cantonnés à un fanatisme de va-t-en-guerre

Assignée à une allégeance aveugle à l’empereur, l’armée impériale -ou du moins ce qu’il en reste car elle a été défaite par l’infamante capitulation -est dépeinte comme une entité uni-dimensionnelle, bornée et dépourvue d’éthique morale. Gesticulant et éructant des commandements sans portée, les militaires tentent de galvaniser de jeunes recrues alignées au cordeau dans une loyauté sans faille à l’empereur avant que la bombe ne soit larguée pour poursuivre dans cette voie de façon surréaliste au milieu du carnage, après l’explosion qui a décimé la population.

Réunis dans l’urgence par un état-major militaire de crise afin de statuer sur le sort réservé à la population civile, les scientifiques japonais se perdent en vaines conjectures défaitistes en face de la maîtrise de l’arme nucléaire que leur a opposé l’ennemi américain. “Sur une terre atomisée, la vie ne peut réapparaître avant 75 ans” ânonnent-ils à l’envi devant les militaires murés dans leur fanatisme de va-t-en-guerre qui restent totalement sourds à leurs objurgations. Dans une ellipse saisissante, le regard désabusé d’un scientifique est attiré par la vision éphémère d’un papillon nocturne qui bat désespérément des ailes pour sortir de sa situation inextricable. Tout est dit dans le non-dit.

Dans ces circonstances, jusqu’à la perception de l’image de l’empereur est ternie. Il passe pour un coryphée déchu qui semble avoir abandonné son peuple à son sort tragique et en devient la risée. Un civil est dérisoirement rappelé à l’ordre par un gradé pour avoir oublié de le saluer au milieu des gravats de l’explosion.

 

 

Les “fantômes “ d’Hiroshima

Les scènes des survivants encore sous le choc et littéralement soufflés par l’explosion de la bombe exercent un impact viscéral sur le spectateur. La sidération de la déflagration et la commotion résultante les montrent éperdument hébétés rampant à travers les ruines, vêtus de hardes. Ils déambulent tels des zombies dans les décombres encore fumants de l’explosion. La vie est annihilée, niée et un vain espoir se focalise sur une dérisoire parcelle de terre où le personnel de l’hôpital qui soigne les sinistrés tente de faire pousser un semis de radis afin de se rendre compte si le sol a été irréversiblement infiltré dans ses entrailles par la radioactivité.

Expressionniste à l’excès avec cette pluie noire des retombées de suie radioactive qui recouvre les visages et les corps d’un linceul funeste, la reconstitution souffre d’une trop grande dramatisation stylisée de l’horreur au risque de s’approcher d’une parodie de mauvais film d’épouvante. De longs travellings latéraux balaient les amoncellements de victimes hagardes tandis que des enfants esseulés dans cette masse grouillante et informe réclament leur mère, “otasan” à cor et à cri dans une clameur assourdissante restée sans écho.

 

Les hibabushas, ces enfants de la bombe atomique

Le sort des orphelins du bombardement n’est guère enviable. Chiens perdus sans colliers laissés à eux-mêmes, ils survivent en colportant des souvenirs du bombardement auprès des touristes américains jusqu’à leur vendre les crânes déterrés des victimes. Plus loin, un groupe de jeunes meneurs délurés s’enhardissent à former les plus novices à la survie en leur inculquant des rudiments d’anglais afin qu’ils mendient leur pitance auprès des militaires américains.

L’actualité brûlante du covid et ses reportages instantanés qui se recouvrent et se neutralisent contribue à une désensibilisation de l’opinion. Trop d’information tue l’information. Elle nous offre toutefois l’opportunité de jeter un regard rétrospectif concordant sur la catastrophe d’Hiroshima.

Les irradiés d’Hiroshima de par leur statut victimaire s’exposèrent à devoir endurer les préjugés de la frange de la population épargnée alors même que les médecins devaient combattre un virus nucléaire que personne n’avait encore traité. Ce sont précisément ces discriminations que met en lumière le propos didactique de ce film.

Désormais, le message de paix sous-jacent ne se résume pas à un ”ne larguez pas la bombe” par trop simpliste mais à une conjuration pour envisager les conséquences au-delà des objectifs stratégiques ou tactiques. Plus jamais ça!

Digipack dvd /bluray distribué par Carlotta.

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Durée : 104 mn


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