Headshot

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Le réalisateur de « Last Life in the Universe » mêle corruption et quête spirituelle dans un film noir stylé et labyrinthique.

De Pen-Ek Ratanaruang, on se souvient surtout de Last Life in the Universe (2003), beau film déprimé sur deux assassins malgré eux qui apprennent à se connaître ; un peu moins de Ploy (2007), drame en chambre d’hôtel visuellement somptueux mais un peu trop ésotérique. Avec Headshot, le thaïlandais, encore moins connu que le maître Apichatpong Weerasethakul, passe au film noir, non sans rappeler certains policiers coréens comme The Chaser (Na Hong-J, 2009), mais en moins survolté, moins porté sur l’action. Adapté du roman thaï à succès Rain Falling up the Sky de Win Lyovarin, le film suit Tul, un flic incorruptible qui, à la suite d’un chantage, se retrouve accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Désabusé, il est vite recruté par un groupe obscur comme « expert en assassinat », s’occupant d’exterminer ceux qui se croient au-dessus des lois (tendance Dexter). Une mission tourne mal, Tul est touché à la tête : après trois mois de coma, il se réveille mais voit le monde à l’envers. Littéralement. Malchance ou mauvais karma ? Tul tente de se racheter une conduite, mais son passé le rattrape et, de chasseur, il devient proie.

Headshot plonge au cœur du système policier thaïlandais, avec un point de vue : tous pourris. La corruption fait rage, Pen-Ek Ratanaruang en fait le point central de son film, et dézingue la corruption à tous les étages : politiciens, militaires haut gradés, hommes d’affaires fortunés qui, tous autant qu’ils sont, semblent bafouer les lois les plus élémentaires. Menace, chantage, violence : voilà pour la toile de fond d’un film qui ne tient qu’à moitié ses promesses. Le style, lui, est parfait : plans aériens qui glissent sans encombre, sens quasi inné du cadre et de la découpe, l’image du chef opérateur Chankit Chamnmkaipong est irréprochable. Si certaines séquences de nuit sont trop sombres pour être tout à fait lisibles, l’action est fluide et mesurée : ce que le cinéma de Ratanaruang perd en efficacité (opposé aux polars sud-coréens musclés), il le gagne en sobriété, prenant le temps de poser ses personnages et de les creuser en même temps qu’ils flinguent. On peut regretter que le procédé de base (l’image à l’envers), génial, soit si peu exploité visuellement – seules trois-quatre scènes viennent rappeler la condition médicale de Tul -, mais la mise en scène est tenue de bout en bout.

C’est le second versant de Headshot qui pose problème, celui de la question de la spiritualité. Car le film est existentialiste, et interroge inlassablement le karma : dans quelle mesure ce qui nous arrive nous est-il imputable ? Tul peut-il inverser le cours des choses (et, par extension, retrouver la vision à l’endroit) ou doit-il juste accepter les conséquences de ses actes puisque, par définition, il est libre de les commettre ? L’argument est discutable : c’est la manière qu’a Ratanaruang d’asséner certaines vérités (tout le monde vit dans le péché, le péché fait partie intégrante de l’être) qui plombe un peu l’ensemble. Heureusement, le personnage de Tul est plus complexe, et c’est lui qui intéresse le réalisateur, qui le suit sur une dizaine d’années par le biais d’une série de flashes-back et flashes-forward. Headshot, labyrinthique, en devient parfois difficile à suivre, mais parvient à captiver quand il se recentre sur son intérêt premier : celui d’être un film de genre maîtrisé.

Titre original : Fon Tok Kuen Fah

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Durée : 105 mn


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