Hana-Bi :  » Mon ami Takeshi « 

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Un homme et une femme sur une plage; le silence ; la police, la mafia; la mort; l’amour… Hana-bi? Pierrot le fou?
Ressortie en salles de ce film de Takeshi Kitano.

"J’ai vu un film de Kitano, Hana-bi, que j’ai trouvé absolument splendide, mais je ne ressens pas le besoin d’aller voir les autres, que je trouverai probablement moins bien."
Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, tome 2 (1984-1997), écrits, documents et entretiens réunis par Alain Bergala (Cahiers du cinéma)

"(…)j’ai vu par exemple un film comme les Clowns de Fellini, je savais que je n’étais pas capable d’arriver à un tel résultat. Si j’avais été sur le ring, il m’aurait mis K.-O. J’aime également beaucoup Pierrot le Fou de Godard, mais les autres films que je connais de lui me paraissent très difficile à comprendre. "
POSITIF n° 441 (novembre 1997) Propos recueillis par Michel Ciment

Il est amusant de trouver une trace dans deux interviews de ces réalisateurs, de l’admiration qu’ils ont respectivement l’un pour l’autre et pour chacun de ces films, Hana-bi et Pierrot le fou Tout en effet semblait éloigner les deux cinéastes et les deux oeuvres. Les dialogues enflammés des personnages bavards de Pierrot le fou renvoyant au mutisme quasi total d’ Hana-bi. Le jeu froid et minéral de Kitano à des lieux d’un Belmondo ne tenant pas en place. Kayoko Kishimoto, la femme de Nishi/Kitano fermée sur elle même au contraire de la solaire Marianne, jouée par Anna Karina (…). Tout semblait les éloigner. Pourtant, en vérité beaucoup de choses les rapprochent. Une sensibilité à fleur de peau, un certain décalage par rapport au genre (yakuza, mafia, police… rien que des figures en somme), une impression de flottement par rapport au réel comme si les protagonistes étaient seuls avec eux-mêmes… A travers la douce errance de leurs personnages, Hana-bi tout comme Pierrot le fou sont des films sensitifs.

Voyages

Après le bleu diffus de A scene at the sea et bien avant Dolls, le Kitano d’Hana-bi avec ses couleurs automnale et sa blancheur hivernale brûle également la pellicule. Godard lui avec Pierrot le fou place son film à quelques mètres de la mer durant un été interminable, à peine rafraîchit par le mistral; malgré toutes les citations parsemant conversations et monologues Pierrot le fou devient au fil des cadres l’anti-film littéraire absolu: on s’y noie sous les mots mais aussi dans ce bleu, ce rouge et dans cette lumière aveuglante de tous les plans. L’odeur qui semble se dégager alors du film est-elle celle de la liberté ou celle de la gouache?

Le lien entre les deux films se trouvent également chez leurs personnages mêmes et dans ce qu’il les fait avancer. Une cavale, une fuite en avant qui petit à petit va prendre des allures de voyage.

Les personnages principaux de chacun de ces films détruisent. Les conventions, qui ils étaient avant mais également ce qu’ils sont maintenant. Nishi met de côté convictions et travail pour sa femme alors que Ferdinand abandonne lui sa famille pour Marianne. L’un comme l’autre, maintenant en marge de la société et en cavale vivra désormais l’instant. Les ennuis derrières eux (maladie, famille, police, mafia, yakuzas) vont petit à petit s’étioler, disparaître et n’existera alors plus que ce que l’on voit à l’écran. Chaque moment partagé gommera alors petit à petit les individus pour consacrer le couple comme seul élément réellement tangible. Le mutisme de la femme de Nishi et les coups de gueule de Marianne n’y changent rien. Ils regardent tous dans la même direction et la fuite en avant va très vite devenir voyage sans retour; le demi-tour étant inenvisageable. La beauté de ces films est dans ce même paradoxe. Le prix à payer pour vivre est lourd mais si la séparation revêt une figure mortuaire, elle est également la plus belle preuve d’amour.

"(…)pour moi, le rapport entre la douceur et la violence ressemble au mouvement d’un pendule. Plus un homme est tendre, plus il peut devenir extrêmement cruel et brutal. C’est en lui que l’écart entre les deux états d’âme peut être le plus extrême, car il a une capacité de sentir les émotions les plus profondes. Cela peut paraître une exagération, mais il me semble que l’acte amoureux ultime peut être le meurtre de celui que vous aimez. "

Le décalage des personnages par rapport au genre (série noire pour Pierrot le fou, yakuzas pour Hana-bi) alimente grandement l’errance des personnages et contribue au caractère cotonneux des deux voyages ressentit par le spectateur. Que peut-il arriver à Ferdinand et Marianne dans leur petite routine? Qui peut arrêter la balade de Nishi et de sa femme? Qu’est ce qui peut arrêter ces voyages? Le talent des deux cinéastes est de créer une sorte de bulle autour des personnages, de nous y inviter et surtout de nous faire croire que rien ne pourra la briser. Ou plutôt nous faire oublier que quelque chose ou quelqu’un pourrait le faire. On l’a déjà dit, mais les personnages d’Hana-bi tout comme ceux de Pierrot le fou une fois qu’ils aient détruit vivent l’instant. Les deux réalisateurs nous invitent à nous joindre à eux. L’effet est alors double. La douceur et la joie de ces moments rendant proportionnellement terribles les retours au réel froid et violent: les yakuzas qu’il faut tuer; la torture qu’il faut endurer… Des brefs moments de fureur qui tirent les spectateurs et les personnages de leur errance et qui vont les uns après les autres forcer le voyage à prendre fin. A chaque moment de violence subit, suit une tentative de reprise du voyage. A chaque fois cela semble plus dur et impossible. Quand près d’un lac la femme de Nishi donne de l’eau à une fleur fanée un homme souligne le caractère ridicule et vain de l’action. Trente secondes plus tard et le passage de Nishi, on le retrouve le visage ensanglanté dans le dit lac. Malgré le double sens de sa réflexion sur la fleur/femme fanée avait-il mérité ça? Sans doute pas. Mais le voyage va bientôt prendre fin et tout semble se durcir. Tout comme la perte de vue pendant plusieurs semaines entre Marianne et Ferdinand; ce vide dans leur vie commune. Une fois qu’ils se sont retrouvés, rien ne sera plus pareil. Même en se forçant; même en faisant semblant.

Le jeu de l’artiste

Handicapé à vie à cause de Nishi, Horibe son ancien partenaire, va commencer à peindre. Ses peintures naïves voir enfantines réalisés par un Kitano lui aussi tout jeune peintre au moment du tournage vont alors rythmées le film ainsi que le voyage de Nishi et de sa femme. Incrustés dans le montage même du film, des créatures hybrides mi-animal, mi-végetal, des paysages apaisés et mélancoliques vont s’incorporer dans le récit. Horibe, plus qu’une trace de la culpabilité de Nishi et qu’un vestige de son ancienne vie a une place très importante dans Hana-bi car il va répondre d’une certaine façon au comportement qu’a son ancien équipier avec sa femme. Pour apaiser sa douleur, sa tristesse, Horibe va commencer à peindre. Il va non pas devenir un artiste, un peintre, mais jouer le jeu de l’Art. C’est à dire se déguiser en artiste. Pas seulement en portant un béret mais en retrouvant d’une certaine manière ses yeux d’enfant. La naïveté de ses oeuvres se reportant à la naïveté nouvelle de son regard. Peindre, créer, n’est que jeu. L’acte de l’artiste à travers Horibe est pur et gratuit; absolu car anodin. Au même moment, la façon dont Nishi vit avec sa femme est très proche de cette acte créatif. Chaque moment passé doit être un moment de jeu; un moment d’innocence parfait où il se comportera comme un artiste avec elle. Les feux d’artifice, les jardins, les cartes… La vie du couple est organisé par des couleurs, des lignes, des bruits… Nishi après des années d’absence vit les derniers jours de son couple comme un artiste. Non pas comme une rédemption ou pour se faire pardonner par sa femme, mais comme un enfant, libéré de tout. Le yakuza de Sonatine, également interprété par Kitano, avait le même rapport au monde quand il creusait ses pièges dans le sable. Les tueurs qui l’accompagnaient, bientôt contaminés, devenant rapidement des enfants remuants et pleurnichards mais plus que jamais vivants. Tout prenait apparence de jeu, même la mort mis en scène à travers la roulette russe. Le retour à la réalité ici n’en étant que plus fulgurant et glacial.

Adultes-enfants, les héros de Pierrot le fou le sont également. Pas de trace de peintre amateur ici mais plutôt de grands maîtres comme Picasso ou Renoir. Le lien est pourtant le même que celui d’Hana-bi et, choisir d’incorporer une peinture d’un pierrot de Picasso a bien entendu un sens. Chanter, danser, courir, lire tout n’est que jeu pour Ferdinand et Marianne. Même la mort doit être donnée comme le ferait un artiste semble nous dire Marianne ciseaux à la main. Étouffés par le monde adulte, ils semblent redevenir enfants dès leurs retrouvailles du début du film. "-Non Pierrot! -C’est pourtant pas dur de m’appeler Ferdinand… -Oui mais l’on ne peut pas dire mon ami Ferdinand. ". La ritournelle qui suit cette magnifique scène de voiture sera un appel au jeu, au retour à l’enfance, et jamais plus Marianne n’appellera Ferdinand, Ferdinand. Pourtant, si la relation entre Nishi et sa femme était celle d’enfants calmes, les héros de Pierrot le fou eux se chamaillent continuellement. Pas car l’un ou l’autre souhaite un retour à l’adulte, à la raison, mais car Marianne s’ennuie. Au contraire d’Hana-bi, les deux enfants sont artistes et de ce fait le conflit apparaît naturellement. Marianne s’ennuie mais ne souhaite pas stopper le voyage; elle souhaite seulement changer de jeu: " C’est finit le roman de Jules Verne maintenant on recommence comme avant. Un roman policier avec des voitures, des revolvers, des boites de nuit. ". Les deux films traitent du même sujet: deux adultes luttant contre un monde extérieur voulant les rappeler à leur condition même d’adultes. Leur responsabilité, leurs obligations… Et dans chacun de ces films c’est de cette rencontre entre les deux mondes que naît la violence.

Une violence qui est pourtant (presque) exclue des deux films est la violence sexuelle. Dans Hana-bi ce choix a un but très précis: ne pas décharger le film de sa puissance.

"Au cinéma, dès qu’on entend la conversation d’un couple, on sait que la scène d’amour physique n’est pas loin. D’abord la conversation, puis les caresses… Je voulais que ce film soit exempt de toute teneur sexuelle. "

En refusant cet affrontement physique, Kitano préserve d’une certaine façon la violence de la scène finale de quoi que ce soit qui pourrait la parasiter et réduire son impact. Au contraire de films tel Jugatsu ou encore Sonatine, où le sexe souvent présage mortuaire était représenté comme n’importe quel acte de violence: rapide et cru. Le traitement de la sexualité dans Pierrot le fou est assez proche de celui d’Hana-bi par sa pudeur, mais est a appréhender de façon quelque peu différente. En effet Godard ne refuse pas l’acte sexuel mais l’incorpore de façon très intelligente dans son film. " Baise moi ". Quand Marianne demande ça à Ferdinand, le film, le voyage, est mis entre parenthèses. Surpris, le ton enfantin du film s’efface et le couple, pour la seule fois de leur périple, semble sur la même longueur d’onde; accepte sa condition d’adulte. La touchante façon dont Marianne demande ça à Ferdinand trahit pourtant l’enfant qu’elle est: maladroite et gênée. C’est dans cet acte d’amour où, réunissant regard d’enfant et condition d’adulte, Godard réussit son film. En aucune façon la folie finale en sera réduite.

" Je voudrais que le temps s’arrête. Pour toi je pose ma main sur ton genou. C’est merveilleux en soi. C’est ça la vie. L’espace, les sentiments. Au lieu de ça je vais te suivre; continuer notre histoire plein de bruit et de fureur ". Quand la fin du voyage approche, Ferdinand dans Pierrot le fou est lucide sur ce qui va lui arriver. Ses mots résument parfaitement sa condition mais également celle du film de Godard et de Kitano. Cette envie vaine de capturer un instant sans cesse dépassé. Aussi intensément qu’ils vivront l’instant, il leur filera toujours entre les doigts. C’est l’une des raisons du vide que laisse la vision de l’un ou de l’autre de ces films. A peine terminés, on n’est comme les personnages, déjà nostalgique des premiers instants de leurs voyages. Nostalgiques également du regard d’enfant qu’il semble si dur de préserver. Malgré leur violence, Hana-bi comme Pierrot le fou sont des films sur des petits enfants déjà trop grands pour jouer. Deux gosses pourtant nous montrent qu’on a encore le droit. Ils sont derrières la caméra. Comme dirait l’autre: " Merci. Merci pour tout ".

Titre original : Hana-Bi

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Durée : 103 mn


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