Grand prix et sièges vides

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Après la palme d’or, c’est au tour du Grand Prix du festival de Cannes de sortir sur les écrans français cette semaine. A peu de choses près, Oncle Boonmee, l’homme qui se souvient de ses vies antérieures d’Apitchapong Weerasethakul et Des Hommes et des dieux de Xavier Beauvois semblent rejouer le duo palme/grand prix de […]

Après la palme d’or, c’est au tour du Grand Prix du festival de Cannes de sortir sur les écrans français cette semaine. A peu de choses près, Oncle Boonmee, l’homme qui se souvient de ses vies antérieures d’Apitchapong Weerasethakul et Des Hommes et des dieux de Xavier Beauvois semblent rejouer le duo palme/grand prix de l’an passé (Le Ruban blanc, Michael Hanneke et Un Prophète, Jacques Audiard) et dans une moindre mesure de 2008 (Entre les murs, Laurent Cantet et Gomorra, Matteo Garrone). Soit aux premières marches du podium cannois une proposition plus radicale proposant un regard créatif sur le cinéma et face à lui un film disons plus « classique » (ce qui n’en fait en rien un « mauvais film » bien évidemment).
Deuxième similarité : la réception du film. Ces trois dernières années le Grand Prix du festival de Cannes bénéficie d’un retour critique quasi unanime et d’un bon accueil du public (plus de 500 000 entrées pour Gomorra, plus d’un million pour Un Prophète), là où la palme étonne, divise, voire crée des déferlements journalistiques passionnés. Pas le Grand Prix. Il n’y a qu’à observer la communication réalisée autour de Des Hommes et des dieux. Son affiche offre aux yeux du passant une liste d’éloge émanant des différents titres de presse français tous genres confondus (spécialisés ou généralistes). Alors erreur d’attribution de la suprême récompense ou choix sciemment réfléchi ? On aurait plutôt tendance à croire en la seconde possibilité.
Rappelons que toute palme reflète la personnalité de son jury. Face à la même sélection, une réunion de personnalités différente aurait ainsi pu faire émerger un autre palmarès. Certaines années offrent d’ailleurs des choix plus consensuels : Le Vent se lève de Ken Loach primé face à Flandres de Bruno Dumont, Le Pianiste de Roman Polanski contre L’Homme sans passé d’Aki Kaurismäki. Le grand prix n’est pas une sous-récompense, un lot de consolation, mais bien la distinction d’un film dont les grandes qualités le font se détacher du reste de la sélection (mollassonne cette année). Une palme offre plus, quelque chose qui se joue au-delà des seules qualités d’un simple bon, très bon, excellent… film. Elle donne une vision de cinéma, une direction parfois et semble, au moment du palmarès, porter en elle des espoirs neufs.
La différence entre le Grand Prix et la Palme est un peu la même que celle entre le bon élève, consciencieux et brillant, et cet autre moins académique, mais à l’intelligence curieuse, surprenante et créative. Parmi ces derniers, citons en autres Fellini (La Dolce Vita, 1960), Antonioni (Blow-Up, 1967), Coppola (Apocalypse Now, 1979), Tarantino (Pulp Fiction, 1994), Van Sant (Elephant, 2003) ou Haneke (Le Ruban blanc, 2009). Des noms désormais indissociables du septième art qui ont su se faire une place auprès du grand public pour à leur tour devenir un classique (on l’espère fortement pour les trois derniers). Car contrairement à l’idée reçue, le festival de Cannes ne récompense pas des films obscurs que personne ne voit. Depuis 2000, quatre palmes ont dépassé le million d’entrées en France et quatre les 500 000 spectateurs. Pas mal ! Il ne reste plus qu’à souhaiter des carrières similaires aux deux premiers primés de la cuvée cannoise 2010.
Ces nouvelles, somme toute plutôt réjouissantes (qu’un bon film ait trouvé son public l’est toujours), ne doivent pas nous faire oublier que pour certains, ces considérations n’ont plus beaucoup de sens tant ils sont empêchés au quotidien de pratiquer leur métier. Après n’avoir pu se rendre au festival de Berlin et au festival de Cannes (où il devait faire partie du jury), le réalisateur iranien Jafar Panahi n’a pas pu venir présenter son court métrage L’Accordéon, intégré à un film collectif sur les Droits de l’Homme (Then and now, beyond borders and differences), à la 67e Mostra de Venise. Arrêté le 1er mars pour la préparation d’un film sur les manifestations liées à la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad (motif : « atteinte à la sûreté de l’Etat »), le réalisateur de Sang et or et du Cercle avait entamé une grève de la faim avant d’être libéré sous caution le 25 mai. Le festival de Cannes avait vu la mobilisation d’une importante partie de la profession. Son procès n’a pas eu lieu, le juge ne s’étant pas présenté. Panahi, dont le passeport a été confisqué par les autorités depuis neuf mois, est donc toujours prisonnier de son pays. Une nouvelle pétition a été lancée en faveur du cinéaste à Venise. Panahi n’a pu sortir de film depuis cinq ans, ses tournages sont interdits et les rushes de son dernier film en cours ont été saisis par les autorités.
Drôle de monde tout de même, dans lequel un pays cherche à tout prix à expulser des hommes, tandis qu’un autre les empêche de sortir…


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