Garde à vue (Claude Miller, 1981)

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Un huis clos pour faire tomber les masques.

« Je suis un pur voyeur. J’aime cette face cachée des gens, qui n’est pas noble. Je crois que l’être profond réside dans cet escalier de service de la personnalité, pour reprendre une expression de Gombrowicz. » (1)

Claude Miller, cinéaste du milieu

Assistant de Marcel Carné, Robert Bresson, Jacques Demy et Jean-Luc Godard, Claude Miller est un élève de la Nouvelle Vague et plus encore de François Truffaut dont il deviendra le directeur de production de 1967 à 1975, un an avant de tourner son premier long métrage, La Meilleure façon de marcher. À ce succès public succède un échec sévère avec Dites-lui que je l’aime (1977). Miller ne tourne plus que des publicités jusqu’à ce que le producteur Georges Dancigers lui présente un nouveau projet, déjà refusé par Yves Boisset et Costa-Gavras. Ce sera Garde à vue, qui relance sa carrière couronnée plusieurs années plus tard par le Prix du jury cannois décerné à sa Classe de neige (1998). Ce même Festival de Cannes qui projettera Thérèse Desqueyroux, son dernier film, en clôture de l’édition 2012. Parallèlement à sa carrière, Claude Miller fut président de l’Association des Réalisateurs Producteurs (ARP) dans les années 1990 avant de rejoindre le Club des 13 formé à l’initiative de Pascale Ferran afin de défendre les films dits du milieu, à la fois exigeants et tournés vers le grand public.

 


Garde à vue, un film noir

Le soir de la Saint-Sylvestre, Maître Martinaud (Michel Serrault), notaire de province, est convoqué au commissariat pour être interrogé par l’inspecteur Gallien (Lino Ventura) et son adjoint Belmont (Guy Marchand). Martinaud a découvert le corps d’une petite fille, violée et étranglée, sur la plage de Cherbourg ; une fillette qu’il connaissait. De témoin, le notable devient vite suspect du fait de son attitude ambiguë. À mesure que le doute s’installe et que les heures passent, la tension monte, rendue encore plus intense par un implacable huis clos. Pas d’histoire originale ici puisqu’il s’agit de l’adaptation de Brainwash (1979), roman écrit par John Wainwright. Jean Herman rédige le scénario avec le réalisateur tandis que Michel Audiard se charge des dialogues, à l’opposé de ses punchlines habituelles, ce qui lui vaudra son seul et unique César.

La pluie tombe en plan serré sur les toits, qui donne à l’air de limonaire du générique un écho mélancolique. « Moi je joue de l’orgue de barbarie et je joue du couteau aussi », disait le musicien dans le poème de Prévert, et il y a quelque chose de cela dans ce début de Garde à vue, qui mêle la réjouissance des fêtes de fin d’année généralement associée à l’enfance, aux meurtres sauvages de deux fillettes. Le noir est mis et le pessimisme on ne peut plus prégnant. Ce n’est pas à un détective privé que l’enquête est confiée, mais l’inspecteur Gallien en a tout l’attirail : grand imperméable, cigarette à la main, et trois divorces à son actif. Stoïque et droit dans ses bottes, Gallien est un solitaire qui ne vit que pour son métier, pour – littéralement – faire la lumière.

Quand il rencontre Martinaud dans son bureau, celui-ci est de dos, dans le noir. Le même dispositif sera repris pour présenter sa femme plus tard dans le film. Les jeux d’ombre et de lumière, qui ne sont pas sans rappeler certaines séquences de Le Corbeau (Henri-Georges Clouzot, 1943), révèlent les visages ou plutôt les masques qu’il faudra faire tomber pour accéder à la vérité. Si Martinaud s’avère rapidement être un homme faible, c’est aussi parce qu’il s’est retrouvé marié à une véritable femme fatale (Romy Schneider), autre figure incontournable du film noir. Belle et dangereuse, c’est elle qui précipitera les évènements avant d’en être elle-même la victime. Seul Belmont est donné d’emblée pour ce qu’il est, c’est-à-dire vulgaire et violent ; sujet de mépris pour Martinaud qui l’appelle « l’autre » ou « Tintin » quand Gallien le traite de « con », il est à terme exclu du trio pour son absence de subtilité, ou de dissimulation c’est selon.

À côté de la fête, de la réception mondaine donnée de l’autre côté de la cour, les personnages de Miller font partie de ceux qui n’en sont pas. Le vernis social se craquelle avant de fondre sous la pression du huis clos. Enfermé dans le commissariat, Martinaud est également prisonnier des apparences et d’un quotidien qui l’oppresse au point de lui donner l’envie de le fuir à n’importe quel prix.

 

Un huis clos total

Dans un travelling plongeant, la caméra nous conduit d’un extérieur/nuit à l’intérieur/noir du bureau de Gallien, avant d’accompagner au commissariat l’inspecteur lui-même, qui fermera la porte grillagée derrière lui. Le huis clos peut commencer. Déjà retenu dans un lieu clos, qui plus est le bureau d’un inspecteur, Martinaud est de surcroît coincé entre Gallien et Belmont par la mise en scène de Miller, qui alterne entre gros plans, plans serrés et zooms matérialisant encore un peu plus l’étau qui ne cesse de se resserrer autour du notable. Mais aussi de l’inspecteur, qui doit démêler le vrai du faux, et la réalité de ses préjugés.

Garde à vue
est plus qu’un whodunnit, car le huis clos n’a pas tant pour mission de trouver l’assassin que d’aller voir au-delà des apparences forcément trompeuses. Le personnage de Michel Serrault se définit d’abord par son statut social, il est « Maître Martinaud », notaire. Il est riche, il a une belle maison, une belle femme, un beau costume et tout cela lui donne une assurance certaine, il n’y a qu’à le voir donner des ordres aux policiers. Mais à mesure que l’interrogatoire tourne à la confession, et que le flic se fait psy, Maître Martinaud devient juste Martinaud. Un homme qui va voir des prostituées parce que sa femme lui ferme sa porte, un homme amoureux d’une petite fille de dix ans, un homme vide qui veut sentir qu’il existe à n’importe quel prix. « Donnez-lui un nom à ce fantôme », dit-il. Il est prisonnier de sa propre vie et de son couple comme l’est sa femme, mariée à un docteur en droit, unique héritier des Martinaud, afin d’échapper au destin de ses parents. Chantal Martinaud est une autre Thérèse Desqueyroux.

Les seules échappées hors du huis-clos, souvenirs ou flash-back, sont désespérantes. Une enfant morte sur la plage, une autre à côté du petit bois, éclairées par une lumière crue, la vérité n’est pas belle à voir. Pas plus que la vue subjective de ce couloir de quinze mètres qui sépare la chambre du notable de celle de sa femme et qui résume tout ce qu’est devenue leur vie. La verrière du commissariat ressemble à la ville provinciale qui l’abrite : malgré les murs, tout se sait et tout se voit. Garde à vue ne pourrait pas mieux porter son nom. Le huis clos ne se limite pas au bureau de Gallien, il s’étend à l’échelle de Cherbourg.

(1) Claude Miller, Serrer sa chance : Entretiens avec Claire Vassé, Stock, 2007.

Titre original : Garde à vue

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Durée : 86 mn


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