Dans l’un de ses derniers grands films, Robert Aldrich lance Burt Lancaster à la poursuite d’apaches meurtriers et le laisse se perdre.
On laisse son épouse à la maison pour aller chasser l’apache. On croise en route une jeune femme devenue folle après son viol et le cadavre d’une autre, plus âgée, le front marqué par la balle qu’elle a reçue dans la tête. Chez Robert Aldrich la chasse à l’indien est une occupation d’homme dont le but reste assez trouble. Les apaches, échappés de leur réserve, tuent et torturent à des kilomètres à la ronde pendant que McIntosh (Burt Lancaster) et d’autres blancs – des tuniques bleues – essayent de les arrêter en se lançant à leur poursuite. Il est difficile de savoir si ce qui compte vraiment est de les empêcher de nuire ou alors de détruire en plus de leur corps, leur esprit et leur culture. Car si la chasse à l’homme appelle forcément ici le choc culturel, on y communique à coup de fusil ; à défaut de se parler on y préfère le suicide au scalp. Ce qui est sûr c’est que cette rencontre avec l’Autre, les femmes en sont dispensées. Elles restent à la maison ou se laissent écraser – par la fureur des apaches ou par celle des cow-boys. Quand McIntosh prend la route dans l’une des premières scènes du film, sa femme, une indienne, le regarde partir sans elle. Elle pense à son mari qui lui manque déjà et sans doute également aux apaches qu’il va pourchasser. Elle pense, c’est déjà ça, mais elle ne bougera pas de là.
Film de mec, Fureur apache (1972) ne laisse pourtant jamais parader ses hommes. Devant la caméra de Robert Aldrich ils ne sont jamais séduisants et pas une fois la chance leur est laissée d’être héroïques. Il y a quelque chose de pathétique dans les figures de l’Ouest américain que l’on nous propose, à travers l’éternel guerre qui oppose cow-boys et indiens. Parmi les apaches se trouvent soit des fous assoiffés de sang soit des traîtres qui iront se ranger du côté des blancs. Chez ces derniers, la plupart sont incapables de voir l’homme qui se cache derrière l’indien ; incapables même de comprendre la raison pour laquelle ils veulent les tuer. Seul le personnage joué par Burt Lancaster – fidèle de Robert Aldrich depuis ses premiers film – résiste et tente d’exister aux milieux de ces figures. Résolu et néanmoins attristé par le massacre auquel va conduire cette chasse à l’homme, McIntosh, comme de nombreux héros des westerns des années 70 et de la fin des années 60, existe tout en sachant déjà sa mort prochaine. Comme si tout ce qui se déroulait devant ses yeux n’avait plus d’importance, comme s’il savait, seul contre tous, qu’il ne verrait pas la suite, McIntosh vit par automatisme. Bêtement et simplement exclu d’un monde où il ne fait partie ni d’un clan ni d’un autre, il n’est même plus un personnage à part. Il n’est plus exceptionnel. La balle qui l’atteindra une fois son heure venue en aura tué bien d’autres auparavant, pas plus et pas moins héroïques que lui.
Il n’y a aucune gloire à donner la mort dans Fureur Apache ; aucun mérite non plus à l’éviter. Dès le premier cadavre, dès les premiers coups de revolver échangés, Robert Aldrich installe sa sauvagerie. La caméra est posée tout prêt de l’homme torturé et cadre le front quand la balle arrive. Comme chez Sam Peckinpah quand hurle La Horde sauvage (1969) ou dans le désert bouillant et glacé du Shooting (1967) de Monte Hellman, il y a volonté chez Robert Aldrich de montrer une violence brute et sèche. Même, au contraire des plans chiadés de Sam Peckinpah, Fureur Apache évite tout esthétisation des combats, des grands espaces ou encore des longues soirées au coin du feu de camp. Le cinéaste ne se plie pas au genre mais le western se plie à lui. Ici, à la manière de ses derniers films les plus réussis – dont L’Empereur du Nord (1973) est l’un des plus furieux représentants – l’image arrive comme totalement décontextualisée. Les indiens, les canyons ou les cactus semblent quasiment anachroniques tant ce que nous raconte Robert Aldrich est loin de ce qu’il nous donne à voir. Pendant que tout le monde finit de s’entretuer, que certains trouvent gloire et d’autres vengeance, ce qui compte profondément est qu’un homme meurt loin de sa femme. Elle l’avait timidement accompagné à son départ et lui, des balles plein le corps, se roule une dernière cigarette avant de tomber mort. Derrière le cliché du geste le néant avale tout. On oublie ce que McIntosh était venu cherché là, ce qu’il n’a pas trouvé et Robert Aldrich stoppe le geste de son héros avant même qu’il n’ait mis sa cigarette dans la bouche. Il s’est trompé de lutte, s’est battu en vain et au final n’est peut-être qu’un moins que rien. Il n’empêche qu’on ne le verra pas mourir. Sa mort ne fera pas de lui un héros mais par cette pudeur, loin de l’histoire qui l’a conduit ici, il deviendra quelqu’un. Sa femme, si elle l’attend toujours, en sera sans doute ravie.