Il ne faut pas sous-estimer Robert Zemeckis, entertainer averti, technicien assez remarquable, mais aussi brillant directeur d’acteurs, qui a débuté sa carrière sous l’ombre tutélaire de Steven Spielberg (À la poursuite du diamant vert, 1984 ; Retour vers le futur, 1985). D’une filmographie relativement variée, retenons notamment Forrest Gump (1994) et Seul au monde (2000), où sa collaboration avec Tom Hanks lui permet d’enrichir ces feel good movies à Oscars d’une évocation assez fine, voire cruelle, de la société contemporaine.
Flight ne dépare pas dans cette filmographie, même s’il surprend en minorant sa dimension pourtant attendue de film-catastrophe. Le récit ménage bien une scène de crash spectaculaire dans son premier tiers, mais l’efficacité de ce morceau de bravoure repose moins sur des images de synthèse tape-à-l’œil que sur une maîtrise remarquable du tempo et du montage. De plus, la séquence n’est jamais filmée d’un point de vue « divin », qui aurait surplombé l’évènement pour mieux nous stupéfier, mais au contraire à hauteur d’homme, que ce soit à travers le regard des membres d’équipage ou bien des caméras au sol filmant la catastrophe. Au cœur de l’évènement et du film : un pilote d’avion à la fois brillant et accroc à la drogue, à l’alcool, au sexe, en quête désespérée de reconnaissance et d’amour, personnage solitaire, incompris, tourmenté, incarné par un Denzel Washington remarquable de présence physique et d’émotions réfrénées.
D’où un film nimbé d’un humanisme finalement modeste, rempli de doutes. Les autres qualités de Flight sautent aux yeux : interprétation concentrée, intense du moindre acteur ; clarté et rigueur d’une mise en scène résolument classique, dans le bon sens du terme, suggérant beaucoup avec relativement peu d’effets, et tirant le meilleur parti de la simple disposition des éléments physiques et des acteurs dans le cadre. Après trois films en performance capture, où l’humaniste s’est effacé derrière le faiseur virtuose, Zemeckis prouve que c’est dans une certaine approche frontale et terre-à-terre de dilemmes moraux et de personnages en lutte avec leur environnement qu’il excelle le plus.
Un modèle évident du film, conscient ou pas, finit cependant par en souligner ses limites : le jeune Scorsese, celui de Taxi Driver (1975) et Raging Bull (1980). Difficile par exemple de ne pas penser aux retrouvailles entre De Niro et Pesci lorsque Denzel Washington revient en père prodigue et tente d’étreindre son fils. Au même titre que Flight, ces deux films brassent des histoires à la fois christiques et blasphématoires d’impuissance, de masochisme, de rédemption. Chez Scorsese, leur mise en scène éclatante finit par substituer au premier degré un peu contrit du récit une ampleur musicale et émotionnelle défiant toute interprétation réductrice – à l’aune de quoi Flight paraît en fin de compte un peu plat. Ne boudons pas pour autant ce petit film honnête et à peu près respectueux de son spectateur, ce qui est déjà appréciable par les temps qui courent.