Faut-il percer le mystère Ozu ?

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Y a-t-il un “mystère Ozu”?

Y a-t-il un “mystère Ozu”? On pourrait le croire au vu des innombrables ouvrages, essais ou articles mondiaux consacrés au cinéaste, dont la quantité et la diversité d’approches n’auraient d’égales que les hypothèses à l’infini sur les pharaons et leurs tombeaux… Ne dit-on pas d’ailleurs d’Ozu qu’il était le “scribe du cinéma japonais”, en référence à sa position accroupie sur le tatami, supposée résumer sa vision du monde derrière une caméra basse, tout au moins dans la dernière partie de sa carrière ?

Or, il n’en fut pas toujours ainsi. Comme tous les “continents inconnus” du cinéma, Yasujirô Ozu a fait l’objet de multiples “découvertes” successives, en Occident, et en France. Bien avant que Wim Wenders ou Hou Hsiao Hsien en fassent une icône emblématique qui aurait influencé leur œuvre, Ozu était considéré comme un cinéaste unique au Japon, à qui l’on opposait bien artificiellement, Mikio Naruse qui a retrouvé depuis sa juste place. Et, s’il est un “découvreur” occidental incontestable du maître d’Ofuna, c’est bien du pionnier Donald Richie qu’il s’agit, indiquant clairement son importance dès son premier livre en 1959, et lui consacrant un ouvrage à part entière en 1974, onze ans après la disparition du cinéaste.

En France, malgré la réputation critique d’Ozu, peu de ses films étaient visibles en dehors de la Cinémathèque Française (dans le désordre), et, dans les années 1960/70, il fallait aller, sinon à Tôkyô, du moins au British Film Institute de Londres, pour voir quelques films de sa dernière période. Le premier film sorti commercialement à Paris, le fameux Voyage à Tôkyô (1953), ne le fut qu’en 1978, quinze ans après la mort du cinéaste (1963). Mais ce fut le déclic du véritable succès public d’Ozu en France, puisque ce film, vu à l’époque par près de cent mille spectateurs, fut suivi de plusieurs autres, jusqu’à ce qu’un distributeur cinéphile (Alive) propose plus tard une vingtaine de titres, et de multiples rééditions. Depuis, le “mystère Ozu” a suscité d’infinies variations critiques, jusqu’à l’approche assez provocatrice (et sujette à caution) du professeur S. Hasumi, qui déclarait tout de go qu’Ozu était “le moins japonais des cinéastes”, opinion toute personnelle, qui visait surtout à inverser le courant majoritaire dominant…

On oublie très souvent, en parlant d’un cinéma “ozuein” – c’est-à-dire en plans fixes, à ras du tatami, et traitant de “l’impermanence des choses” à travers des histoires sans cesse remises sur le canevas de familles divisées – que le jeune Yasujirô du cinéma Muet avait fait ses classes avec le cinéma hollywoodien de l’époque (et, accessoirement, européen), en citant à tour de camera Lubistch, Hawks, ou même Buster Keaton. Tout un pan de son œuvre où il se fait le chantre des pauvres et des opprimés, par une malicieuse critique sociale, à travers des comédies exemplaires, dont la plus célèbre reste Gosses de Tôkyô (1932). On oublie aussi que les “fers de lance” de la Nouvelle Vague radicale de la Shôchiku, en particulier Oshima et Yoshida, l’avaient assez sévèrement attaqué pour sa vision “bourgeoise” du monde (à la fin de sa carrière), avant de reconnaître beaucoup plus tard sa personnalité et son style uniques…

Le “mystère Ozu” (s’il existe) ne se laisse donc pas percer facilement. C’est que le grand cinéaste bouddhiste d’Ofuna a emporté avec lui, dans sa mort prématurée, les clés de la combinaison, que tout le monde voudrait bien retrouver, et surtout ses “héritiers” auto-proclamés, qui ne sont pas toujours dignes de l’héritage revendiqué… Cette intégrale (de tous ses films existants, car beaucoup ont, hélas, disparu à jamais) est donc la bienvenue pour refaire un nouveau point, en toute liberté de pensée, sans influence aucune.

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