Exposition « Monuments, stars du 7e art » à la Conciergerie jusqu’au 13 février

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Commissariée par le critique et auteur N.T. Binh, l´exposition << Monuments, stars du 7e art >> met à l´honneur le patrimoine architectural français qui a très tôt servi de décor au cinéma, quand il n’a pas tout simplement volé la vedette aux acteurs !

Jusqu’au 13 février 2011, la Conciergerie raisonnera des estocades des films de capes et d’épées, des « en garde ! » de Jean Marais et du froissement des étoffes et des costumes de velours des films d’époque. Bref, un voyage dans le temps et le paysage patrimonial français qui ont inspiré tant de cinéastes.

Le Miracle des loups, André Hunebelle, 1961. Photographie de plateau prise par Raoul Foulon, Collection TCD. Cité médiévale de Carcassonne (Aude, Languedoc-Roussillon) dans le rôle de Beauvais (Oise, Picardie). © 1961 – Société Nouvelle Pathé Cinéma – Da Ma Cinematografica – Production Artistique Cinématographique © Raoul Foulon

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Qui dit patrimoine architectural, dit Histoire. C’est tout naturellement vers les grands moments et les illustres personnages de l’Histoire de France que se tourna le cinéma. A travers les biopics historiques tout d’abord, avec ses figures récurrentes telles que Jeanne d’Arc, qui connut pas moins de dix adaptations en longs métrages (1) dont les plus célèbres sont projetées ici : La Merveilleuse Vie de Jeanne D’Arc de Marco de Gastyne en 1927, La Passion de Jeanne D’Arc de Carl T. Dreyer en 1928, Jeanne au bûcher de Roberto Rossellini en 1954 ou Jeanne la Pucelle, de Jacques Rivette en 1994. Juste derrière la Pucelle d’Orléans, on retrouve la star emperruquée N°1 : Marie-Antoinette dont la vie fut moult fois portée à l’écran : Marie-Antoinette W.S Van Dyke en 1938 incarnée par Norma Shearer dont on peut voir le magnifique portrait en costume projeté sur les murs de la Conciergerie, Marie-Antoinette reine de France de Jean Delannoy en 1956 interprétée par Michèle Morgan, jusqu’au récent Sofia Coppola tourné au Château de Versailles.

 

Notre-Dame de Paris, Jean Delannoy, 1956. Raymond Voinquel, photographie de tournage avec Anthony Quinn. Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Paris © Ministère de la culture et de la communication – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine / R. Voinquel / dist. RMN

Les romans à trame historique ont aussi longtemps épuisé la pellicule et les grands classiques du genre continuent à hanter le 7e art depuis des décennies : les adaptations de Notre-Dame de Paris de Hugo (qui a connu pas moins de sept adaptations au cinéma, sans qu’aucune n’ait été tournée en décor réel, on n’y a vu que du feu !), Le Comte de Monte Cristo (neuf adaptations pour la plupart réellement tournées au Château d’If comme celle de Claude Autant-Lara ou Robert Vernay) et Les Trois mousquetaires de Dumas (dont on ne compte plus les versions), Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos (Les Liaisons dangereuses de Stephen Frears, Valmont de Milos Forman) ont été friandes de décors reconstitués ou naturels, relevant souvent de budgets colossaux. Le cinéma a également exploité le potentiel fantastique de l’édifice et plus particulièrement celui du château, propre à évoquer l’univers du conte de fées. Il devient alors davantage un monument fantasmé comme dans Peau d’Âne de Jacques Demy en 1970 tourné au Château de Chambord, dans Les Visiteurs du soir (Marcel Carné installe le fantastique à l’époque médiévale, entièrement reconstituée en studio), Le Monde de Narnia jusqu’à la série télévisée de la BBC Merlin (tournée à Pierrefonds).
Le monument peut aussi devenir un personnage à part entière. Dans le film de Delannoy, la cathédrale de Notre-Dame de Paris apparaît anthropomorphisée, notamment par l’utilisation de la contre plongée ou l’assimilation d’Anthony Quinn à une gargouille. Il est également assez drôle de lire sur les cartels de l’exposition, « Hôtel de Sully dans le rôle du Château de Mme de Merteuil » pour Valmont de Foman, ou « Domaine national de Saint-Cloud dans le rôle de Chantilly » pour Vatel (2). Un monument peut donc prendre le costume d’un autre pour les besoins d’un tournage, le réalisateur comptant sur l’ignorance du spectateur ! Heureusement, la précision géographique n’a jamais été une obligation au cinéma. Rohmer n’a eu que faire de l’exactitude des décors dans Perceval le Gallois : les effets spéciaux y sont grossiers, les décors en carton pâte (l’exposition montre une des énormes fleurs de la « forêt » du film) et les murs du studio laissés en bleu !

 


Vatel, Roland Joffé, 2000. Photographie de tournage de Pascal Lemaître au Château de Maisons dans le rôle du Parc du château de Chantilly (Oise, Picardie), Pascal Lemaître © CMN, Paris

Le top 3 des monuments français au cinéma

La France est LE pays des châteaux, des cathédrales et autres édifices historiques, d’où l’attractivité de son sol pour le cinéma. Dans cette exposition, un trio de tête se dégage largement de l’ensemble des décors naturels du 7e art : le Château de Pierrefonds avec ses tourelles médiévales reconnaissables, qui a servi et sert régulièrement de lieu de tournage : Le Miracle des loups (1961) et Le Bossu (1959), tous deux d’André Hunebelle et tous deux avec Jean Marais (l’acteur des films de capes et d’épées par excellence), Jeanne d’Arc (Luc Besson), jusqu’à La Princesse de Montpensier en 2010 (Bertrand Tavernier). C’est aussi Pierrefonds qui inspira le château du roi Miraz dans Le Monde de Narnia : Le Prince Caspian (2008). La Cité médiévale de Carcassone se révèle également un décor particulièrement apprécié des cinéastes : Le Tournoi dans la cité de Jean Renoir en 1928, le Jeanne d’Arc de De Gastyne, Le Corniaud de Gérard Oury en 1965, Robin des bois : prince de voleurs de Kevin Reynolds en 1991, ou encore Les Visiteurs de Jean-Marie Poiré en 1992. Enfin, la capitale. Pas un édifice en particulier mais Paris toute entière. Une ville-monument prisée du 7e art. A part la cathédrale Notre-Dame de Paris dont sont projetées plusieurs versions cinématographiques, N. T. Binh ne retient que quelques monuments et rues filmés ou traversés rapidement par la Nouvelle Vague (A bout de souffle et Bande à part de Godard, Les Cousins de Claude Chabrol), comme si l’impétuosité de la jeunesse n’avait pas le temps de s’éterniser devant ces vieilleries. Exit Montmartre et son Sacré cœur qui, de Borzage à Jeunet a pourtant habité le patrimoine cinématographique. Le commissaire a sans doute délibérément choisi de ne pas accorder trop de place à Paris et c’est tant mieux.

 

Mindwalk, Bernt Capra, 1990. Photographie de plateau, avec Liv Ullmann, John Heard et Sam Waterston. Collection TCD. Mont Saint-Michel (Manche, Basse-Normandie). Prod DB © Atlas / DR

La Grande Illusion

L’exposition montre l’importance du décor certes, mais surtout de son envers (on salue le travail de scénographie particulièrement réussi qui, par ses cimaises sous forme de châssis éphémères nous transporte directement dans les coulisses d’un film). N. T. Binh n’oublie pas les décorateurs, costumiers (on peut notamment admirer les costumes de La Reine Margot), accessoiristes et truquistes (on peut découvrir la technique du matte-painting notamment chez Rohmer et l’incrustation dans un décor de Méliès ou à l’arrière d’une 2CV en route !) qui ont élevé l’illusion au rang d’art. Parmi les grands noms des chefs décorateurs français, on retiendra celui de René Renoux qui affiche pas moins de huit collaborations avec Jean Delannoy dont Marie-Antoinette reine de France, Notre-Dame de Paris et La Princesse de Clèves. Il fut aussi le décorateur de Si Versailles m’était conté et Si Paris nous était conté de Sacha Guitry, ou encore Le Capitan de Robert Vernay. Dans les plus récents, N.T. Binh met à l’honneur Hugues Tissandier, comparse de Luc Besson depuis Jeanne d’Arc (une des maquettes du film est d’ailleurs exposée), on lui doit notamment les décors du récent Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-sec. Et pour rappeler à quel point le cinéma est avant tout affaire d’illusion, la Conciergerie s’est transformée en véritable plateau de cinéma : une salle à manger médiévale entièrement reconstituée ainsi qu’un intérieur-témoin finement décoré semblent prêts à tourner.

Du tournage en décors naturels prestigieux au gigantisme de la reconstitution en studio, l’exposition « Monuments, stars du 7e art » nous rappelle à quel point la création d’un film reste une aventure hors-normes.

 

La Légende de Polichinelle, Albert Capellani, 1907. Avec Max Linder. Château de Pierrefonds (Oise, Picardie). Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé © 1907 – Pathé Production

Exposition du 29 octobre au 13 février à la Conciergerie de Paris.


(1)
On peut d’ailleurs apprendre que la célèbre scène d’incarcération dans la tour du Château de Philippe Auguste n’a jamais été réellement tournée à Rouen, soit elle fut reconstituée en studio, soit dans un lieu équivalent.

(2) Chantilly au XVIIe siècle a été « interprété » par pas moins de treize châteaux différents.

 

 


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