Exposition Metropolis : le passé a de l’avenir

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Une grande exposition pour célébrer une résurrection : ainsi soit-il !

Jusqu’à ce jour, les cinéphiles ne connaissaient de Metropolis qu’une version incomplète, amputée de plus de 30 minutes. Aussi, en 2008, la découverte inespérée d’une copie intégrale du film fait vite figure d’événement. Dans la foulée, la Cinémathèque Française choisit aujourd’hui de rendre hommage à Fritz Lang et à son chef d’œuvre. Une grande exposition comme une jolie revanche sur l’Histoire, pour ce film dont le cinglant échec commercial lors de sa sortie ne laissait pas présager une telle postérité.
 

M(etropolis), le Maudit

 
10 janvier 1927 : la première berlinoise de Metropolis est un bide. D’ordinaire acquis au cinéma de Lang, les critiques ont la dent dure ; quant au public, il n’est guère plus emballé par ce film trop singulier au regard des standards de l’époque. Malgré l’enthousiasme de l’avant-garde et de la presse française, producteurs et distributeurs tirent immédiatement toutes les conclusions de ce naufrage commercial annoncé : le film est remonté à la hâte avant son exportation prévue partout dans le monde. Les bobines de la version de Fritz Lang sont rangées dans les tiroirs (… et même jetées à la poubelle !), tandis que la Paramount diffuse aux Etats-Unis une version charcutée du film. Cet avatar déforme le propos de Lang et compromet la compréhension générale de l’intrigue. Un crime artistique qui n’empêchera pas le naufrage financer.
 
On connaît la suite : au fil des ans, Metropolis se trouve non seulement réhabilité mais peu à peu glorifié par les cinéastes et les critiques du monde entier. L’échec le plus retentissant de Lang devient rétrospectivement son film le plus emblématique, une référence incontournable du 7e Art. Si l’affront originel est effacé, le film semble, lui, meurtri à jamais. De vaines recherches des bobines disparues en tentative de remontage du film, les historiens du cinéma finissent par se résigner : jamais le monde ne reverra le Metropolis voulu et pensé par Fritz Lang.
 

 
Et pourtant, en 2008, un petit miracle se produit : Fernando Martin Pena, historien du cinéma, débusque dans les réserves du Museo del cinéma à Buenos Aires rien moins que les bobines de la version d’origine. Incroyable mais vraie : importée d’Allemagne en 1927, cette copie, destinée à la carrière commerciale du film en Argentine, a voyagé de ciné-clubs en institutions muséales pendant plusieurs décennies, sans que jamais personne ne s’aperçoive de rien.

Après 80 ans d’exil clandestin en Argentine, le film fait son retour triomphale au pays de Goethe et voici qu’aujourd’hui, la Cinémathèque Française rend des gages à ce film mythique, ce projet à l’ambition pharaonique et au résultat visuel stupéfiant.
 

De l’autre côté du miroir
 
Le beau parti-pris de l’exposition de la Cinémathèque consiste à faire revivre, tout au long du parcours de visite, les 6 grandes parties constitutives du film. La scénographie de l’exposition surprend tout d’abord par sa sobriété et son épure, contrastant avec la richesse visuelle et les décors grandioses du film. Ce choix néanmoins pertinent permet une réelle mise en valeur des œuvres exposées. En revanche, le choix d’un parcours labyrinthique à travers de multiples salles est plus discutable : l’étroitesse de certains espaces d’exposition risque de s’avérer problématique, les jours de grande affluence, et d’altérer la beauté et l’harmonie qui se dégagent de l’ensemble.
 

Au fil de l’exposition, de " la Cité des fils" à "la Cathédrale", en passant par "la ville ouvrière" ou "les catacombes", le visiteur découvre par ordre chronologique les séquences majeures de Metropolis. Chaque salle propose des extraits vidéos mais également de nombreuses archives de tournage. Le visiteur contemple ainsi les coulisses d’une scène en même temps qu’il en visionne le rendu final à l’écran. Ce cheminement s’avère particulièrement agréable et didactique. L’essentiel des collections exposées consiste en du matériel de tournage, des photos de plateau, des affiches, des croquis de costumes par Aenne Willkomm ainsi que de nombreux dessins préparatoires d’Erich Kettelhut, ces derniers se révélant absolument somptueux.
 
 
Hélas, pour le visiteur, pas d’éléments de décors notoires à contempler, hormis, excusez du peu, la Mona Lisa du 7ème Art : le célébrissime robot, dont l’image figure sur les affiches de l’exposition. Les cinéphiles se délecteront en revanche des récits des membres de l’équipe de tournage rapportés çà et là, tout au le long du parcours. Inonder un décor peuplé d’enfants, allumer un bûcher sur lequel se trouve ligotée une actrice, sortir les alcools forts pour réchauffer des acteurs frigorifiés : autant d’anecdotes, tour à tour amusantes et étonnantes, qui laissent imaginer l’ampleur et l’extrême difficulté du tournage. Même si l’on regrette que l’exposition n’illustre pas suffisamment le sujet, les techniques de trucages sont également évoquées à plusieurs reprises dans l’exposition, mettant en exergue l’extrême ingéniosité des compagnons de route de Fritz Lang. Fascinant.
 
 
 
Au milieu du parcours d’exposition, le visiteur quitte pour un moment le film et ses coulisses, le temps de se perdre le long d’un étroit couloir, lequel relate plus de 80 ans d’une quête rocambolesque de la version d’origine de Metropolis. Grâce à cet entracte au milieu du film, ce couloir du temps, l’on découvre notamment le travail engagé pour aboutir à l’actuelle version du film, mouture dite « d’origine », laquelle fut reconstituée à partir de nombreuses copies venues des quatres coins du monde. Ces récits passionnants renforcent encore un peu le mythe qui entoure la singulière destinée de Metropolis. L’on regrette simplement que cette présentation très littéraire, bien que claire et précise, ne soit pas plus didactique et interactive. Les visiteurs intéressés par l’histoire tourmentée du film s’attarderont donc de préférence devant le documentaire passionnant (mais cependant beaucoup trop long), projeté sur place.

L’exposition se clôt sur une salle fort judicieusement consacrée à la réception du film, lors de sa sortie en 1927. Au milieu des coupures de presse et des affiches, on lira notamment quelques lignes signées d’un certain Henri Langlois. Celui-ci voit dans Metropolis « de telles beautés que l’on quitte la salle avec l’envie d’y retourner ». C’est d’ailleurs la tentation qui envahit le visiteur à l’issue de l’exposition : l’envie de redécouvrir à l’écran le chef d’œuvre visionnaire de Fritz Lang.

 

Metropolis, comme vous ne l’avez jamais vu
 
Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, parallèlement à l’exposition, le film, dans sa version (quasi-)originale, ressort cet automne sur les écrans mais également en DVD et Blu-ray. L’occasion rêvée de découvrir Metropolis  dans le montage voulu par Fritz Lang.

Dans les années 1990, une ambitieuse campagne de restauration avait déjà travaillé à redonner une trame narrative plus lisible au film. Par l’insert de cartons explicatifs en lieu et place des scènes manquantes, la seconde partie de Metropolis était redevenue plus compréhensible. Aujourd’hui, il faut bien parler d’événement si l’on considère que la copie d’origine offre plus de 30 minutes supplémentaires par rapport à la précédente version de référence. Si la qualité des séquences inédites est fortement altérée, celles-ci redonnent enfin à l’oeuvre de Fritz Lang toute sa cohérence visuelle et dramatique.
 

 
Nous avons revu Metropolis et qu’avons-nous vu ? Rien de moins qu’un nouveau film, où l’audace plastique de l’œuvre et ses décors futuristes stupéfiants frappent le regard et l’imagination. Les trucages utilisés n’ont pas vieilli et, par leur puissance visuelle saisissante, confèrent au film un caractère primitif, presque premier. Il y a souvent quelques facilités à parler de l’extrême modernité d’un film considéré comme majeur. Difficile pourtant de se départir de ce cliché dans le cas présent pour louer les indéniables qualités de Metropolis. A une période où une crise financière sans précédent ébranle le monde, à l’heure où les peuples arabes se soulèvent un à un, il y a quelque vertige à revoir ce film qui a su exposer de manière si lisible et si expressive la relation dialectique entre maître et esclave.

Exposition Metropolis du 19 octobre 2011 au 29 janvier 2012, à la Cinémathèque française.

Rétrospective intégrale Fritz Lang du 18 octobre au 4 décembre 2011, à la cinémathèque française.


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