Europolis

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Ni néoréaliste, ni tragédie, « Europolis » met en scène le voyage initiatique que tout mort doit accomplir pour trouver la paix dans la vie éternelle. Basé sur la tradition roumaine du voyage de l’âme, cette métaphore nous éclaire sur la condition humaine.

Premier film de fiction de Cornel Gheorghita, qui a quitté Bucarest pour s’installer à Toulouse, où il enseigne le cinéma depuis 1991, Europolis, malgré son titre peu engageant, est une méditation sur la mort chère à deux autres penseurs roumains, Cioran et Mircea Eliade. En effet, selon la tradition roumaine, l’âme d’un mort ne peut trouver la paix qu’une fois ses dernières volontés accomplies, sans quoi que le défunt deviendrait un vampire. Nae et sa mère vont donc endosser cette mission, à savoir aller chercher le corps de leur oncle et frère, Luca, en France et le conduire à sa dernière demeure, au village natal de Roumanie.

Servi par une image magnifique, à la fois naturaliste et poétique, le film retrouve le thème de l’éternel retour qu’Eliade avait revivifié à la suite des Grecs et de Nietzsche, mettant en scène une pérégrination quelque peu surréaliste et absurde qui débouche sur une forme de renaissance de Nae, assortie de la mort de sa mère. Il y a dans le film des moments d’une grande beauté, approchant la grâce et montrant de la Roumanie une image à la fois sublimée et réaliste ; ce pays aux confins de l’Europe, dévasté par le communisme et qui, pourtant, parvient à entretenir ses traditions comme l’illustre bien le personnage de Magdalena, la mère au nom christique qui se signe à chaque moment grave de sa vie et passe ses nuits à faire des brioches sacrées.

Attention, malgré cette description, le film n’est ni néoréaliste, ni une tragédie. Il met en scène le voyage initiatique que tout mort doit accomplir pour trouver la paix dans la vie éternelle et, pour cela, franchir les douanes célestes, qui ici sont bien effectives, avec de « vrais » douaniers roumains. On pense aussi bien sûr au Livre des Morts tibétains et à ses divinités paisibles et courroucées. L’Europe a besoin maintenant de se trouver une paix intérieure, calmer ses démons, et Europolis en propose aussi une métaphore. Convoquant Cioran, le philosophe du désespoir, Cornel Gheorghita illustre la formule biblique « Vanitas vanitatum et omnia vanitas ». Tout n’est que vanité, car tout est promis à la mort et à la destruction. Mais la vie aussi se propage, et c’est ce qui fait la force de ce film métaphorique puisque, au moment de la mort de la mère, transportée dans le cercueil africain en forme d’âne, Nae va se retrouver lui-même comme délivré – ou peut-être déjà mort à son tour ? – devant la mer, avec cet âne que l’époux d’une aveugle diseuse de bonne aventure lui avait confié.

Ainsi que l’analysent bien deux ethnologues et anthropologues, Ioana Andreesco et Ileana Gaita : « Europolis est le souvenir d’une utopie… du passé d’une ville perdue au bout du monde, aux confins du delta du Danube et de la mer Noire. C’est le rêve d’une Europe avant l’heure dont le communisme ne fait qu’achever l’anéantissement. » En effet, il s’agit d’un film équivoque, qui appelle de nombreuses interprétations : on n’est pas obligé d’opter pour la métaphysique. On peut y voir aussi pas mal de poésie, un voyage profondément enraciné en Roumanie qui propose un conte sur l’essence même de la vie, racontée par la mort. La vie, la mort entrelacées, un drame au cœur de la péninsule des Balkans qui plonge ses racines dans la Grèce antique, d’où peut-être ce titre étrange, Europolis, pour un film parsemé de symboles, de phares et de lueurs dans les ténèbres.

Titre original : Europolis

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Durée : 108 mn


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