Entretien avec Mathieu Demy

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Enfant de la balle, Mathieu Demy prend son héritage familial pour point de départ d’un premier long métrage qui ne ressemble qu’à lui. Rencontre avec un jeune réalisateur partagé entre ici et ailleurs.

Americano est votre premier long métrage en tant que réalisateur. Il vous a pris quatre ans. Votre désir de mise en scène remonte-t-il à loin ?

Oui. Il y avait des courts métrages, quelques trucs en vidéo… Je me suis toujours intéressé à ça, y compris dans le travail d’acteur. Du coup, ce n’était pas vraiment un changement de cap, plutôt une manière d’élargir mon horizon. Mais c’est vrai que ça remonte à loin, le désir de mise en scène – ce projet-là, qui a pris forme il y a à peu près quatre ans de manière concrète, aussi.

Quelle est la genèse du projet ?

D’une part, un simple désir de cinéma : raconter un deuil sous la forme d’un road-movie, inscrire une histoire très intimiste dans un cadre qui sorte un petit peu du cercle familial que le sujet induit. Je voulais raconter l’histoire d’une manière éclatée ; qu’il s’agisse d’une fuite en avant et que ça prenne des allures de road-movie. C’était donc une envie de filmer des lieux de nuit, des lumières, de faire un film qui s’évade. D’un point de vue plus personnel, j’avais envie de faire quelque chose avec le film de ma mère, Documenteur, dans lequel j’avais joué enfant. C’était une manière assez singulière de raconter d’où je viens, cette enfance de cinéma que j’ai eue et, cette façon que j’ai eu de plonger dans la fiction dès tout petit. Je me suis dit que ce ne serait pas mal de reprendre mon personnage de Documenteur et de le faire grandir.

Justement, vous jouez dans le film : est-ce une manière de faire l’un sans renoncer à l’autre, d’obtenir ce qu’on veut de son acteur principal ?

C’est surtout parce que cette histoire est très personnelle et qu’elle part de Documenteur donc, qui n’est pas vraiment autobiographique mais une espèce d’auto-fiction quand même. Pareil pour la musique : je voulais que ce personnage garde cette même mélancolie, c’est pourquoi j’ai repris la musique que Georges Delerue avait faite pour Documenteur. Il s’agissait de toujours garder le point de vue de Martin. Reprendre le rôle trente ans plus tard en faisait partie. J’aurais pu demander à quelqu’un d’autre : c’aurait été un autre rapport à la fiction, mais je pense que ça aurait été moins fort.

Dans quelle mesure peut-on parler d’autofiction dans le cas d’Americano ?

Je voulais parler du deuil, de la filiation, de beaucoup de choses qui m’ont concerné à un moment donné. C’est sûr que c’est un personnage qui était très proche de moi, même si je n’ai pas forcément vécu les choses de la même manière. Je n’ai pas été m’enterrer dans un bordel au Mexique, par exemple ! Le film reste une fiction. Après, je me suis amusé avec des citations, des petits clins d’œil, qu’on ne repère pas du tout quand on ne les connaît pas, mais qui font sourire ceux qui connaissent un peu le cinéma de Varda, de Demy… Mais c’est plus de l’ordre du jeu ; je pense que j’ai essayé de faire un film qui soit abordable par n’importe qui, qui mette en scène des choses plus universelles auxquelles n’importe quel spectateur peut se raccrocher.

Est-ce plus facile de monter un film quand on s’appelle Mathieu Demy ?

Pas du tout ! C’est drôle, tout le monde pose la question. Personne ne demande si c’est plus difficile. Alors qu’il y a une attente qui n’est pas la même entre quelqu’un qui fait un premier film, et quelqu’un qui a des parents comme les miens qui fait un premier film ! Le financement notamment était compliqué. Après, il n’y a pas eu que des mauvais côtés. De toute façon, un premier film, c’est difficile. En plus, je n’ai pas fait les choix les plus évidents : le tournage dans plusieurs pays, des décors à monter… C’était une expérience hyper éprouvante par moments. Mais je trouvais que c’était cohérent de le produire moi-même, pour aller avec le côté artisanal que j’avais en tête.

Vous parlez d’artisanat. Il y a aussi une dimension de conte dans Americano…

Oui, bien sûr. Ce n’est pas un film très réaliste. J’avais envie de rester très proche de ce personnage, de montrer les choses telles que lui les voit. Toute la rencontre avec le personnage de Lola (Salma Hayek) est un peu magique. Il y a en effet plein de choses traitées comme dans un conte. C’est tout à fait voulu, pour contrebalancer le côté auto-fiction justement. Je n’aime pas trop le cinéma naturaliste, j’aime bien les choses qui se décollent un petit peu de la réalité.

Le casting est aussi impressionnant que surprenant. Comment avez-vous choisi vos acteurs ?

J’ai essayé de raccrocher les personnages à des acteurs que j’avais envie de filmer, et qui avaient une certaine charge cinématographique. C’est le cas de Jean-Pierre (Mocky), qui a été acteur et a réalisé quatre-vingts films. C’est aussi le cas de Chiara (Mastroianni), avec qui j’ai une histoire en commun par nos parents. Géraldine Chaplin, elle aussi, vient d’une famille de cinéma. C’était donc une manière de raccrocher ça au thème du film, qui traite de la famille et du cinéma, les flashbacks étant une fiction…

Et Salma Hayek ?

Je voulais m’éloigner de ce qu’on attend d’un premier film de moi, et j’ai pensé à Salma Hayek : on attend tout sauf elle dans un premier film français ! Il me fallait une actrice surprenante, qui soit mexicaine, très belle, pour jouer une strip-teaseuse de ma génération. A un moment, il m’a semblé évident de lui demander à elle, et elle a accepté !

Ce n’est pas un film franco-français, il serait même plutôt hollywoodien…

En tant que spectateur, je me sens très éclectique : j’adore le cinéma américain, j’adore le cinéma français… Les frontières, je m’en fous un peu. Je sens que mes influences viennent de plein d’endroits très différents, c’était important pour moi de suivre ce truc-là. Il fallait que je parle du fait d’avoir grandi un certain temps en Californie, aussi. Ce n’est pas juste pour essayer de m’échapper de quelque chose ; ça fait partie de ma vie. Mais c’est vrai que je me sens un peu ailleurs, un peu partout.

Vous avez vécu trois années à Los Angeles entre sept et dix ans. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Ils sont très flous ! Ils se mélangent un peu avec ceux du tournage et du film (Documenteur). C’était marrant pour moi de revenir sur les traces du tournage de Varda et, à l’instar de Martin, d’avoir aussi des souvenirs qui remontent, puisque j’ai passé pas mal de temps dans les mêmes décors que Documenteur. C’était assez spécial de s’y replonger. On fabrique des choses autour… C’est comme une photo ! On ne sait plus très bien si on se souvient réellement du moment, où si le souvenir émane de la photo. Un film, c’est un peu pareil. On ne sait pas trop où se situe la frontière… Documenteur, qui est une fiction, fait partie de mon souvenir. C’était aussi une manière pour moi de ne pas distinguer les deux, d’assumer que la fiction fait partie de ma vie de manière intégrante. Que c’est un réflexe.

Aviez-vous vos parents à l’esprit pendant le tournage ? On les retrouve par petites touches, mais vous avez un style personnel…

Je ne me suis pas posé la question de manière consciente. J’ai vraiment suivi ce que j’avais envie de faire et effectivement, peut-être que mon truc à moi, c’est plus l’autofiction. J’aime surtout jouer. Il y a quelques citations volontaires assez évidentes, d’autres plus inconscientes… Au final, j’ai l’impression que ça ressemble à autre chose.

Agnès Varda a-t-elle vu le film ? Qu’en pense-t-elle ?

Oui, elle a vu le film, mais c’est à elle qu’il faut poser cette question ! Elle a un avis un peu compliqué, car c’est ma mère : elle est à la fois très critique et en même temps, elle me soutient… Je ne sais pas trop comment appréhender ce qu’elle en pense.

Le film ressemble-t-il à ce que vous aviez en tête ?

Par endroits, précisément. A d’autres, j’ai eu des surprises. Mais j’espère que c’est toujours comme ça. Quand on est comme Hitchcock, et qu’on assiste au déroulement implacable de tout ce qu’on avait prévu, ça doit être sacrément chiant. Quand les choses s’incarnent, il y a une dimension supplémentaire.

 

Salma Hayek joue en quelque sorte une émigrée mexicaine qui s’est heurtée au rêve hollywoodien… Etait-ce une manière de parler des rapports qu’entretiennent les Etats-Unis et le Mexique ?

Pas vraiment, c’est plus une réalité géographique. Il n’y a pas de message par rapport à ce que représenteraient les USA, même si le petit garçon mexicain a une certaine amertume de ne pas avoir le rapport qu’il voudrait au pays. Mais la fuite au Mexique, c’est plus une fuite de fiction comme dans les westerns, une manière de retraverser une autre frontière. Il y a beaucoup de frontières symboliques dans ce film. C’est une histoire de passage : à l’âge adulte, d’un état à l’autre…

Aviez-vous des références, des sources d’inspiration durant le tournage ?

Par rapport à l’histoire, deux films m’ont marqué : Mortelle Randonnée, un road-movie sur le deuil, que j’ai beaucoup vu enfant. C’est un film assez imprévisible, tragique, drôle, que je trouve génial. Et puis Exotica : j’aimais beaucoup la manière dont Atom Egoyan traitait la boîte de strip-tease.

Americano donne l’impression de faire du cinéma pour le cinéma…

Absolument. Je voulais des images fortes, signifiantes, chargées d’une histoire de cinéma, du film de genre… Cette voiture rouge décapotable, ce club, la nuit, qui est comme un truc un peu mental. J’avais envie de faire un film où l’on puisse s’abandonner à certaines images, rêver, et qui formellement fassent rebondir, fassent penser à d’autres films.

Votre côté cinéphile ?

Je suis plus obsessionnel que cinéphile. Je préfère voir cinquante fois le même film que quarante-neuf autres. Peut-être que ça fait de moi un cinéphile… Je ne suis pas cinéphage, en tout cas. Du coup, j’ai quelques lacunes.

Des projets pour la suite ?

Je vais surtout recommencer à jouer, parce que je n’ai pas eu beaucoup le temps de le faire depuis Americano. Je pense à un autre long-métrage, mais rien n’est encore sur les rails.

 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Viaud, à Paris, novembre 2011

Retrouvez la critique de Americano.

 


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