Entretien avec Lyes Salem

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Il va falloir que le cinéma compte sur Lyes Salem, électron libre et pourfendeur des codes narratifs et filmiques poussiéreux. Entretien sans tabous !

Mascarades connait un certain engouement : de bons échos de la presse, le public algérien au rendez-vous et, enfin, le film a été sélectionné pour représenter l’Algérie aux Oscars 2009. Comment allez-vous ?

Je me sens bien parce que globalement, c’était le film que je voulais faire. Rien que pour cela, je suis assez content. En Algérie, j’ai senti que ce film les avait convaincus (NDLR : le public) et cela m’a fait plaisir car je l’ai fait en partie pour eux. Leur faire du bien sans les caresser dans le sens du poil. C’est simple, je suis fatigué par ces quelques films, ces chroniques sociales qui se terminent pour la plupart tragiquement et surtout par cette espèce de jugement qu’ils développent. Ces cinéastes prennent plaisir à pointer du doigt cette société et donc ce public. Pour comprendre tout cela, il faut discerner deux choses : il y a des films qui sont réalisés pour le public algérien, dont certains traversent les frontières en raison de leurs qualités cinématographiques, je pense notamment à Rachida (NDLR : réalisé en 2003 par Yamina Bachir-Chouikh), et d’autres pour lesquels je n’arrive pas à comprendre leur intention première. Quand je me suis mis à écrire Mascarades, je connaissais déjà mon principal destinataire, le public algérien.

Notamment au niveau de la langue. Mascarades est un film qui refuse l’arabe littéraire pour une langue parlée au quotidien.

Exact. Je défends bec et ongles cette langue qui représente l’identité de ce pays, la derja. Il faut savoir qu’elle est spoliée, méprisée bien qu’étant imagée, vivante, belle. L’arabe classique leur permet, évidemment, de communiquer avec les pays arabophones, certes, mais alors pourquoi ne pas conserver le français, qui leur permettrait de communiquer avec toute la francophonie ? On les oblige à utiliser régulièrement l’arabe classique au détriment du français, une sorte d’acte politique et surtout on leur fait croire que l’algérien, la langue de tous les jours, est un dialecte. Arrêtons de dire cela ! Annaba, Oran, Tlemcen, tous l’utilisent. Ils n’ont jamais eu de problème. Je suis convaincu que cela fait partie des malentendus qui sont le point de départ de la dérive de cette société. Plusieurs questions mal traitées, des tabous, tous cela forme un certain désarroi que je retrouve dans cette société algérienne. Tout d’un coup, on l’a embrouillée avec ces bêtises sur la place de la langue classique. Durant l’avant-première à Alger, j’ai insisté auprès de l’animatrice du débat pour que la présentation se fasse en derja. J’en prenais la responsabilité, même si je savais que cela ne plairait pas à certains représentants étatiques qui se trouvaient dans la salle. Elle m’a dit OK. Deux minutes plus tard, elle faisait son discours en classique. Il y a quelque chose qui ne va pas !

Votre film est une comédie qui navigue entre burlesque et étude du comportement. Plusieurs thèmes s’entremêlent et toujours avec subtilité : la religion (avec ce plan d’ouverture sur le minaret), les magouilles politiques (avec ce personnage absent physiquement du Colonel). Ce refus du misérabilisme, était-ce une nécessité ?

Oui, mais ce n’est pas un refus lié à une opposition. Encore une fois, j’utilise des codes narratifs compréhensibles pour le public algérien. Je n’ai pas besoin de lui faire un dessin, je lui parle de ce colonel et il comprend tout, car malheureusement cela fait partie de son quotidien. Pas besoin de sombrer dans un discours démonstratif. Quand Kurosawa réalise Le Château de l’araignée, il n’a pas besoin de perdre son temps à tout expliquer, il montre la réalité et on saisit de suite le sens. Dans le cinéma maghrébin actuel, il y a cette envie de tout vouloir décrire, de tout justifier, mais on oublie que l’image est plus importante que le dialogue. Je veux rompre avec cette méthode. Je ne veux pas expliquer comment faire le couscous, ils le savent pertinemment. En plus de cela, moins je montre ce colonel, plus la subtilité est forte.

Connaissez-vous vraiment ce public algérien ?

Oui, c’est moi. Je suis un spectateur algérien. Ce film, je l’ai écrit pour moi. Mounir, mon personnage, c’est un peu moi. Pour revenir à ce colonel, je voulais d’un point de vue scénaristique, qu’il y ait un rapport avec la fantasmagorie. Dans Mascarades, les deux personnages qui sont censés représenter la société de confort, de luxe, ce sont le Colonel et l’homme d’affaires, William Vancooten. En Algérie, lorsqu’on parle de tous ces gens qui veulent partir, eux aussi ils imaginent des choses, des contrées, une situation qu’ils ne connaissent pas. Ils fantasment. Et les médias sont bons pour cela. Le gars, il voit la publicité, le loisir, mais ne se doute pas du chômage, des usines fermées et délocalisées. La difficulté sociale qui réside en France leur est totalement étrangère.


J’ai cette impression que l’Algérie est représentée par l’élasticité de Khliffa et la beauté silencieuse de Rym.

Complètement. Surtout le personnage de Rym qui représente une Algérie qui a du mal à sortir de sa léthargie. Une Algérie fraîche, vivante et belle quand elle est réveillée, mais qui malheureusement ne dure qu’un temps. Cette Rym est entourée de deux hommes qui l’aiment différemment mais sincèrement. Son frère, Mounir, qui est une synthèse d’une Algérie perdue mais garant d’un certain conformisme, d’une tradition, des qu’en dira-t-on, le passé en somme. Et de l’autre côté, un poète sautillant, élastique, son amoureux, Khliffa. Le seul personnage qui construit dans ce village, un vidéoclub en l’occurrence. Un gars qui est plus tourné vers l’avenir. Ce sont deux pôles d’influence qui prennent l’Algérie en tenaille. Je pense, par exemple, qu’aujourd’hui l’une des questions fondamentales d’un algérien, c’est de savoir comment le musulman doit vivre de nos jours. Dans cet élan de conformisme, on a tendance à croire que la modernité, c’est l’autre. C’est l’occident. Conneries ! Le musulman est moderne et je parle bien évidemment de l’intellect. Mais je pense à l’élasticité de Khliffa. C’est l’acteur, Mohamed Bouchaïb, qui m’a orienté vers cela. Il y avait effectivement, lorsque j’écrivais le scénario, une envie de caresser la comédie échevelée. Mais le résultat est stupéfiant. Khliffa, pour moi, n’était pas aussi burlesque, il ne montait pas sur les murs, c’est Bouchaïb qui s’est pris au jeu. Et moi, je m’en suis servi.


Mascarades est un film qui ne perd pas de temps. Tout va très vite. Comment s’est déroulée cette construction narrative qui ne laisse pas respirer le spectateur ?

Je pense que la comédie en elle-même a besoin de ce rythme. Mascarades est une sorte de vaudeville. Tout doit aller très vite dans ce film, comme si on se trouvait dans une pièce de Feydeau. Il faut que cela swingue, que cela claque. L’écriture, la réalisation et le montage sont basés délibérément sur ce genre de rythme. Je faisais beaucoup de plans sur le tournage, on pensait que je me couvrais. Non, j’avais surtout besoin de plans filmés sur différents axes afin d’avoir un rythme particulier lors du montage.

Le cinéma algérien reprend ses droits sur la géographie mondiale. Que cela soit des réalisateurs d’Algérie ou des cinéastes français d’origine algérienne, on sent poindre la montée d’une génération désirant créer, poser des questions et par la même occasion refusant le manichéisme. Vous y songez souvent ? Et si oui, vous vous arrêtez sur ces cinéastes ?

Evidemment. La plupart sont des potes. Je suis sûr d’une chose, j’ai confiance en ces individus et surtout dans leur façon de dire les choses et de les filmer. Par contre, si on ne nous donne pas les moyens, on ne peut rien faire. Ce n’est pas viable d’obtenir des financements européens alors qu’on tourne en Algérie. Je ne veux plus refaire un film comme Mascarades, surtout pas de cette manière, avec 12 % d’apports algériens. Ce n’est plus possible ! J’ai l’impression que nous traversons une période de victimisation. Et c’est regrettable. Surtout lorsqu’on voit les films de Tariq Teguia (Rome plutôt que vous, 2008), Nadir Moknèche (Le Harem de Mme Osmane, 2000 – Viva l’Aldjérie, 2004 – Délice Paloma, 2007) ou de Rabah Ameur-Zaïmèche (Wesh-Wesh, 2002 – Bled Number One, 2006 – Dernier maquis, 2008) et même ceux de là-bas, des gars tels que Khaled Benaïssa, Yanis Koussim ou Mounes Khammar. Si les politiques n’ont pas cette volonté de promouvoir la culture en général et le cinéma en particulier, dont c’est l’art le plus cher, ces cinéastes ne pourront rien faire. L’Europe ne pourra pas toujours être là. Nous restons encore dans un rapport de colonisés !


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