Entretien avec Hinde Boujemaa

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A l’occasion de la sortie de « Noura rêve », entretien avec la réalisatrice Hinde Boujemaa.

Hinde Boujemaa, vous venez de réaliser un long métrage de fiction, Noura rêve, tout comme votre premier film et votre dernier court métrage, la thématique principale est l’amour. Pourquoi avoir choisi d’écrire sur ce sujet ?

Je pense que depuis la nuit des temps c’est une thématique qui n’est maîtrisée par personne. C’est le
sentiment qui nous anime depuis la naissance je dirais. Avec l’amour des parents, jusqu’à la mort, en
passant par l’adolescence où l’amour de l’autre, l’amour du conjoint, nous envahi, où on le découvre.
Les émois. En fait c’est un sentiment tellement irrationnel qu’il a été écrit, chanté, tourné. Et constamment avec des grandes questions. Ces questions auxquelles au final personne n’a vraiment de
réponse. Et donc voila, je fais partie des gens qui se questionnent sur ce sentiment et sur ce qu’il peut
engendrer.

Vous avez exprimé dans un précédent entretien que la fiction vous permettait de créer des
personnages. Pourtant votre film est d’un réalisme impressionnant, était-ce important pour vous que vos personnages soient « crédibles » ?

Tout à fait, de toute façon je n’avais pas le choix, c’est à dire que pour moi ça ne pouvait pas fonctionner autrement. Parce que je viens du documentaire et donc avec le documentaire on a ce côté d’observer des personnes et de recevoir leurs vies telles qu’elles sont. En étant envahi par cette réalité. Or, quand on passe dans la fiction, on a une sorte de filtre. On sait que c’est une fiction et donc on sait que ce n’est pas une caméra sur le voisin. Et ça met une sorte de recul par rapport au spectateur. Moi, ce qui m’intéressait c’est d’essayer de garder ce côté très vrai, très cru qui existe dans l’humain. Je raconte une histoire d’êtres humains et même si ils sont dans un autre cadre, qui est plus esthétique par mes choix, qui est différent et inventé, c’est important qu’on puisse identifier et qu’on puisse croire justement à cette histoire là.

Est-ce pour ça que vous avez choisi trois enfants qui ne sont pas comédiens bien que vous tourniez avec des acteurs et actrices professionnels ?

Oui. Alors le film est très mélangé. On a trois enfants qui viennent effectivement d’un milieu populaire,
on a une chanteuse qui est très connue en Tunisie, on a une grande actrice, on a un grand acteur
et des acteurs qui, de temps en temps, font un peu de télévision, qui sont au début de leur carrière
cinématographique. C’est un mélange de pleins d’histoires entre eux et ce qui nous a réuni c’est vraiment le fait que, quand je travaille, je travaille avec des êtres humains. Je fais entrer sur mon plateau l’être humain et sa carrière, ce qu’il est dans la vie, reste en dehors.

Sans dévoiler une des scènes majeures du film, pouvez-vous m’en dire plus sur le choix d’aller aussi loin ?

La question c’était comment un homme peut arriver à la vengeance. Or toutes les formes de vengeances existent. Il n’y a pas de lois dans la vengeance donc ce sera en fonction du vécu du personnage. C’est une manière pulsionnelle de se réapproprier sa femme et qui peut surprendre mais je voulais voir, avec ce personnage, jusqu’où il pouvait aller dans l’horreur.

Vous avez à plusieurs reprises dit que vous ne faisiez pas de films politiques mais Noura rêve fait
écho à une loi tunisienne qui punit l’infidélité d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq
ans ainsi que d’une amende de cinq cent dinars. Vous êtes, de plus, ouvertement impliquée
dans diverses causes. Est-ce que malgré vous, vous faites des films politiques ?

Ah..(rire) Je crois que oui en fait. A la fin je commence à me poser la question. En fait je ne me la pose pas quand j’écris. Je suis révoltée, je vois quelque chose, des faits divers, je vois des personnes dans mon
entourage qui partent en prison parce qu’ils ont des petits amis ou des petites amies. Et je me dis que
ce n’est pas possible de monopoliser un appareil d’État pour trois personnes. Il y a d’autres choses
plus importantes à régler, pour la police il y a la corruption d’un pays. Et je me dis qu’à un moment
donné ces lois ne doivent plus exister afin de ne plus perturber l’appareil policier dans une tâche
beaucoup plus urgente que celle-ci. Tout comme celle sur l’homosexualité, ces deux lois font parties
pour moi de celles qui doivent être éradiquées. Mais bon chaque pays a aussi des lois rétrogrades qui
peuvent être utilisées ou pas. En France, je ne sais pas si vous vous souvenez, il y a eu la loi sur le pantalon pour les femmes. C’est une aberration qui n’est partie qu’en 2013. En fait le danger quand ces lois existent c’est qu’elles peuvent être utilisées de manière arbitraire. Alors évidement pour le film on ne va pas utiliser la loi sur les femmes et le pantalon parce que ce n’est pas très choquant dans les moeurs mais dès qu’on touche à ce que eux pensent être des moeurs on peut être soumis à un juge qui utilise ou pas la loi et en l’occurrence elle est utilisée cette loi sur l’infidélité. Évidemment cela dépend, tout le monde ne dénonce pas son conjoint.e, mais elle est là. C’est une arme de vengeance qui pour moi doit être éradiquée. Donc en ça oui peut-être que c’est un positionnement politique mais ce n’est pas à l’origine de ma volonté de faire du cinéma. Je raconte des histoires de gens, de personnes, de sentiments, et je les raconte dans un contexte. C’est en ça que cela peut donner un aspect politique au film.

On vous voit très active sur les réseaux sociaux pour faire entendre vos positions, défendre des
causes.

Je ne suis pas la seule à le faire, et heureusement. Mais c’est un des acquis de la révolution : la liberté
d’expression. Désormais on se permet, on dit fortement quand on est pas d’accord, on dénonce. C’est le bon côté des réseaux sociaux, qui permettent de communiquer dans notre pays d’autres idées
que celles qu’on peut entendre dans son quartier ou par sa famille et qui sont assez limitées. Autant les
réseaux sociaux sont une arme de destruction massive pour la religion, autant quand on a des idées
progressistes les réseaux sociaux nous servent aussi, c’est à nous, nous qui voulons des réformes, d’utiliser cela aussi souvent que notre adversaire fictif, qui est extrêmement conservateur et religieux. C’est en ça que oui, absolument, l’indignation est bien présente.

Par rapport à votre indignation, il y a eu une marche contre l’islamophobie le 11 novembre 2019
en France, quel est votre point de vue sur la situation ?

Je ne vis pas en France donc je ne sais pas quelles sont les réelles conséquences, les réelles réactions par rapport à l’islam. Mais ce qui est sûr c’est qu’il y a une chose qui me sidère en tant que tunisienne, c’est que quand on passe nos films en France, la diaspora arabe qui est pourtant très concernée car c’est aussi sa culture, ne vient pas en salle. Donc c’est à dire que pour moi la diaspora arabe on lui colle une étiquette religieuse, islam, alors qu’être arabe ce n’est pas uniquement être religieux. C’est de l’ordre du privé. On en fait quelque chose de publique et on ne donne pas à une jeunesse une alternative très forte par la culture. Certainement à cause de la barrière de la langue car la plupart n’ont pas appris la langue donc il n’ont pas accès à toute l’Histoire, à tous les romans, les poèmes, les films qui ont été fait. Ce que je trouve fâcheux c’est que la religion prenne le dessus sur autre chose. Sur une identité qui ne s’arrête pas à une religion.

C’est donc important pour vous, de diffuser vos films pas uniquement dans les pays arabes mais aussi en France, en Belgique, en Europe et même au-delà.

Oui, on a besoin. D’abord on fait des films parce que on fait du cinéma, donc le cinéma doit circuler
dans le monde entier. Tout comme moi je regarde du cinéma japonais, français et autres. Je regarde
des films et pas une identité spécialement. Mais c’est surtout aussi pour que ça puisse toucher, parce
qu’il y a quand même eu un grand phénomène d’immigration après la Seconde Guerre Mondiale, il y a
des enfants qui sont nés en France mais qui ont des origines arabes et à qui on a proposé comme seul
moyen d’exister la religion, que cette identité là, au début en tout cas. Les choses ont commencé à
changer, trop tardivement à mon goût. Il est nécessaire qu’on puisse trouver le moyen de ramener vers
le cinéma ces français qui ne connaissent au fond pas grand-chose de leurs origines et qui peuvent,
avec nos films en l’occurrence, découvrir ce qu’il se passe de l’autre côté plutôt que fantasmer quelque
chose, car ils sont dans le fantasme complet de ce qu’il peut se passer ou le fantasme d’un été
de vacances dans une famille. Il ne sont pas dans une réalité qu’ils connaissent et pourtant ils sont très
attachés à leurs origines. Pour moi la culture est l’élément fondamental pour s’ouvrir à autre chose,
sur cette identité qui ne se résume pas à la religion.

On vous a beaucoup parlé de votre manière d’enfermer vos personnages dans le cadre, et en
regardant le film je dirais même qu’à l’intérieur de ce dernier ils sont aussi écrasés par les
extérieurs. Était-ce une volonté de créer un climat anxiogène aussi à travers le décor ?

Oui tout à fait. C’est même plus que volontaire, c’est à dire que même lors de l’écriture je n’arrive pas à
sortir de ce qu’ils sont. Là je suis par exemple entrain d’écrire un deuxième film et je me rends compte
que j’ai un mécanisme où j’ai du mal à m’éloigner de ce qu’ils sont, de la tension qu’ils sont entrain de
vivre. J’ai l’impression de me disperser si j’ouvre plus vers plus de rues ou d’extérieur. C’est quelque
chose qui est lié par la tension et par ce qu’il sont entrain de vivre et le fait de vouloir rester focalisée
sur ça. Pour être plus proche d’eux et pour être plus proche de leurs émotions. J’ai très peu tourné en
dehors, je ne me suis pas du tout couverte (filmer des scènes de coupes, j’ai complètement assumé ce
côté là. Je ne voulais pas faire de tourisme. Je me suis dis que les gens connaissent la Tunisie depuis
la nuit des temps, même dans l’inconscient collectif il y a des images de ce que ça peut être de l’autre
côté. Ce qui m’intéressait c’était autre chose. C’était de raconter une société comme on ne la connaît
pas ou plus, pas comme on la fantasme. De ramener le spectateur dans la bulle de ce trio. C’est ça, de revisiter ce que sont les rapports sociaux qui on évolué. Rien qu’en dix ans ça a évolué avec une pré-révolution et une révolution. C’était aussi le but de proposer ça.

Pour finir, comptez-vous exploiter d’autres thématiques que celle de l’amour ? Ou en tout cas
d’une manière différente de vos derniers métrages.

Oui. Je suis dans les relations c’est certain, mais je ne pense pas que je vais travailler sur le
couple cette fois ci, du moins pas sur ce genre de couple mais sur un autre type. Toujours dans les
paramètres de nos sociétés et de ce que ça peut impliquer dans nos relations amicales ou au sein d’une
fratrie. Déjà d’abord parce que ça m’intéresse et surtout ce sont des sujets qui sont trop tabous et qui
doivent susciter la discussion.


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