Entretien avec Benjamin Roure

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Benjamin Roure est journaliste spécialisé en bande dessinée pour le site BoDoï. Inconditionnel de Bill Plympton qu’il a récemment rencontré, il analyse pour nous l’univers de ce trublion de l’animation, à l’occasion de la sortie de son nouveau film « Des idiots et des anges ».

Comment définiriez-vous le style de Bill Plympton, son originalité ? En quoi se démarque-t-il des autres animateurs ?

Bill Plympton produit une animation 2D tout à fait traditionnelle, dans le sens où il dessine tous les plans, lui-même et à la main. Mais une de ses originalités est son style très crayonné : on distingue clairement les traits de son crayon dans ses images. Ses traits s’animent avec plus ou moins de fluidité, selon le rythme et l’ambiance des scènes. Contrairement à de nombreux films d’animation en 3D en vogue aujourd’hui, qui affichent un rendu plutôt lisse et brillant, les dessins animés de Bill Plympton ont un aspect volontairement sale et rugueux. On sent la « matière » dans ses films, on sent presque l’odeur de la mine de plomb !

Peut-on y lire des influences et références claires de l’histoire de l’animation ou provenant d’autres arts ?

Il y a une influence cartoon assez marquée chez Plympton, notamment dans ses courts-métrages (comme la série des Dog). Il revendique à la fois l’influence de Walt Disney (« un Dieu de l’animation » selon ses termes), de Tex Avery et des dessins animés de la Warner Bros (Bugs Bunny, Daffy Duck…). Mais à mon sens, c’est l’humour qui règne en maître dans son œuvre, un humour noir venu plutôt de la bande dessinée que de l’animation.

Pourriez-vous parler de la technique d’animation qu’utilise Bill Plympton ?

Sans rentrer dans des considérations techniques, la caractéristique principale de son travail est le fait main. Pour des questions artistiques (il adore dessiner), autant que financières (il finance la plupart de ses films seul et ne pourrait se payer une équipe de dessinateurs), il réalise l’ensemble des images et de l’animation seul. Ce qui donne au final des films avec relativement peu d’action, souvent muets (parce qu’il est fastidieux de dessiner le mouvement des lèvres), mais qui gagnent en poésie.

           

Selon vous, quelle place Bill Plympton occupe t-il dans la production actuelle de films d’animation ?

Bill Plympton est une figure assez unique dans le monde de l’animation, dominé par les productions des grands studios. Il est en effet l’un des seuls à réaliser des longs-métrages d’animation pour adultes, et est considéré comme un modèle pour de nombreux jeunes animateurs. Toutefois, ce statut de franc-tireur a ses revers : il se désespère de ne pas connaître un grand succès aux Etats-Unis. Mais il se réjouit que des films pour adultes comme Persepolis, Les Triplettes de Belleville ou Valse avec Bachir rencontrent leur public. Selon lui, ces bonnes surprises devraient aider à populariser l’animation pour adultes.

Pourriez-vous parler de l’esthétique du nouveau film de Bill Plympton, Des idiots et des anges ?

Des idiots et des anges est un film plutôt sombre, tant dans le fond que dans la forme. Son héros est un type méchant et désagréable, qui traîne sa solitude et son mal-être dans un café miteux. Mais il va se voir pousser des ailes d’anges dans le dos… Les couleurs brunes et dans les tons de gris ou bleu participent de la création d’un univers morne et enfumé. Le trait très crayonné renforce cet effet. Par contraste, ses scènes poétiques ou comiques s’éclairent, et fonctionnent d’autant mieux.

    
En quoi se place-t-il dans la continuité de ses précédents films et/ou en quoi s’en démarque t-il ?

Des idiots et des anges
vient après Hair High, un film parlant avec beaucoup de musique et d’acteurs, qui lui a coûté très cher – d’autant qu’il n’a pas rencontré un grand succès. Bill Plympton a gardé un peu d’amertume de ce relatif échec et il voulait que son film suivant soit plus modeste et rapide à faire. Il en ressort donc un film muet, se concentrant dans deux ou trois décors principaux, avec peu de personnages. Mais il n’est pas inférieur en qualité, loin de là. On retrouve la thématique des modifications corporelles, déjà présente dans différents films. Et surtout un humour féroce et violent, qui maltraite ses personnages. Du sang, des cris, des meurtres !
           

 

Y a-t-il un fil conducteur, une cohérence entre The Tune, Mondo Plympton, L’Impitoyable Lune de miel !, Les Mutants de l’espace, Hair High ?

Le fil conducteur pourrait être l’humour noir. On retrouve dans nombre de ses films des scènes extrêmement violentes, contrastant souvent avec un univers en apparence bon enfant. Mais toujours dans un esprit cartoon désopilant. Les aventures de Bip Bip et Coyote n’étaient-elles pas aussi plutôt violentes ? Le sexe est également présent, ce qui est plus qu’original dans le dessin animé !

Quel rapport Bill Plympton entretient-il avec les autres cinéastes d’animation ou les cinéastes tout court ?

Bill Plympton connaît Jim Jarmusch, car c’est lui qui l’a aidé à obtenir des chansons de Tom Waits pour son dernier film… Cela étant, il est très apprécié par de nombreux auteurs de films d’animation et de nombreux jeunes le considèrent comme « le roi de l’animation indépendante ».

           

 

Dans quels pays les films de Bill Plympton marchent-ils le mieux ? Comment ses films sont-ils perçus en Europe ?

À son grand désespoir, Bill Plympton ne rencontre pas un grand succès avec ses longs-métrages dans son pays, les Etats-Unis. Ses courts-métrages marchent en revanche très bien et lui permettent de financer ses longs. En Europe, je pense qu’il a un public de fidèles et de curieux, mais il n’est pas si étendu. Je crois qu’il n’y a qu’une dizaine de copies de Des idiots et des anges qui tournent en ce moment en France et ses DVD ne sont pas toujours très bien distribués. Toutefois, il est régulièrement invité, et honoré, dans des festivals comme celui d’Annecy.
     

 


 

 


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