Le documentaire s’intéresse au recul de plus en plus net des médecines traditionnelles au Pérou. Au cœur de la forêt amazonienne vit l’ayahuasca, une liane-mère dont l’ingestion par le guérisseur permet d’entrer en communication avec d’autres plantes afin de découvrir leurs vertus curatives. Son usage, transmis de génération en génération, est aujourd’hui menacé de disparition. La déforestation en est la cause la plus évidente. La forêt amazonienne recule tant pour alimenter l’industrie de l’huile de palme que pour un facteur moins immédiatement visible. L’exploitation des ressources pétrolières et gazières des sols est ainsi fermement envisagée afin de limiter les importations et d’accroître l’indépendance économique du pays. L’écosystème s’amenuise et l’ayahuasca, de même que les autres plantes médicinales, se trouve de plus en plus difficilement, les tribus amazoniennes n’ayant pas nécessairement l’habitude de la cultiver. Mais d’autres facteurs, moins attendus, expliquent la disparition progressive des savoirs ancestraux, notamment l’imposition de la médecine occidentale en Amérique du Sud. L’histoire est déjà ancienne et remonte à l’arrivée des colons espagnols et portugais. Si les médecines traditionnelles ne sont plus aujourd’hui jugées contraires à la religion chrétienne, elles sont cependant toujours en butte avec le rationalisme scientifique occidental.
El Gran Dragón s’organise comme une mosaïque de témoignages au cours d’un voyage le long du fleuve. Les différents arrêts donnent la parole à un chaman, un chef de tribu, un garde forestier, des médecins et patients évoquent leur expérience de l’ayahuasca et plus généralement des médecines traditionnelles. Plus largement, c’est aussi un portrait du monde en déconnexion totale avec la nature qui se construit. Dès qu’il sort des chemins balisés du documentaire classique, le film perd un peu pied. Il se heurte ainsi à l’impossibilité de représenter l’expérience de la prise d’ayahuasca qui se résume alors, avec un peu trop de facilité, par une longue séquence au noir en voix off qui n’a plus rien de commun avec la puissance évocatrice de la séquence d’ouverture. Les récits des hallucinations données plus tôt par les différents guérisseurs suffisaient amplement à esquisser une expérience chamanique par essence incommunicable et non filmique.
On peut aussi s’interroger sur la sortie en salle d’un tel documentaire. Certes, la beauté des paysages et de certains plans sied tout à fait au grand écran, mais au final la forme choisie semble mal adaptée au cinéma. De plus, les difficultés de distribution d’un tel type de film en limite par avance l’audience potentielle. Le très bref et relatif éclairage porté sur le film au moment de sa sortie en salle compense-t-il le faible nombre de copies disponibles ? Le volontaire éveil des consciences porté par El Gran Dragón ne trouverait-il pas plus d’écho sur d’autres formats de distribution (TV, web…) auxquels, par ailleurs, les deux réalisateurs semblent tout à fait sensibles ?