Après une sorte de trilogie de l’intime (Tout est pardonné, 2007 ; Le père de mes enfants, 2009 ; Un amour de jeunesse, 2011), Mia Hansen-Løve élargit ses horizons au film de bande, dans une peinture volontiers cruelle et toujours teintée d’autobiographie d’une génération perdue (Eden est partagé en deux parties, dont la deuxième s’intitule “Lost in music”). Autour de Paul, c’est tout un groupe que la réalisatrice fait revivre, des producteurs de musique garage aux graphistes des premiers flyers, des stars américaines de la house aux organisateurs de soirées, avec un souci du détail et de l’authenticité qui ne prête en aucun cas le flanc à un quelconque naturalisme. Des “teufs” au Fort de Champigny aux expéditions new-yorkaises, la cinéaste fait revivre une époque, réussissant à rendre nostalgiques d’un temps où Paris savait faire la fête, sans jamais tomber dans le passéisme. Si la reconstitution est minutieuse – la bande originale en premier lieu, de M.K. à C Docks Present, ne compte, c’est heureux, aucun faux pas -, c’est bien les aspirations de ceux qui peuplèrent la nuit des nineties qui l’intéressent en premier lieu. Elle-même fréquenta tôt les clubs parisiens grâce à son frère et c’est évidemment lui que, par l’intermédiaire de Paul, elle suit sans relâche, lui qui, partie prenante d’un mouvement florissant, ne se tirera jamais tout à fait d’un certain underground. La petite soeur devenue cinéaste continue ainsi d’observer son aîné, et c’est très beau.

Dans une scène de milieu de film, Paul et son acolyte lancent un morceau qu’ils aiment au cours de l’émission qu’ils animent sur Radio FG, un morceau qui résume leurs goûts, “entre euphorie et nostalgie”. C’est pour la même raison qu’on aime Eden – et a fortiori le cinéma de Mia Hansen-Løve -, parfaitement contenu dans la formule tant, de film en film, la cinéaste n’a de cesse de poursuivre un certain amour de la tristesse. Ce n’est pas une pose, pas plus qu’une tendance à la neurasthénie, rares sont les oeuvres aussi lumineuses que les siennes, fut-ce dans l’épreuve. De là vient d’ailleurs la surprise d’Eden : serti dans un écrin de fêtes et de paillettes, c’est peut-être son film le plus désemparé, celui derrière lequel pointe le plus la noirceur. Mia Hansen-Løve ne s’appesantit pas, ce n’est pas son genre (le suicide d’un ami est évacué en une micro-scène, presque trop vite eu égard à l’importance du personnage), pourtant le long métrage ne semble avoir de cesse de plonger vers son propre abime, là où l’étourdissement a pris fin, fracassé sur la drogue, l’âge et les déboires financiers. C’est, d’ailleurs, le bémol d’Eden, trop conscient a posteriori du caractère éphémère de l’euphorie de la période décrite (près de vingt ans tout de même) pour ne pas la teinter d’emblée d’une mélancolie tenace.
Avec l’élégance qui la caractérise, Mia Hansen-Løve reste chevillée à Paul, beau personnage effacé qui lui permet de dire la French touch par la marge. En l’accompagnant partout, jusqu’à la dépression et la renaissance, sur la cîme des années, des soirées et des années qu’il traverse, elle prend le risque de faire disparaître les autres : les personnages de Golshifteh Farahani, trop esquissé, et de Laura Smet, trop caricatural, limitent par exemple l’ampleur passionnée d’Eden. Le film reste visité par de magnifiques fantômes, comme celui de Julia, étudiante américaine aimée à Paris au milieu des années 90 et que Paul recroisera à New York un peu avant que le 11 septembre 2001 ne vienne briser les illusions. Ou celui, plus diffus, du disque vinyle remplacé par l’informatique. Dans un Silencio désincarné, la cabine DJ a quitté le centre, elle est désormais sur scène : aujourd’hui, la djette Clara 3000 pianote sur son Mac, à l’écart de la piste froide et désertée.