On ne s’étonnera jamais assez de l’ampleur du travail de Hong Sang-soo, ni de l’incroyable impression de gémellité laissée par ses films. Il y a là un mystère et un miracle qui tiennent à ce simple principe : si le cinéaste semble chaque fois convoquer un même territoire, c’est bien plus pour s’y perdre que pour s’y retrouver. C’est pour éprouver la mouvance de ses frontières au regard d’éclairages sans cesse renouvelés. Tout s’y ressemble, et pourtant rien n’y est jamais pareil. Tout – schémas narratifs, situations, typologie des personnages, mouvements, cadrages – se répète, sans se défaire d’une part d’étrangeté, ni d’une invitation à l’étonnement. Son dépouillement n’a rien d’une recette. Ses variations ne sont jamais sans risques. Et si l’œuvre s’est très vite dotée d’une identité particulièrement visible et reconnaissable, chaque film semblant venir ajouter un chapitre à un travail au long cours, déclinant de nouvelles modalités d’existence du petit peuple du cinéaste, il faut y voir le signe d’un insatiable désir de renouvellement, d’approfondissement, d’un regard qui ne cesse de se réajuster, d’un sillon que l’on ne cessera de faire avancer tant que l’on n’aura pas fini de le questionner.
En plein cœur de l’œuvre brillent ces deux merveilles que sont Woman on the Beach et Night and Day. Toutes deux sont présentées comme des films de voyage, motif dans le fond plus que prégnant dans la quasi-totalité des films d’Hong Sang-soo, spécialiste des pas de côté qui font tourner la tête. Dans le premier, un cinéaste en mal d’inspiration s’exile, en compagnie d’un assistant et de la petite amie de celui-ci, dans une station balnéaire avec l’idée de prendre du recul pour préparer un nouveau scénario. Dans le second, un jeune peintre coréen s’envole pour Paris afin d’échapper à la police après avoir fumé un joint. Les deux films brassent motifs narratifs et préoccupations formalistes habituels du cinéaste. Devant sa caméra se déplie comme un abrégé des jeux de l’amour, avec leurs hésitations et leurs stratégies, leurs emportements et leurs aspects dérisoires. La structure ouvre la voie à des récits lacunaires sur lesquels Hong porte des éclairages de manière à rendre appréhendables les angles morts, tel son personnage de cinéaste dans Woman on the Beach, exposant sa théorie sur la mouvance de l’univers et la perception de la vérité profonde des êtres qui en résulte dans une scène mémorable. Tout cela avec une incroyable fantaisie dans le traitement et l’enchaînement des situations, toujours soutenue par une interprétation de haute volée.
Night and Day et Woman on the Beach de Hong Sang-soo – Coffret 2 DVD édité par Blaq out – Disponible depuis le 9 avril 2013.