DVD « Des frissons et des femmes »

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Des frissons au propre comme au figuré et des femmes en DVD cette rentrée.

L’éditeur Malavida (à qui l’on doit la magnifique ressortie des Aventures fantastiques de Karel Zeman il y a quelques semaines) complète son catalogue de films rares, parfois inattendus, avec deux nouvelles collections DVD : "ReBELLES" d’une part, qui malgré sa dénomination et sa graphie catastrophique et presque antithétique, met en avant regards féminins et portraits de femmes libres, et "Frozen Zone", qui ressort des cartons ou des oubliettes les thrillers nordiques des années 1980 et 1990, histoire de dire que quand même on n’a pas non plus inventé la poudre dans les années 2000. Et même que parfois "RebELLES" et "Frozen Zone" semblent se mélanger dans un même film. Mise en bouche avec les quatre livraisons de cet automne.

An-Magritt d’Arne Skouen, 1969, Norvège
 
 

 

An-Magritt a l’ampleur d’une grande fresque classique hollywoodienne. Romanesque, lyrique, aventureux… Sauf qu’on est en Norvège, que les conditions climatiques sont nettement moins avantageuses et qu’au lieu de s’appeler Scarlett et de bramer des « Taratata » ou des « Je n’aurais plus jamais faim ! », l’héroïne se nomme An-Magritt et sait à peine écrire son nom. Le film mêle deux drames : celui d’une jeune femme sans nom, car née d’un viol, qui cherche à voir son existence reconnue par la société et celle de la masse populaire au XVIIe siècle noyée sous les restrictions et des conditions de travail et de vie exténuantes. La femme sans nom se retrouve alors à la tête des revendications. Les syndicats avant l’heure ? On est en plein dans le film fédérateur de l’histoire nationale avec à l’affiche une Liv Ullmann tout juste popularisée par Bergman. Plus que l’actrice et son personnage qui se découvre une identité personnelle quand bien même les registres de la cité la lui refusent, le plus marquant dans An-Magritt sont les choix de composition d’Arne Skouen qui envoie largement balader la classique règle des tiers (2/3 terre et 1/3 ciel ou l’inverse selon ce que l’on veut mettre en valeur) pour des plans quasi monochromes qui insistent sur l’uniformité des paysages enneigés sur lesquels les personnages, minuscules, défilent en frise. Si en plus, un chant de rébellion est entonné, c’est le bouquet !

 
Supplément :
-Livret : Linn Ullmann, Profession réalisateur : Arne Skouen et son œuvre cinématographique, 16 pages.

Wives d’Anja Breien, 1975, Norvège

  
 
 

Pendant féminin et féministe au Husbands (1970) de John Cassavetes mais avec la culpabilité en plus, Wives décrit l’envie de liberté et l’escapade de trois amies d’enfance qui se retrouvent lors d’une réunion d’anciennes élèves : une soirée, puis une journée hors du quotidien, hors du boulot, de la maison et des enfants. Redevenir femme avant d’être épouse comme le souligne le titre du film. Trois femmes, trois situations différentes, mais le même sentiment partagé d’un enfermement dans leur propre vie et dans le rôle que la société leur réclame : moins sois belle et tais-toi que sois une bonne épouse et tiens la maison, les gosses, le travail si t’as le temps et t’en as un. Breien n’érige pas ses héroïnes en modèle. Celles-ci ont soif de cette liberté retrouvée (ou volée), mais ont aussi bien du mal à savoir qu’en faire. Livrées à elles-mêmes, elles redeviennent des ados plus ou moins effrontées, prêtes à faire les 400 coups. Pas d’angélisme dans le regard de la réalisatrice sur les femmes, mais pas non plus de diabolisation à outrance des hommes comme le montre le beau portrait du mari. Entre scènes répétées et séquences semi improvisées dans la rue avec des amateurs, Wives décrit des couples bloqués dans leur quotidien. Aux femmes au foyer répondent des maris tués par le travail, soit un abrutissement et un épuisement conscients des masses populaires qui se poursuit de An-Magritt à aujourd’hui. Anja Breien donnera deux suites à son film en 1985 et 1996.

Suppléments :
-Entretien avec Anja Breien ;
-Livret autour des femmes cinéastes en Norvège dans les années 1970-80.

Les Lèvres rouges d’Harry Kümel, 1971, Belgique
 
 

 

Delphine Seyrig + Comtesse Báthory. Cela devrait suffire à donner envie de voir ce drôle de film coincé entre les fantasmes potentiels de productions érotiques de son producteur-scénariste et de son réalisateur (responsable en 1986 de Série rose, adaptation pour FR3 de nouvelles érotiques de grands noms de la littérature) et la dimension féministe qui colle à la légende de la « dame sanglante ». Un jeune couple fraîchement marié débarque dans un hôtel à Ostende et y croise une étrange descendante d’Élisabeth Báthory qui se plaît à rappeler les riches heures vampiriques de son aïeule. Manifestement les bains de sang ont bien fonctionné et la Comtesse fait toujours des ravages. Le film oscille entre série B kitsch à tendance coquine – mais pas trop pour conserver une large diffusion – et vraies bonnes idées (l’hôtel comme château, une jolie citation de la Musidora des Vampires de Louis Feuillade, 1915) dans un montage assez maladroit voire indigent (notamment des scènes à suspense). Qu’est-ce qui sauve donc ce Daughter of darkness du ridicule et en fait même un film attachant à bien des égards ? Delphine Seyrig d’abord. Son personnage tout en cuir et en frou-frou (mais qui fait du tricot !) joue d’une parenté appuyée avec Marlene Dietrich. Mais surtout, malgré le regard du réalisateur (l’entretien en supplément est fort instructif : « Sans chercher à faire de la culture » ; « Avec du sexe et du sang. Mais chic ! »), la réapparition en filigrane du mythe de Báthory, lié de plein droit aux questions d’oppression et d’asservissement féminins. Femme monstre, la Báthory ne l’est souvent que par l’application jusqu’au-boutiste des règles d’une société machiste (voir la belle version qu’en a donné récemment Julie Delpy). Pas étonnant alors de voir Seyrig accepter le rôle pour une actrice qui s’est durablement engagée comme militante féministe notamment par ses deux réalisations avec Carole Roussopoulos (Maso et Miso vont en bateau et S.C.U.M. Manifesto, 1976), l’une des pionnières de la vidéo en France, et par son documentaire Sois belle et tais-toi qui en 1981 donnait la parole à de nombreuses comédiennes. Un film à voir malgré son réalisateur, mais à voir.

Suppléments :
-Entretien avec le réalisateur et le producteur ;
-Entretien avec less actrices Danielle Ouimet et Andrea Rau ;
-Livret avec un entretien avec le réalisateur et une analyse du film par Olivier Rossignot, 16 pages chacun.

Zero Kelvin de Hans Petter Moland, 1995, Norvège

 

 

« Sale avorton ! Reviens quand tu sauras te branler ! J’ai assez de poils au cul pour me tricoter un pull ! » Rien que pour entendre Stellan Skarsgård (Mamma Mia ! – Phyllida Lloyd, 2008 ; Melancholia – Lars von Trier, 2011) prononcer ces phrases le film vaut le coup d’œil. Zero Kelvin signe le voyage d’un jeune poète au cœur du Groenland. Sans le sou, il s’engage sur la terre des glaces et partage le quotidien de deux chasseurs solitaires, l’un semi mutique, l’autre quasi acariâtre. Si la chasse est montée n’importe comment, les moments qui la précèdent et les voyages verticaux au-dessus des glaces sont superbes. Surtout connu en France pour The Beautiful Country (2004) avec Tim Roth et Nick Nolte, Hans Petter Moland montre autant de combats contre les éléments que de luttes intérieures, ce qui explique sans doute la perte d’intensité du film dans sa course-poursuite finale. C’est dans le huis clos que le réalisateur parvient à installer et exploiter la tension entre les personnages, Moland étant manifestement plus à l’aise avec le psychologique qu’avec l’action. Une curiosité.

Supplément :
-Livret avec les analyses de Pierre Charrel (Violences des échanges (peu) tempérés) et de Sabrina Benchikh (L’Effroi venu dans Grand Nord), 16 pages chacun.

 


 
Collection "ReBELLES" et "Frozen Zone" – DVD édités par Malavida – Disponibles depuis le 14 septembre 2013.


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