Dès les premières minutes, on retrouve Rouch et Morin devant – et non derrière – la caméra. Ce qui frappe dans cette introduction, c’est le dévoilement – presque insolent – du processus documentaire. Cette première séquence agit presque comme un making-of explicatif du film. À toute sorte de parisien, dans la rue, on pose la question : « Êtes-vous heureux ? » Les deux réalisateurs invitent Marceline Loridan-Ivens à traverser leur documentaire en orchestrant un micro-trottoir et en interagissant avec les différents protagonistes du film. Rapidement, le film se fixe sur plusieurs groupes de personnages, des ouvriers, des couples, des étudiants. La question du bonheur est alors vite dépassée puisque c’est la vie des acteurs elle-même qui est dorénavant interrogée.
Une fois la moitié du film atteinte, nouvelle intervention de Jean Rouch, le film bifurque. On mêle jeunes et moins jeunes et on cadre le film dans un contexte politique, celui de la guerre d’Algérie. Puis, repas en extérieur, retour en compagnie de Marceline et d’amis africains de Jean Rouch. Nouvelle violence faite au documentaire, Morin intervient rapidement pour resserrer le débat autour des luttes entre congolais et colons belges.
Néanmoins, l’avant-dernière partie du film – peinture estivale des plages de Saint-Tropez – dessine un étau de légèreté qui dépolitise la totalité du documentaire. À distance des graves évènements qui secouaient les colonies, Chronique d’un été offre un cheminement presque hasardeux, à la fois agréable et triste. À l’image de la vie. Le final souligne encore les caractéristiques méta-documentaires du film. On présente les réactions des protagonistes après visionnage du film pour embrayer sur une discussion entre les deux réalisateurs et leurs réactions face aux réponses des acteurs. Chronique d’un été ne peut donc être analysé qu’en suivant sagement la chronologie du film. Comme dans un roman, on peut voir ce début et cette fin comme des prologues et des épilogues. Les réalisateurs expliquent, présentent, mettent à nu leur structure et concluent.

Mais au-delà de ces retraits s’ajoute l’évidence supplémentaire d’une strate de fictionnalisation. Au travers des interventions de Jean-Pierre Sergent et de Régis Debray, les apparitions de Rouch et Morin sont analysées comme des rôles joués, totalement conscients de la présence de la caméra. Mais moins qu’une atteinte au film documentaire, Chronique d’un été expose les attitudes (« dandy » dira Debray) d’une certaine frange de la petite bourgeoisie de l’époque. Cette scène de quasi rupture entre Sergent et Marceline, au bord de la mer, renvoie directement – comme le signale les raisons de son abandon – à L’Avventura d’Antonioni, sorti un an plus tôt. On y apprend aussi que Marilù, l’un des protagonistes du film, rencontrera pendant le tournage Jacques Rivette.
Kino-Pravda, cinéma-vérité, les Cahiers, Antonioni… En plus de ses composantes politiques, Chronique d’un été s’ancre dans une réalité historique propre au cinéma. Touché par ces versants cinématographiques, le Chronique d’un été augmenté englobe alors une autre facette de cette année 1960, et se change alors en un étrange objet archéologique, morceau de vie d’une France aux visages multiples. Relevant la phrase typique des touristes snobs de Saint Tropez, un des personnages dit alors ainsi : « on s’emmerde à Saint-Tropez ». Mais non, devant Chronique d’un été, on ne s’ennuie jamais.
