Dope

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Itinéraire vers l’ascension sociale d’un jeune afro-américain d’un quartier sensible de Los Angeles. Trop lisse, mais vivifiant.

Malcolm Adekanbi a une jolie coupe en brosse, un vélo branché, une seule basket dont l’autre moitié lui a été volée mais avec laquelle il continue néanmoins de marcher nonchalamment et deux amis attachants, Jib et Diggy, qui l’accompagnent partout. Partout c’est-à-dire dans les dédales du quartier sensible d’Inglewood, à Los Angeles, où chacun s’adapte aux codes en vigueur passant d’une forme de relative tranquillité à la violence du pouvoir coercitif exercé par les gangs locaux. Malcolm fait l’expérience du passage d’un régime à l’autre, sa vie de lycéen geek et sans problème fan de hip-hop des années 90 propulsée bien malgré lui au cœur d’illicites échanges de poudre blanche. De ce basculement de situation, le réalisateur Rick Famuyiwa fait un film qui semble s’inscrire dans la lignée cinématographique et sociologique de l’œuvre de Spike Lee : plongée dans la communauté afro-américaine, comme souvent assez pauvre et fragilisée (Malcolm vit de peu, seul avec sa mère, le père est parti), avec ses motifs (culture hip-hop autour de laquelle les personnages gravitent, ses codes,…) et chronique de quartier à valeur sociale.

A l’instar de Spike Lee, le cinéaste, fils d’immigré nigérian, puise dans sa propre histoire et sa culture comme dans The Wood (1999), premier long métrage en partie autobiographique qui suivait également l’histoire de trois jeunes ayant grandi à Inglewood ou encore Brown Sugar (2002) qui s’ancre cette fois dans le Bronx à New York. Le quartier où il a grandi, sa communauté, forment jusqu’à présent le terreau et l’identité de ses films. Dans Dope, l’ensemble est revisité à l’ère 2.0, dotée d’I-phones et d’une jeune génération aux dispositions informatiques et technologiques importantes. Malcolm est ainsi particulièrement doué et en ce sens caresse l’espoir d’entrer un jour dans la prestigieuse université d’Harvard. Ce désir semble au départ très compromis par ses origines sociales. Et pour cause, plus de vingt ans après Do The Right Thing (1989) de Spike Lee, les nouveaux outils dont bénéficient la génération Y ne s’associent pas à des changements sociaux très forts : les ghettos de pauvreté sont toujours à peu près les mêmes, en dépit des potentiels brillants qui les habitent et la lutte vers une plus belle condition sociale s’accompagne toujours de violence, qu’elle réside dans la menace d’un revolver pointé ou dans les actions d’une sommité issue du quartier ayant réussi mais négociant sa place dans les hautes sphères des grandes universités sans intégrité particulière. Rick Famuyiwa pose cet amer constat sans le militantisme et la vindicte de Spike Lee mais avec l’énergie pleine de vie de son Malcolm à lui (et de son interprète, Shameik Moore), appuyée par la bande sonore non moins dopante de Pharrell Williams.

 

A mi-chemin entre high school movie, chronique urbaine et une vélocité de l’image qui accompagne l’époque cyber connectée, le réalisateur présente un regard bienveillant et frais sur ses personnages, ne manquant pas de souligner la débrouille courageuse en vigueur dans ce quotidien pour une bataille au long cours vers l’égalité des chances. Néanmoins, son film présente des aspects trop décousus avec l’intervention disséminée de personnages insolites qui rayonnent autour de cette communauté : qu’apporte au film le rôle de Lily, Paris Hilton asiatique, dont les seules scènes consistent à être sous une drogue l’amenant à vomir sur la poitrine de Malcolm et à uriner dans un buisson en pleine rue ? Ou encore les scènes qui s’attardent sur le petit génie de l’informatique aidant Malcolm dans ses activités ? Des longueurs se font sentir dans le montage et l’éclatement de l’intrigue tend parfois à brouiller le propos du film. Une ligne didactique trop binaire achève par ailleurs celui-ci : « Elève abonné aux A, test d’aptitude parfait. Autodidacte en guitare et solfège. Recommandations dithyrambiques et hobbies divers. Je suis inscrit au Google Science Fair. Et en 3 semaines, j’ai fait gagner 100 000 $ dans le e-commerce. Pourquoi je veux étudier à Harvard ? Si j’étais blanc, vous me poseriez la question ? », écrit Malcolm dans sa lettre de motivation pour l’université de l’Ivy League. Dommage, car le film, habillé tout entier du « cool » de ses trois adolescents, d’un travail de l’image chaleureux, génère quelque chose de vivifiant, dont la forme de combat interne déployé tout du long de manière souterraine, actionne à elle seule et de manière bien plus efficace ce discours final. C’est cette ressource secrète d’énergie et de rebond, en partie propre à la jeunesse, que fait valoir Rick Famuyiwa dans son film et qui lui donne une vitalité précieuse.

Titre original : Dope

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Durée : 103 mn


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