C’est désormais un rendez-vous immanquable : chaque deuxième mardi du mois, l’association « Documentaire sur grand écran » diffuse un duo de documentaires au Forum des Images. Deux documentaires qui se font écho, liés par un même réalisateur, une même thématique, ou tout simplement par une même envie de se faire projection du monde, en interrogeant le discours et la légitimité de l’image documentaire. En janvier, le rendez-vous est pris le mardi 10 et le fil conducteur des projections concernera un thème précis : le nucléaire. En projetant à la suite les documentaires de Peter Watkins, La Bombe, et de Michael Madsen, Into Eternity, l’événement se fait le relai de questionnements préexistants à la notion de nucléaire, il ne se contente pas de constatations et pose d’autres problématiques : comment communiquer avec les générations futures de ce danger que représentent l’armement nucléaire et les déchets radioactifs qui en résultent ? Chacun de ces documentaires témoigne d’une époque donnée, prenant place dans un certain contexte, représentatif de peurs communes : la guerre froide et les dangers de l’armement nucléaire chez Watkins, la technologie et le stockage des déchets nucléaires chez Madsen. Causes et conséquences, en quelque sorte.
Peter Watkins, prenant appui sur les événements de Nagasaki et Hiroshima, anticipe et imagine les conséquences désastreuses d’une attaque atomique sur l’Angleterre. Michael Madsen s’intéresse à Onkalo, en Finlande : lieu de stockage en cours d’installation censé pouvoir contenir des déchets nucléaires pendant 100 000 ans. Comment peut-on être sûrs que ce lieu ne contaminera des civilisations futures ? Comment faire part du danger irréversible que l’on est en train d’enfouir dans les entrailles de la Terre ? Ce sont des films engagés, politiquement et humainement, et chacun d’eux propose une manière d’appréhender le réel et le nucléaire. Chaque réalisateur fixe son discours dans un régime de croyance, dans une forme de documentaire bien précise : là où Peter Watkins réalise La Bombe dans un style docu-fiction, Michael Madsen se range plutôt du côté de l’essai filmé proche de la science-fiction avec Into Eternity. Le thème du nucléaire les rassemble en une même interrogation sur le rapport de l’homme au temps, sur les conséquences de ce qui a eu lieu dans le passé mais également sur les répercussions qu’engendrent nos actes d’aujourd’hui. L’humanité se doit d’être soucieuse d’elle-même. Quand La Bombe renvoie aux fantômes du passé, Into Eternity semble, au contraire, hanté par le spectre du futur. C’est ainsi, entre présences et absences, que chacun de ces films cherche à fixer l’insaisissable notion de mémoire.
Ces documentaires ont cela de notable qu’ils ne se contentent pas de faits accomplis, établis. L’image ne se suffit pas à elle-même et la forme, comme le montage, pose des questions. Le spectateur a son rôle à jouer et n’est pas le consommateur de fausses vérités. Dans chacun de ces films, le cadre est pensé et réfléchi dans son juste rapport avec ce que, effectivement, il ne montre pas. Le hors-champ est alors le lieu de tous les possibles. Par le thème qu’ils ont choisi de traiter, ces deux films appréhendent les peurs, les inquiétudes et les espoirs de l’humanité. Là où Watkins se fait pessimiste (montrant l’horreur à sa manière), Madsen espère encore pouvoir sauver une civilisation future. Tous deux soulèvent ici la question de la responsabilité. La Bombe, par son côté exagéré face à l’horreur, choque. Into Eternity, par son urgence, alarme. Il est indispensable et nécessaire de porter un regard neuf et actuel sur ces deux films. Réflexions et remises en question sur ce sujet ne doivent jamais cesser et constamment s’actualiser. Car l’homme sera toujours rattrapé par son temps.
Chaque film est accompagné d’un court-métrage documentaire, 200 000 fantômes de Jean-Gabriel Périot et Le nombril et la bombe atomique de Eiko Hosoe, qui traitent du thème nucléaire de manière beaucoup plus expérimentale. En vue de rendre la séance toujours plus complète et enrichissante, l’association invite le journaliste Hervé Kempf qui initiera le débat autour du nucléaire, dans un esprit de partage avec le public. Anticipation, méditation et remises en question sont donc les maîtres-mots de cette soirée placée sous le signe du nucléaire.
Au Forum des Images
19h // 200 000 fantômes, de Jean-Gabriel Périot (2007, 10’)
La Bombe, de Peter Watkins (1966, 50’)
20h30 // Le nombril et la bombe atomique, de Eiko Hosoe (1960, 12’)
Into Eternity, de Michael Madsen (2010, 75’)
Séance suivie d’une rencontre avec Hervé Kempf.
Plus d’infos sur www.doc-grandecran.fr ou sur www.forumdesimages.fr